Une petite fille de huit ans se rêvant en sorcière décide d’aller botter les fesses d’un dragon, accompagnée d’un petit cochon et de son ami. Cette petite fille, c’est Brume. Nous avons rencontré l’un des auteurs de cette nouvelle série éditée par Glénat, Jérôme Pélissier. Nous lui avons posé quelques questions sur cet univers au charme fou, qui a tout de suite plu à la rédaction Comixtrip.
« Sa quête personnelle, c’est de devenir une sorcière et s’accomplir dans la magie. »
Jérôme Pélissier, pourriez-vous nous présenter Brume ?
Brume, c’est l’histoire d’une fillette qui rêve de devenir une sorcière. Elle admire Naïa, une ancienne sorcière disparue. Elle rêverait donc de la remplacer.
Elle habite un village dans lequel les sorcières et les sorciers ont toujours joué un rôle très important.
Sa quête personnelle, c’est de devenir une sorcière et s’accomplir dans la magie. Elle va vivre des péripéties assez incroyables, puisqu’en ce qui concerne son talent réel de sorcière, on peut se poser beaucoup de questions. Elle va se retrouver dans des situations périlleuses, mais très drôles.
Comment pourriez-vous qualifier cette petite fille ?
Elle est attachiante. Elle est impertinente et a un caractère de feu. Elle peut paraître peu sympathique, mais elle a finalement un cœur énorme. Elle aime ses compagnons d’aventures même si elle ne le montre pas. Elle est volontaire. Rien ne l’arrête et elle va au bout de ses rêves.
Mais elle reste une fillette de huit ans avec ses peurs et ses moments de doute.
La série Brume n’est pas une énième série sur un enfant qui aimerait être un.e sorcièr.e. Quels sont les éléments en plus qui la différencient ?
Ce n’est pas un univers de prédilection. Avec Carine Hinder, la co-réalisatrice de l’album, nous sommes allés vers ce monde parce que nous habitons un village où une véritable sorcière a habité. Nous nous sommes dit que cela était dommage de ne pas utiliser ce folklore local.
Notre héroïne n’a pas de réels pouvoirs magiques. L’objectif de ce premier tome, ce n’est pas de savoir si elle va réussir à devenir une sorcière. Notre sujet, c’est une fillette qui admire une personne et toutes les questions qui découlent de ce côté fan, et comment on se construit par rapport à une idole. On se cherche, on se trouve et quelles déceptions on peut en avoir.
« Il était important que ce cochon soit le narrateur mais qu’il ne parle pas. Il n’a pas le don de parole mais il pense. Les enfants peuvent néanmoins lire ses pensées grâce aux bulles noires. »
Dans la quête de Brume, il y a des personnages secondaires dont Hubert le petit cochon. Il ne parle pas mais il pense et intervient dans les moments clefs de l’intrigue. Comment est-il né ? Quelles ont été les influences pour sa création ?
C’est l’un des personnages les plus importants. Pour l’inspiration, cela va parler à une génération plus ancienne…
Ranma 1/2 ?
Alors non. On l’a découvert qu’après. Avec Carine, nous avions envie d’un personnage accompagnateur, un animal de compagnie mais nous ne voulions pas aller vers le « chat noir » parce que c’était du déjà-vu. Nous avons alors listé des animaux et le cochon nous a plu immédiatement.
Il était important que ce cochon soit le narrateur mais qu’il ne parle pas. Il n’a pas le don de parole mais il pense. Les enfants peuvent néanmoins lire ses pensées grâce aux bulles noires. Il y a donc une distanciation, un gouffre entre les bulles de pensée – souvent très profondes parce qu’il est le personnage qui intellectualise le plus les situations – et sur l’attitude qu’il a dans les cases, donc dans le visuel. Nous, on aime lorsque le visuel ne raconte pas la même chose que la bulle. Dans la bulle d’Hubert, il réfléchit beaucoup alors que dans la case, il a cette petite tête mignonne et très drôle.
Ce que j’ai eu en tête en le créant, c’est l’Inspecteur Gadget que je regardais enfant. Le personnage principal, Gadget, ne résout jamais rien. C’est Finot le chien et sa nièce Sophie qui arrivent à résoudre les situations. Hubert, c’est celui qui va rattraper toutes les bêtises de Brume. Brume, elle, fonce toujours tête baissée.
« Brume est née de la brume »
Pour revenir à ce que vous disiez auparavant sur l’origine géographique du village de Brume, comment avez-vous eu l’idée de ce cadre qui est donc réel ?
Nous voulions vraiment rattacher l’histoire à un terreau qui existe réellement. Avec Carine, nous avons quitté Paris pour venir nous installer à Rochefort-en-Terre. Nous y avons découvert tout le folklore et notamment Naïa. Un écrivain s’est d’ailleurs penché sur sa vie. C’est la seule sorcière dont on a des photos. Même si ça ne nous a pas donné tout de suite l’idée d’une histoire.
L’autre aspect de notre village, ce sont les habitant.es. C’est un peu un village d’Astérix. Tout le monde s’apprécie, se connaît mais il y a quand même des disputes.
Brume est née de la brume. À Rochefort-en-Terre, il a des brumes matinales somptueuses en automne. Nous sommes des artistes et nous fonctionnons par le visuel. Nous nous sommes dit qu’il fallait utiliser cette brume. Nous imaginions une silhouette noire dans cette brume et nous avons tout de suite pensé à la sorcière.
Il y a eu le confinement qui nous a apporté l’idée d’un village dans lequel personne ne sort. En dehors de la ville de Brume, il y a donc des dangers dont celui du dragon. En choisissant des créatures fantastiques, cela permettait de parler de confinement.
Notre quotidien et notre changement de vie ont créé un vrai chamboulement, une rupture. Tout cela est propice à la rupture dans une histoire.
Nous avions envie de créer nos propres héros, nos propres « ailleurs ». Nous avons beaucoup travaillé avec d’autres auteurs et nous avions aussi envie de rompre cela.
Lors de la création de Brume, aviez-vous envie de créer un conte ? Est-ce délicat de mettre en place ce style de narration ?
Oui, c’est toujours difficile de créer une histoire. Avoir une idée de départ, cela semble facile mais après il faut trouver la construction de l’histoire. Je n’ai rien inventé. J’ai réfléchi à une unité de lieu et une unité de temps. J’ai alors écrit une intrigue en trois actes.
Nous avions aussi envie d’avoir une bande dessinée très contemplative. Nous voulions des espaces pour prendre le temps. Je n’aime pas les histoires où ça va trop vite.
C’est votre premier album de bande dessinée tous les deux. Comment êtes-vous passés de l’illustration à la bande dessinée ?
Le plus difficile, c’était de se convaincre que l’on pouvait en être capables. Il y a eu un peu ce syndrome de l’imposteur. Par principe, lorsque l’on s’attaque à un art nouveau – pour moi le bande dessinée était un art nouveau – il faut en apprendre tous ses codes. J’avais la certitude que j’allais me tromper et j’avais peur d’y aller.
Dès les premières planches, le plaisir était là immédiatement et ça nous a rassurés. Il y avait des maladresses mais cela fonctionnait. Arriver à raconter des histoires avec des séquences. Nous avons rapidement pris le pli et trouvé notre écriture. Dans le tome 2, nous avons trouvé d’autres choses en narration et nous nous améliorons assez vite. C’est une évidence maintenant, nous voulons en faire d’autres.
Comment Brume est-elle arrivée dans le catalogue Glénat ?
Carine m’a demandé d’écrire une histoire d’héroïne dans cette brume et elle pensait à un album jeunesse. Des idées me viennent mais rapidement je me suis rendu compte que le récit est très dense pour un album jeunesse. Et comme cela me trottait dans la tête depuis très longtemps de faire de la bande dessinée, je lui ai demandé si elle voulait qu’on fasse cette histoire en bande dessinée.
Nous nous sommes alors donné un mois pour monter le dossier et l’envoyer aux éditeurs. C’était un investissement de notre part parce que pendant un mois, nous n’avions pas de rentrée d’argent. Mais, nous ne voulions pas prendre le risque pendant un an de le faire sans éditeur.
Nous l’avons soumis à huit éditeurs. La première réponse fut négative mais les sept suivantes étaient positives. Nous avons pu choisir avec qui nous voulions travailler. Le meilleur feeling au téléphone et en visio fut avec Nicolas Forsans chez Glénat. Il a tout de suite pointé les endroits où il fallait s’améliorer. Nous savions que Brume était une histoire de sorcière et qu’il fallait tout de suite trouver notre spécificité. Nous avons alors lu beaucoup de livres et de bandes dessinées sur ce thème.
« Nous avions remarqué, notamment grâce à nos enfants, qu’ils étaient très réceptifs quand on joue avec les règles, quand on est peu borderline. Il faut que l’on frise la limite »
Comme vous l’avez dit précédemment, Brume est impertinente. Pourquoi était-ce important qu’elle ait cette personnalité ?
Ce qui nous frustrait la plupart du temps, c’est que l’on trouvait que c’était trop sage. Nous voulions de l’impertinence. Nous avions remarqué, notamment grâce à nos enfants, qu’ils étaient très réceptifs quand on joue avec les règles, quand on est peu borderline. Il faut que l’on frise la limite.
J’ai conscience qu’elle est détestable au début et qu’elle va agacer certaines personnes. Dans le tome 2, nous calmons un peu ce caractère fort. Dans le premier volume, nous avions donc envie de lâcher les chevaux et de ne pas se censurer. Nous voulions créer des situations très « limites » parce que nous savions que c’était cela qui ferait rire les enfants.
Ce qui est agréable dans Brume, c’est le côté complémentaire des trois personnages. Brume insupportable et qui fonce tête baissée, Hubert qui réfléchit et Hugo intello peureux. Pourquoi aviez-vous eu envie de cette complémentarité ?
Chez Hugo, nous aimions sa loyauté. C’était aussi le moyen pour rétablir l’équilibre avec le caractère de Brume. Dans le tome 2, nous lui donnons plus d’importance. Dans le 1, le pauvre, il s’en prend plein la tête et dans le 2, Brume est reconnaissante de cette loyauté. Avec un trio, on peut jauger un équilibre entre les différentes émotions.
Comment vous partagez-vous le travail avec Carine Hinder ?
Nous nous sommes connus il y a plus de 25 ans à l’école Estienne. Nous avons réalisé notre projet de fin d’études ensemble. Très tôt, nous avons su travailler ensemble. Puis, nous avons aussi travaillé dans la même entreprise de jeux vidéo. Et nous avons aussi réalisé des albums jeunesse à deux.
Nous avons utilisé stratégiquement les forces de chacun, ainsi que nos goûts personnels. Carine vient de l’animation. Elle est très forte en posing et les expressions faciales des personnages. Il suffit de regarder les expressions d’Hubert pour voir tout son talent. Grâce à cela, elle m’a fait économiser beaucoup de dialogues.
Ce que j’adore travailler ce sont les couleurs et la lumière mais aussi écrire les dialogues. Nous connaissons nos forces et nos faiblesses et nous nous faisons confiance. Et c’est une vraie force de travailler à deux.
Quand l’un montre le travail à l’autre, il voit tout de suite les problèmes. Il le dit, on modifie et on avance.
Est-ce que cela veut dire que lorsque que vous travaillez ensemble, votre fusion amène une autre entité, un nouvel auteur ?
Oui, c’est un peu ça ! D’ailleurs, nous avons hésité à créer un pseudo et un personnage comme les Kerascoët. Mais finalement, nous avons gardé nos noms parce que nous avons chacun nos projets seuls.
Vous venez d’expliquer que tous les deux vous aviez suivi les cours de l’école Estienne et que Carine avait travaillé dans l’animation, est-ce que cela veut dire que vous avez réfléchi à Brume comme une série d’animation ?
Oui, mais nous ne nous forçons pas à le faire. Même lorsque nous réalisons des livres d’illustration. Nous pensons toujours plans et cadrages. Dans le jeu vidéo – Carine a aussi travaillé pour des séries animées télé – nous nous racontons des histoires comme cela. Nous regardons énormément de films d’animation, donc nous sommes influencés par cela.
On nous dit souvent que Brume ressemble à un film d’animation.
Est-ce que cela veut dire que Brume, à l’image de Bergères Guerrières, peut devenir une série animée ou un film d’animation ?
Brume intéresse beaucoup de monde dans cet univers de l’animation mais je ne peux pas en dire plus.
En quoi est-ce important de s’adresser à des enfants ?
Parce que c’est un public génial ! J’ai beaucoup de difficultés à écrire pour des adultes. Vraisemblablement parce que mon enfance est encore très présente en moi. Les émotions que j’ai ressenties lorsqu’enfant je lisais des bandes dessinées ou un roman sont encore très vives. Adulte, j’ai beaucoup de mal à retrouver ces émotions. Plus jeune, ces émotions, elles sont multipliées par dix.
J’ai l’impression que c’est plus simple pour moi de les atteindre encore actuellement et donc par mes livres.
« [Les enfants] sont très spontanés, nous disent leurs passages préférés »
Quels sont les retours des lecteurs pour ce premier tome de Brume ? Est-ce que cela vous donne des idées pour la suite de l’histoire ?
C’est un moment que je savoure lorsque je rencontre des jeunes lecteurs. Je les vois avec des étoiles dans les yeux. Ils sont très spontanés, nous disent leurs passages préférés. Ce qui nous permet de voir ce qui fonctionne et donc nous nous nourrissons de tout ça ! Je suis d’ailleurs plus à l’aise en dédicace avec des enfants qu’avec des adultes.
Merci Jérôme Pélissier pour votre disponibilité et pour avoir répondu à nos questions.
Entretien réalisé par Mathieu Morvan et Damien Canteau, le samedi 9 septembre 2023 lors du Comic Art Festival de Bruxelles.
- Brume, tome 1/3 : Le réveil du dragon
- Scénariste : Jérôme Pélissier
- Dessinatrice : Carine Hinder
- Coloriste : Jérôme Pélissier
- Éditeur : Glénat, Tchô ! la collec…
- Prix : 12,50 €
- Parution : 26 avril 2023
- ISBN : 9782344051733
Résumé de l’éditeur : Apprentie sorcière : croire en soi reste le plus puissant des sortilèges !Recueillie dans la forêt par un père aimant, Brume est une petite fille espiègle qui ne rêve que d’une seule chose : devenir sorcière ! Le jour où son papa adoptif lui dévoile l’ouvrage secret qui entoure sa naissance, un grimoire de magie, tout s’éclaire. Et si Brume était une véritable sorcière ? Et la voilà, traînant un chaudron d’occasion derrière elle, prête à ouvrir sa première échoppe de sorcière ! N’en faisant qu’à sa tête, elle recrute en chemin son assistant, un petit cochon prénommé Hubert, et se lie d’amitié avec Hugo, un petit garçon ravi de l’aider dans cette entreprise exaltante. Mais Brume ne semble pas avoir les aptitudes d’une véritable sorcière… Ses sorts ne produisent aucun effet. Quant à sa première potion, elle vient de plonger tout le village dans un épais brouillard ! Peu importe : convaincue de la puissance de ses pouvoirs, elle décide de s’engouffrer dans la forêt interdite pour combattre un dragon légendaire qu’elle tient pour seul responsable de ce brouillard nauséabond. Têtue, déterminée et un brin arrogante, elle va entraîner Hugo et Hubert dans une folle aventure qui va en surprendre plus d’un. Et si Brume avait réellement un don et une destinée hors du commun ? Jérôme Pélissier et Carine Hinder entrent au catalogue Glénat avec une série désopilante mettant en scène une petite héroïne forte, drôle et attachante qui évolue dans univers hors du temps. Le dessin très doux et soigné de Carine Hinder et le scénario rythmé de Jérôme Pélissier font de cette trilogie la série jeunesse de la rentrée à ne pas manquer !