The Department of Truth

Entre théorie du complot et mensonge d’État, James Tynion IV et Martin Simmonds nous livrent un récit aussi perturbant que passionnant. Avec The Department of Truth, paru chez Urban Comics, découvrons la vérité. Si tant est qu’elle existe…

THE DEPARTMENT OF TRUTH – FAKE NEWS !

L’agent spécial Cole Turner a la vérité chevillée au corps. Et pourtant, caché derrière de larges lunettes, une épaisse tignasse blonde et un imperméable beige mal ajusté, le jeune homme n’a pas le profil de l’emploi. Mais dans son enfance, il a lui-même été victime d’une machination ignoble dont il porte encore les stigmates. Et c’est pour cette raison qu’au sein du FBI, il enseigne désormais les théories du complot.

« Je m’efforce d’analyser les modalités d’échange de l’extrême droite nationaliste blanche à travers ses communautés en ligne. »

Alors, sans relâche, il lutte avec les maigres moyens qui sont mis à sa disposition pour que la vérité puisse toujours triompher. Bien entendu, sa tâche est ardue car l’évolution du monde rend plus aisée la propagation de théories fumeuses. Et chaque jour naît une myriade de pseudo-preuves irréfutables que le système nous ment.

THE DEPARTMENT OF TRUTH, « ILS PENSENT QUE LA TERRE EST PLATE. »

Pour comprendre comment naissent ces théories, la majeure partie du temps il fréquente les forums internet. Mais parfois, il se rend à des conférences pour voir qui sont réellement ces complotistes.

« Des types ordinaires, sans relief. Qui se bidonnent à se raconter le dernier épisode en date de la série à la mode. C’est ça qui m’a frappé, surtout. C’étaient des gens qu’on ne remarque pas. Des M. Tout-le-monde, à la fois invisibles et omniprésents. Et ils avaient tous ce petit sourire vissé sur la gueule. Un sourire qui disait : « J’ai un secret. Un secret connu de moi seul ». »

Mais un jour, lors d’une conférence « platiste », on lui propose, à lui, personnellement, de visionner une vielle bobine qu’on croyait perdue. Et sous ses yeux ébahis, tout ce à quoi il croyait fut ébranlé.

« Le film n’avait pas l’air du tout retouché… Or, s’il était authentique, ça voulait dire qu’un paquet de trucs auxquels tu croyais étaient bidons. »

Puis, quand on lui proposa un voyage qui lui permettrait de passer de l’autre côté du miroir, il accepta sans trop savoir pourquoi. Ou plutôt, il ne le savait que trop bien…

Et alors que Cole Turner était sur le point de succomber, le Département de la Vérité fit irruption dans sa vie, comme venu de nulle part.

JAMES TYNION IV, UN ARTISTE PROTÉIFORME PARTICULIÈREMENT INSPIRÉ.

Après avoir fait ses armes en mettant en scène les plus grands super-héros (Batman Metal), James Tynion IV se tourne désormais vers des projets qui lui tiennent plus à cœur. Ainsi, après le très réussi Wynd, les éditions Urban nous permettent de découvrir une œuvre surprenante à plus d’un titre.

Avec The Department of Truth, un thème devenu omniprésent prend une dimension insoupçonnée : le complotisme. L’œuvre a débuté sa parution en septembre 2020 chez Image Comics. Et aujourd’hui, à l’aune des derniers mois pendant lesquels la vérité a été si souvent malmenée, on ne peut qu’être admirateur face à la lucidité du scénariste. Le fait est que dans The Department of Truth, rarement non-dits et faux-semblants ont pu prendre une telle dimension. Par ailleurs, parce que cette œuvre de fiction se nourrit de la réalité, elle n’en devient que plus troublante.

LA RÉALITÉ EST AILLEURS.

Neil Armstrong, Lee Harvey Oswald, Barak Obama, Stanley Kubrick, l’école Mc Martin… Tels sont quelques noms que James Tynion IV va exploiter pour construire son œuvre. Leur point commun ? Tous sont liés à des théories complotistes qui, au cours des dernières décennies, ont réussi à s’implanter fermement aux USA et même au-delà.

Et avec talent, le scénariste jongle avec chacune d’elles dans un spectacle réalisé de main de maître. Il nous oblige à regarder là-où nous avions écarté notre regard. Il nous contraint à appréhender une théorie qui nous avions balayée d’un revers de main. Et au fur et à mesure qu’on tourne les pages, on en vient à vérifier la véracité de nos certitudes.

Bien entendu, James Tynion IV ne donne aucun crédit au complotisme. Bien au contraire.

Mais en nous faisant imaginer un département qui lutterait en secret contre de puissantes organisations complotistes, il nous invite aussi à poursuivre le raisonnement et à nous poser de nouvelles questions.

On comprend qu’il faille lutter contre une théorie du complot. Mais jusqu’à quel point ?

Et quand bien même des intentions sont honorables, n’y a-t-il pas un danger à vouloir présenter une vérité parfaite ?

On l’aura compris, le propos de James Tynion IV est dense et même parfois délicieusement complexe, comme en témoigne la forte proportion de texte sur les pages. The Department of Truth est indéniablement une œuvre qui se lit.

Et pour équilibrer cela, il fallait un artiste de grand talent. Il a été trouvé en la personne de Martin Simmonds.

 UN ROMAN GRAPHIQUE.

Très souvent galvaudée, il faut bien reconnaître que rarement l’expression a pris autant de sens. Lorsqu’on pose les yeux sur une page de The Department of Truth, on ne peut nier la force du dessin. Dans un style qui tient à la fois de Bill Sienkiewicz (Moby Dick) et de Dave McKean (Black Dog : The Dreams of Paul Nash), l’artiste se fait indéniablement son propre nom. Capable de maîtriser les techniques les plus diverses, il présente des pages absolument sublimes. En cohérence parfaite avec le sujet abordé, il fait planer une tonalité sombre et inquiétante. Collage, tampon, aquarelle, tout se mêle dans un expressionnisme à ce point sublime qu’il en fait parfois perdre le sens des réalités.

Saluons enfin le travail réalisé par Maxime Le Dain à la traduction (Shanghai Red, Le Dernier des Dieux). En jonglant avec les mots, les concepts et les sous-entendus inhérents à l’histoire, il parvient à rendre parfaitement compréhensibles les multiples références. Ainsi, il joue un rôle indiscutable dans l’immersion du lecteur. Les éditions Urban publient d’ailleurs un article extrêmement intéressant dans lequel il décrit sa démarche.

 

The Department of Truth est une œuvre forte, dense et inquiétante. Dans une osmose absolument époustouflante, James Tynion IV et Martin Simmonds parviennent à réveiller les plus grandes craintes de notre civilisation.

Article posté le jeudi 10 mars 2022 par Victor Benelbaz

The Department of Truth de James Tynion IV et Martin Simmonds (Urban comics)
  • The Department of Truth – Au bord du monde
  • Scénariste : James Tynion IV
  • Dessinateur : Martin Simmonds
  • Coloriste : Martin Simmonds
  • Traducteur : Maxime Le Dain
  • Editeur : Urban Comics
  • Collection : Urban Indies
  • Prix : 16 €
  • Parution : 28 janvier 2022
  • ISBN : 9791026823636

Résumé de l’éditeur : L’agent spécial Cole Turner étudie depuis des années les théories conspirationnistes qui s’exposent sur les forums du monde entier et transmet ses enseignements à l’académie du FBI de Quantico. De l’assassinat du président Kennedy à l’alunissage de 1969, en passant par la crise des missiles de Cuba, l’information est sans cesse remise en question par les complotistes les plus fervents. Certain qu’il comprendra mieux leur fonctionnement et leur logique, Turner décide de s’immiscer au coeur d’une étrange réunion, une réunion qui le conduit à douter de la réalité même… Se pourrait-il que les classes dominantes soient à l’origine de faits qui n’ont jamais eu lieu ? Approché par le Département des Vérités, une agence gouvernementale occulte, Cole va rapidement être exposé à de nombreuses réponses bien différentes de ce qu’il imaginait. Des réponses qui ne manqueront pas de soulever de nombreuses autres questions.
Une plongée au coeur des plus grands complots de l’Histoire !

À propos de l'auteur de cet article

Victor Benelbaz

Tombé dans la marmite de la bande dessinée depuis tout petit, Victor est un vrai amateur éclairé. Comics ou récits jeunesse sont les deux genres préférés de ce professeur de français.

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