Moby Dick

170 ans après la parution du roman de Herman Melville, Moby Dick, la baleine blanche, hantise du capitaine Achab, continue de fasciner. Cette fois-ci, la légende refait surface grâce à une adaptation signée Bill Sienkiewicz. Une merveille que rééditent les éditions Delcourt.

APPELEZ-MOI ISMAËL…

Moby Dick est une baleine blanche, et c’est aussi l’objet de la quête ultime du capitaine Achab. Pour la capturer et se venger de l’affront qu’elle lui a fait en lui arrachant la jambe, il écume les mers à bord du Pequod.

Pour mener à bien son entreprise, il peut compter sur son courageux second, Starbuck. Mais surtout, il s’est alloué les services d’intrépides harponneurs, comme Queequeg, le collectionneur de têtes humaines, Tashtego, le redoutable guerrier indien ou encore Fedallah, le sombre adorateur de Zoroastre.

Et parmi cet équipage, un jeune visage détonne ; c’est celui du frêle Ismaël, qui n’a qu’un désir : échapper à une société dans laquelle il n’a pas sa place.

UNE SOURCE INÉPUISABLE D’INSPIRATION.

Nombre de récits de Herman Melville ont été l’objet d’adaptations : Taïpi, Bartleby le scribe… Mais parmi ces derniers, il en est un qui tient un rôle à part : Moby Dick. Issu de l’imagination exceptionnelle de l’auteur, le roman est devenu une légende qui a inspiré et inspire encore.

Ainsi, comment ne pas citer ici l’inoubliable film de John Huston dans lequel Gregory Peck campa le personnage du sombre et charismatique capitaine Achab ?

Côté neuvième art, la baleine blanche a aussi inspiré de nombreux auteurs de renom, tel Christophe Chabouté en 2014, ou Will Eisner en 1998.

Quelques années auparavant, en 1990, le grand Bill Sienkiewicz s’était déjà attaqué au monument. Et c’est cette œuvre que les éditions Delcourt ont la bonne idée de rééditer.

S’ATTAQUER À UN MYTHE.

Lorsqu’on se plonge dans le roman de Melville, on est surpris par l’incroyable diversité de l’œuvre.

Tantôt roman d’aventure, tantôt œuvre poétique, voire symboliste d’inspiration biblique, Moby Dick comporte aussi des pages documentaires entières dédiées à la chasse à la baleine et à tout ce qui s’y rattache. Ainsi, on est frappé par les descriptions des différents cétacés susceptibles de fournir la précieuse huile, par l’évocation des méthodes d’arrimage des barriques dans les cales, par la mention de termes nautiques aussi variés que techniques…

Face aux nombreuses facettes romanesques ciselées par l’orfèvre Melville, une tâche d’adaptation s’annonce ardue, surtout lorsque le résultat ne fait que 48 pages.

Comme un carnet de bord

Mais pour mener à bien cette entreprise, le duo composé de Bill Sienkiewicz et du scénariste Dan Chichester ont une idée magistrale :  faire du texte une sorte de carnet de bord.

Ainsi, bien que toujours portée par la voix d’Ismaël, la partie narrative de l’œuvre se retrouve considérablement écourtée, quitte à être parfois laconique.

Pourtant, et c’est aussi là que réside la réussite de l’œuvre, le texte conserve sa force ainsi que son savant mélange de poésie épique, de documentaire, d’action et de symbolisme. A ce titre, il convient de saluer le remarquable travail de traduction réalisé par Hélène Remaud-Dauniol (traductrice du très bon Gaijin salamander). Avec beaucoup de subtilité, elle conserve le style vigoureux de la narration, tout en ponctuant le texte de termes techniques maritimes, nécessaires pour transporter le lecteur sur le Pequod.

Ainsi, le texte se fait discret. Il survole les pages, distillé dans des cartouches savamment disposés pour accompagner les illustrations.

 LA RENCONTRE DE DEUX LÉGENDES.

Récompensé à de nombreuses reprises dans le monde entier, Bill Sienkiewicz est devenu une légende dans le milieu du comic book et de l’art en général. Il est en effet un des rares dessinateurs à avoir été exposé dans des galeries et même des musées.

Son style inimitable le rend reconnaissable au premier coup d’œil.

Dans Moby Dick, le dessinateur fait l’illustration de toute la palette de son art : acrylique, peinture à l’huile, aquarelle, collages, crayon… Les techniques se croisent et s’entremêlent dans un résultat étourdissant. L’usage des couleurs n’est bien entendu pas en reste puisque le noir et blanc rencontre les couleurs, des plus sombres au plus vives.

L’œuvre s’admire autant qu’elle se lit. Elle nous transporte, mettant sans cesse en avant sa fonction expressive et poétique.

Moby Dick est une œuvre totale dans laquelle le dessin est en adéquation parfaite avec la narration et la psychologie des personnages. Tant et si bien que la recherche graphique devient rapidement indissociable de l’histoire et de la folie destructrice du capitaine Achab. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer le travail réalisé sur les lignes délimitant les cases : droites et régulières au début, elle se métamorphosent au cours du récit pour finir discontinues et torturées, au moment de plonger au cœur de l’océan. Achab se cache dans les détails…

L’adaptation de Moby Dick par Bill Sienkiewicz est sans conteste une expérience visuelle. L’alliance parfaite entre l’histoire de Herman Melville et le style de l’artiste, mélange d’action, de poésie et d’expressionnisme envoûte le lecteur et l’emmène dans une aventure inoubliable.

Article posté le jeudi 04 mars 2021 par Victor Benelbaz

Moby Dick de Bill Sienkiewicz et Dan Chichester (Delcourt)
  • Moby Dick
  • Auteur : Dan Chichester, Bill Sienkiewicz, Herman Melville
  • Dessinateur : Bill Sienkiewicz
  • Coloriste : Bill Sienkiewicz
  • Traductrice : Hélène Remaud-Dauniol
  • Editeur : Delcourt
  • Collection : Contrebande
  • Prix : 14,95 €
  • Parution : 13 janvier 2021
  • ISBN : 9782413019756

Résumé de l’éditeur : Tout le monde – ou presque – connaît l’histoire de Moby Dick par Herman Melville. En revanche, lorsqu’un auteur de génie tel que Bill Sienkiewicz se penche sur une adaptation en BD de ce monument de la littérature,  cela en fait une œuvre doublement exceptionnelle.

Attiré par la mer, Ismaël, le narrateur, décide de partir à la chasse à la baleine. Il embarque sur Le Pequod, commandé par le Capitaine Achab, obsédé par un cachalot blanc particulièrement féroce surnommé Moby Dick qui lui a arraché la jambe. À travers le voyage « sans retour » de son personnage principal, Melville aborde des thèmes universels, le concept de classe et de statut social.

À propos de l'auteur de cet article

Victor Benelbaz

Tombé dans la marmite de la bande dessinée depuis tout petit, Victor est un vrai amateur éclairé. Comics ou récits jeunesse sont les deux genres préférés de ce professeur de français.

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