Entretien avec Sébastien Samson

De son enfance dans le nord de la Vienne, Sébastien Samson en a tiré une bande dessinée. Entre deux gares, c’est l’enfance le long d’une voie de chemin de fer. C’est sa mère garde-barrière, les maisons abandonnées et les jeux avec ses amis. Nous avons posé quelques questions à cet auteur, professeur d’arts plastiques à Bayeux. Passionnant.

« Je me suis dit que si ça me travaillait autant, c’est qu’il y avait un sujet à creuser. »

Sébastien Samson, votre précédente publication datait de 2016, Le marathon de New York à la petite semelle. Pourquoi avoir pris autant de temps pour ce nouvel album ?

Oui, il m’a fallu huit ans pour publier mon nouvel album. Il faut dire que je suis revenu tous les deux mois du côté d’Arçay pour m’imprégner de l’atmosphère.

Je suis aussi professeur d’arts plastiques dans deux collèges de campagne vers Bayeux. Je réalise donc mes albums sur des temps volés à mon repos.

J’ai surtout pris énormément de temps pour me documenter. J’y ai passé trois ans. Depuis l’âge de quinze ans, je prends des photos de mon environnement. Non pas en vue de m’en servir pour mes albums, au départ, mais pour moi. Je me suis rendu compte que c’était comme une forme de documentation. Une masse énorme de clichés. Je me suis dit que si ça me travaillait autant, c’est qu’il y avait un sujet à creuser.

« Cette ligne de chemin de fer désaffectée sur laquelle je reviens. Elle m’attire comme un aimant. »

Dans la postface, vous dites que votre enfance fut banale. Pourquoi ce qualificatif ?

En y repensant, je me suis finalement dit que j’avais eu une enfance très banale et classique. Mais pourtant pas tant que cela, puisqu’il y a cette ligne de chemin de fer désaffectée sur laquelle je reviens. Elle m’attire comme un aimant.

J’ai alors fait parler mes parents, qui habitent à 500 m de cette ligne aujourd’hui. En les écoutant, j’ai eu envie de raconter cette enfance banale. Mais finalement à raconter, c’est assez prenant.

Est-ce à dire que cette ligne de chemin de fer, c’est votre ligne de vie ?

Oui, c’est exactement ça. C’est une veine qui est tarie aujourd’hui mais dont il y a encore les séquelles. Je me sens comme un petit morceau de métal rouillé, comme un clou. J’en ai d’ailleurs toujours sur moi que j’apporte en dédicace et que j’offre aux lecteurs. C’est ceux que je ramassais enfant. J’en ai encore beaucoup.

La documentation fut donc essentielle. Comment l’avez-vous travaillée ?

Pendant ces trois années, je me suis posé les questions de ce que je voulais garder et ce que j’éliminais. Au début, j’ai écrit mon projet comme un roman. De manière littéraire. Il faisait une centaine de pages.

J’en ai ensuite parlé à Vincent Henry, éditeur à La Boîte à Bulles, qui a tout de suite été partant. J’ai épuré et j’ai enlevé des chapitres qui m’intéressaient moins.

Vous parlez aussi de cartes postales dans l’album. Quel rôle ont-elles joué ?

J’ai trouvé énormément de cartes postales d’Arçay. J’ai d’ailleurs été très étonné d’en trouver autant et aussi précises sur mon village. Je pouvais en plus les confronter à la réalité. Il ne manque que celle de la maison où je vivais. Mais bon, finalement ce n’était pas si grave.

J’ai alors fait des recherches sur le photographe. Il s’appelait François Georges Dando Berry, était franco-anglais et a travaillé à Loudun.

J’ai aussi fait des recherches dans les registres paroissiaux. Je ne voulais pas que cet album soit nostalgique dans le mauvais sens du terme. Pas triste. Je voulais montrer que ce n’était pas spécialement mieux avant. Quand on remonte très loin, c’est même pire. Je raconte sur les quatre pages, que je tire des registres paroissiaux, que la vie avait l’air assez cruelle.

« J’essaie de mettre en lumière ce qui peut me relier à la vie des autres. »

Était-ce une envie de votre part de mettre de l’humour dans l’album ?

J’avais peur que l’on ne sente pas du tout qu’il y avait un peu d’humour. En écrivant, je m’amusais beaucoup. Le livre précédent, Le Marathon de New York à la petite semelle, ne pouvait être que drôle. Je ne pouvais pas raconter la course vue par un vainqueur, donc par un loseur, cela devenait amusant.

Le Marathon de New York à la petite semelle et Entre deux gares sont des récits autobiographiques. Est-ce que cela était plus simple pour vous afin d’écrire un album ? Est-ce voulu ?

Je me suis rendu compte de cela après. Je suis quelqu’un de très timide, de renfermé et parler de moi n’est pas quelque chose que j’aime faire.

Mais, je pense que c’est plus facile. C’est un prétexte. J’essaie de mettre en lumière ce qui peut me relier à la vie des autres. Quand je parle de course à pied, je ne parle pas de moi mais des coureurs. Entre deux gares, c’est pour parler de l’enfance en général. Comment fait-on lorsque l’on avance en âge ?

« J’ai cinquante ans aujourd’hui et ce retour en enfance s’est fait tout seul. »

Afin de ne pas réaliser qu’un album autobiographique classique, vous avez choisi un axe narratif singulier. Vous faites entrer en contact votre moi adulte et votre moi enfant. En quoi cela était logique dans votre approche ?

L’histoire s’est imposée lorsque je revenais à Arçay. Je me promenais sur cette voie et le récit est venu tout seul. Je marchais sur la ligne et les chapitres s’organisaient tout seuls dans ma tête. Je rentrais et je dessinais instantanément.

J’ai cinquante ans aujourd’hui et ce retour en enfance s’est fait tout seul. Je ne l’ai presque pas fait consciemment.

Le raconter comme cela – adulte / enfant – me permettait de bien marquer le temps avec des gammes de couleurs. Les scènes contemporaines en bleuté et l’enfance très colorée, très vive.

Lorsque le lecteur parcourt l’album, il découvre que vous avez eu une enfance heureuse. Était-ce vraiment le cas ?

J’ai découvert très tard que j’avais eu une enfance heureuse. Adolescent, je me suis rendu compte que j’avais grandi dans un milieu modeste. Mais, je préfère plutôt le qualifier de « milieu épargné ». Épargné aussi par l’argent, par les soucis.

Au-delà de l’horizon de la ligne de chemin de fer, c’était assez mystérieux et attirant. C’est la bande dessinée qui m’a sorti de cet horizon. En lisant Goscinny, Lucky Luke et Astérix. Tout à coup, il y avait autre chose et il fallait que je puisse y aller.

Est-ce à dire que vous ne sortiez pas de cette zone géographique limitée d’Arçay ?

Oui. Je n’ai découvert Poitiers que lorsque j’étais lycéen en internat à Camille Guérin. C’est le lycée où l’on pouvait suivre le cursus Arts plastiques. Ça a été violent pour moi, ce changement.

Comme je ne sortais pas de ma zone quand j’étais plus jeune, tout était motif à exploration. Le dolmen, les broussailles, les arbres et les maisons abandonnées, tout était prétexte à l’aventure.

« [Arçay], j’y reviens comme je retrouve mon enfance. »

Que représentent Arçay, la Vienne et le Poitou pour vous aujourd’hui ?

J’ai beaucoup d’attachement à Arçay. C’est aussi assez ambivalent. J’y reviens avec plaisir mais j’ai aussi un petit fond de tristesse de voir que ce n’est plus la vie que j’avais connue. C’est l’enfance qui est loin, pas vraiment les lieux qui ont changé. J’y reviens comme je retrouve mon enfance.

J’aime aussi cette solidarité, ces liens entre les gens de ces petits villages. Ils se connaissent tous, vont les uns et chez les autres.

Comme vous le mentionnez, c’est votre fils qui a servi de modèle pour vous enfant. Pourquoi l’avoir choisi ? À cause de la ressemblance physique ?

C’est simple. Son bureau où il travaille se trouve en face du mien. Il a sept ans aujourd’hui. Pendant toute la réalisation de l’album, il était là, devant mes yeux. Lorsque j’ai commencé l’album, il avait trois ans mais il a grandi très vite. C’était le modèle idéal. Parfois, j’avais une pose qui me manquait alors je lui disais de la pendre. C’était parfait.

« À mes parents pour leur dire que j’avais une dette envers eux, que j’avais énormément apprécié tout ce qu’ils avaient pu faire pour moi à leur niveau. »

Il y a aussi la thématique de la transmission dans cet album. En quoi cela était important à aborder ?

J’ai écrit cet album pour mes parents et mes enfants. À mes parents pour leur dire que j’avais une dette envers eux, que j’avais énormément apprécié tout ce qu’ils avaient pu faire pour moi à leur niveau. Et c’est extraordinaire.

Mais aussi transmettre cela à mes enfants. Savoir d’où viennent leurs grands-parents qu’ils voient peu, leur papa. Et savoir où ils vont avec ça.

Je dirais que mon livre est honnête. C’est surprenant de qualifier un album d’honnête mais c’est exactement cela. Je ne voulais pas plaire à un certain public. J’ai juste parlé de ce dont j’avais envie.

Comment faire pour se représenter adulte ? Est-ce délicat ?

Ce personnage, je l’avais déjà beaucoup travaillé dans Le Marathon de New York à la petite semelle. Je l’ai d’ailleurs beaucoup plus dessiné dans cet album que dans le nouveau. C’était un personnage qui était toujours en mouvement, qui courait. Finalement, c’était assez facile de me dessiner.

Ce sont surtout les autres qui étaient plus délicats à appréhender. Comme ils existent, il ne faut pas trop se tromper. Il ne faut pas les décevoir, notamment mes parents. Ils ont d’ailleurs beaucoup ri. Les gens les interpellent dans le village pour leur dire. Ça les amuse !

Pour représenter mes parents, je suis allé piocher dans les photos de famille. Je ne les ai pas fait poser.

Qu’est-ce qu’ils en ont pensé de cet album ?

Ils ont deux réactions très opposées. Mon père est plus pudique. Il ne m’a quasiment pas dit ce qu’il pensait du livre. Je pense qu’il apprécie.

Je l’ai laissé le lire, je suis allé me promener pendant ce temps, je suis revenu et il ne disait rien. Je lui ai demandé si je n’avais pas dit trop de bêtises. Il m’a répondu : “non, non” et c’est tout.

Ma mère fut plus enthousiaste, plus loquace. Elle était heureuse.

Le livre commence à New York. Je voulais parler du complexe de l’imposteur dans Entre deux gares, au début et à la fin. Je me suis renseigné sur ce syndrome. C’est soit un excès de trop d’attente parentale, soit pas assez. Dans mon cas, c’est la deuxième option.

Mes parents m’ont encouragé pour faire ce que je voulais. ça m’a beaucoup aidé. Mais, j’avais peut-être un manque de cadre. Ils ne me poussaient pas. Ça a généré un manque de confiance. C’est intéressant de commencer le livre par cela. Puis revenir sur ce manque de confiance.

Ils ont toujours été là quand il fallait, aux moments clefs pour pouvoir accomplir ce que je voulais.

Finalement, votre maman n’a pas exercé le métier de garde-barrière très longtemps. Pourquoi ?

Ce fut très court mais ce furent des années importantes. Lorsqu’elle est arrivée sur ce passage à niveau, elle avait une vingtaine d’années. Elle m’a eu très jeune. Ce fut mon enfance réelle jusqu’à mes dix ans. Ça a fondé ma personnalité. Ce fut court dans le temps, mais ça reste gravé profondément en moi.

Avez-vous un lien avec les trains ?

Alors pas du tout. Étrangement, les trains ne m’ont jamais intéressé. Ce fut d’ailleurs difficile lorsqu’il a fallu que j’en dessine dans l’album. Je n’avais aucun souvenir de quel type de train passait sur la voie. Et selon l’époque, ceux qui transportaient des céréales ou autre chose. Pourtant, c’est précis et il ne fallait pas que je raconte n’importe quoi. Avec Vincent Henry, l’éditeur, nous nous sommes vraiment penchés là-dessus. Il a trouvé de la documentation.

Pour l’anecdote, j’avais fait une erreur. J’avais représenté un train de passagers au lieu d’un train de céréales. J’ai donc rectifié.

C’est avant tout la voie qui m’intéressait. Surtout parce que j’y passais des heures. Il n’y avait qu’un passage de train journalier. Je n’en avais aucun souvenir, aucune photo.

Est-ce que cette voie en friche, c’est défricher votre enfance ?

Oui, c’est exactement ça. Si je ne me souviens pas du train, je me souviens du son du roulis et de l’odeur des céréales. Les wagons exhalaient une odeur très forte de blé, notamment en été.

La voie aussi a une odeur très forte. Ça sent la pierre, le ballast. Nous, on s’amusait à lancer les pierres le long du rail pour faire des étincelles. Ça sentait très fort le pétard.

« L’ascenseur social, pour moi, a pris la forme d’un long escalator horizontal, planté de petits clous rouillés. »

Quelle place tient Entre deux gares dans votre carrière ?

Je ne sais pas, je n’ai fait que trois livres. C’est en tout cas, le seul que je voulais faire. Ce n’est pas prétentieux de dire cela. Si je voulais dessiner quelque chose, c’était ça ! Raconter cette vie, de cette façon-là. Ce n’est peut-être pas très attirant au départ comme livre mais il faut saisir qu’il y a une métaphore : entre deux gares, c’est aussi un “entre deux âges”. Sur la couverture, on le voit, on passe de l’enfant à l’adulte. C’est un carrefour.

On peut sortir des rails, réinventer sa vie. Pour moi, cela a été par la découverte de la bande dessinée, mais on peut s’extraire par tout autre moyen, la création, le sport… L’ascenseur social, pour moi, a pris la forme d’un long escalator horizontal, planté de petits clous rouillés.

Maintenant, je cherche un sujet qui me motive autant pour la suite. Depuis le mois de mai, je n’ai pas dessiné. Je commence à me documenter sur plusieurs sujets. Ça ne parlera pas du tout de moi.

Sébastien Samson, finalement, vous cherchez votre nouvelle voie. La voie, c’est le fil conducteur de notre entretien, de votre vie.

Oui, c’est exactement cela.

 

Merci Sébastien Samson pour ce très beau moment d’échange, pour nous avoir confié des recherches et autres photos à voir dans les diaporamas.

Sébastien Samson en dédicace à Bulles d'encre Poitiers (crédit photo : Comixtrip / Damien Canteau)

Entretien réalisé le samedi 10 février 2024 à Poitiers
Article posté le dimanche 18 février 2024 par Damien Canteau

Entre deux gares de Sébastien Samson (éditions La boîte à bulles)
  • Entre deux gares
  • Auteur : Sébastien Samson
  • Editeur : La boîte à bulles
  • Prix : 24 €
  • Parution : 03 janvier 2024
  • Pagination : 144 pages
  • ISBN : 9782849534809

Résumé de l’éditeur : Fils aîné d’une famille de jeunes ruraux, le jeune Sébastien Samson ne connait que le périmètre de son petit village et du chemin de fer qui le traverse comme une veine et rythme les journées de sa maman, garde-barrière. Enfant, il se construit dans ce monde clos, dans lequel la naïveté et l’ignorance du monde favorisent les rêves, en même temps qu’elles tendent à les rendre caduques. Pourtant, Sébastien sent déjà que sa vie ne se passera pas ici, pas dans le même monde que ses parents. Aujourd’hui, Sébastien est devenu adulte, parent. En plus d’être professeur d’arts plastiques, il est également auteur de bande dessinée. Il se rend à New York pour la promotion de son dernier livre. Soudainement, Sébastien croit apercevoir son double, enfant, en plein New York. Une illusion saisissante… Revenu sur les terres de son enfance rendre visite à ses parents, l’adulte entame un dialogue avec ce petit garçon plein d’ambitions qu’il a été. Explorant ensemble les terrains en jachère et maisonnettes en ruine de son passé, Sébastien éclaire d’une lumière nouvelle cette enfance disparue. D’abord tenté par une forme de nostalgie, Sébastien adulte va progressivement transformer son regard sur cet environnement familier, jusqu’à considérer que l’enfance vécue ici était privilégiée, sans doute même favorisée, à rebours des clichés sur la vie en milieu rural.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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