Je suis fan de manèges depuis que je suis tout petit : Rencontre avec Mathias Martinez

Mathias Martinez à récemment sorti sa première bande dessinée au éditions Misma. Intitulé Clocki, le bouquin nous emmène sur les pas de quatre personnages plus ou moins liés à Clockiland, parc d’attraction un brin tordu et Clocki, sa mascotte. En plus de dresser un amer constat sur ces hauts lieux du consumérisme et du capitalisme que sont les parcs d’attractions, Martinez prolonge le plaisir de l’exploration urbaine, le fameux Urbex où comment l’homme regarde dans son rétroviseur les lieux dont il a laissé la garde à Mère Nature.

L’Urbex et la nature

La nature ne se gêne d’ailleurs pas pour réinvestir les lieux abandonnés et elle à bien raison. Les images et vidéos rapportées montrent des lieux fantomatiques, non pas possédés par des âmes en errance (quoi que) mais bien une végétation foisonnante et multiple, nouvelle locataire longue durée, enchantée de pouvoir pourrir les lieux à sa manière. Comme un moyen de rappeler que quoi qu’il arrive, une fougère sera toujours plus forte que nous. A l’heure ou le genre du Post-Apo n’a jamais été aussi tendance, ces lieux, moteur de mille fantasmes, créent une sorte de vision de fin du monde. Encore faut-il, comme le veulent nos chères dystopies, croire que nous allons tous mourir demain.

Fascinant Mirapolis

Mathias Martinez vit et travaille à Strasbourg et expose régulièrement ses dessins à la Galerie Arts Factory de Paris ou à la galerie E2sterput de Bruxelles. Cette année, il a été remarqué par la maison Jean-Paul Gaultier qui lui a demandé de réaliser sa carte de vœux 2022.

Né en 1993, il a poussé en banlieue parisienne, près de Cergy-Pontoise avec d’un coté les ruines du parc Mirapolis, qui le fascine encore, au milieu le RER A et de l’autre le bien vivant Disneyland Paris. Son sujet de parc maudit, rarement traité en bande dessinée (si ce n’est jamais) est né au carrefour d’influences étonnantes et d’un univers visuel bienvenue. Astérix, Mickey, un homme qui fait pousser des grands-huit comme des champignons et des pâtes effrayantes: rencontre avec le gérant de cette attraction folle.

Mathias Martinez, d’où vient votre intérêt pour les parcs d’attractions ?

Mathias Martinez Je suis fan de manèges depuis que je suis tout petit. Que ce soit dans des parcs d’attractions ou à la fête foraine. Plus ça brille, plus c’est démesuré, plus il y a de couleurs vives, de loopings, plus ça va me plaire ! Les parcs d’attractions, c’est venu après.
C’est surtout l’esthétique grotesque carton pâte que j’adore et leur capacité à mixer plein d’univers différents dans un même lieu. Je voulais que Clockiland garde ce côté hyper pop qui me fascine dans les parcs. Cela me permettait aussi de créer plein d’excentricités au niveau du dessin.
Ma fascination pour les parcs d’attraction tient aussi du fait que j’ai grandit avec le RER A que je prenais quotidiennement pour me rendre de Cergy-Pontoise où j’habitais, à Paris. Le terminus de la ligne c’est Disneyland Paris. J’ai toujours fantasmé de sécher les cours pour me rendre à Disneyland. Je ne l’ai fait qu’une seule fois et ce n’était pas si bien que ça.
Clocki parle de cette déception, de cet échec des parcs à totalement nous amuser. On a l’impression que les parcs d’attractions sont une échappatoire à la vraie vie, mais au final ça n’est qu’un condensé du réel. Ils sont seulement plus agréables à regarder.

Que représente un parc comme Mirapolis pour vous ?

Mirapolis, c’est le parc d’attractions que je n’ai jamais connu. Il était situé à côté de chez mes parents à Cergy-Pontoise. Il a fermé juste avant ma naissance car il était géré de la pire des façons et était bien trop coûteux. Mes proches en parlaient souvent comme d’un projet démesuré mais qui avait complètement foiré.
Adolescent,  je trainais sur des forums qui glanaient des images du parc et les postaient sur internet. C’est un projet architectural qui m’a toujours intrigué par son aspect utopique très années 80 et le fait qu’il n’en reste aujourd’hui plus rien.
Clocki évoque cet aspect immatériel des parcs, des endroits féériques démesurés mais qui sont au final très fragiles car dépendant de la loi du marché.
J’ai pu visiter Mirapolis après sa fermeture. Il ne reste que quelques éléphants bariolés sur les grilles d’entrée, éléphants que j’ai repiqué pour le chapitre consacré à Patoum et son parc à thèmes sécuritaire, Patoum Parc.
La majorité des attractions de Mirapolis ont été délocalisées au parc d’attraction Spreepark à Berlin. J’ai aussi pu le visiter mais il a fermé. Il était endetté jusqu’au cou et en plus, la police a retrouvé 180 kilos de cocaïne dans le mât d’une des attractions ! Je suis plus généralement fasciné par ces histoires de parcs d’attractions et des lieux de loisirs maudits. Ça m’a beaucoup inspiré pour Clocki.

Il semble que le vrai héros du livre soit le parc et non pas Clocki, pourquoi ce choix ?

J’ai d’abord pensé à Clockiland avant de penser à Clocki. Clocki n’est finalement que la raison du pourquoi le parc existe mais c’est aussi un personnage a succès comme un autre. Un peu comme Mickey ou Astérix, il est passé par diverses étapes avant de devenir un parc d’attractions.

J’aime beaucoup les histoires centrées sur des lieux et l’idée d’un récit choral. La vie d’un parc m’est venue de manière assez évidente. Le personnage de Clocki me permet de rendre hommage à l’univers des vieux cartoons qui me plait beaucoup autant que d’utiliser leurs codes visuels.

Pour moi, un parc est une sorte d’entité vivante, un lieu qui évolue vite, habité par des univers, qui se fait et se défait en permanence. C’est à la fois un endroit hyper matérialiste mais qui parait immatériel par son aspect rêvé et faux. Les parcs à thèmes sont déjà des personnages en soi et peu de fictions en parlent vraiment comme tel. Ils sont parmi les lieux qui parlent le mieux de notre société, de nos rêves et de nos déception, le tout de manière très sensible.

Comment avez vous pensé et créer vos différents personnages ?

J’ai remarqué que les histoires qui m’intéressaient à propos des parcs à thèmes étaient celles se déroulant en marge, celles que le parc ne veut pas raconter aux visiteurs. Le traitement des employés, les anecdotes un peu bizarres, les vices de sécurité, les parcs abandonnés, des non-dits rapportés par des connaissances ayant travaillé à Astérix ou Disney ou simplement des récits glanés sur internet m’ont inspiré ces destins, largement romancés par la suite.
Cette même unité de lieu du parc qui serait la base de tous ces récits est venue assez vite, d’où l’idée de faire du parc le personnage principal. Cela me permettait de raconter plusieurs histoires en une seule fois. La dimension du temps n’est venue qu’après.
Construire ces histoires avec des temporalités différentes symbolisent les étapes de la vie d’un parc, et plus généralement parle de la vie d’une utopie de son commencement à sa fin. Mais pas mal de mes histoires sont inspirées de faits réels. Par exemple, le deuxième chapitre qui raconte le destin de Jeanne et Serge s’inspire (très librement) de l’histoire de Kim Pedersen, un américain fan de montagnes russes qui en a construit plusieurs à taille réelle dans son jardin dans les années 80. Il a même réalisé un court métrage sur l’une d’entre elles !

Vous évoquez les vieux cartoons et leurs univers comme référence graphique.

Oui, j’adore plus généralement les cartoons des années 20 aux années 50 et je pense que ça se ressent dans Clocki. Pooch the Pup mais aussi les cartoons des studios Van Beuren.

Pour Clocki, je me suis beaucoup inspiré de Betty Boop et plus généralement des Frères Fleischer. Ils gardent dans leur cartoons un côté plus adulte et plus libre de ton que ceux de Walt Disney. Dans leurs vieux cartoons, surtout ceux du début, l’aspect enfantin des dessins est un puissant et sirupeux anesthésiant qui permet de mieux aborder des thèmes assez noir comme le viol, le sexisme, la crise financière, la mort, la drogue ou encore le sexe.

C’est cet enrobage mignon que je souhaitais pour donner encore plus de poids au livre. Il est pour moi une énième déclinaison sur le temps qui passe autant qu’il aborde des sujets de fond très tristes et fatalistes. On ne se méfie pas assez des cartoons et c’est ça que j’aime bien. Grâce aux Creepy-pasta* sur internet, de vieux cartoons refont surfaces et sont enfin appréciés pour ce qu’ils sont: des films d’auteurs surréalistes et ultra dérangés ah ah !

*Creepy-Pasta pour Copy/Paste, Copier/Coller, Creepy signifiant effrayant.

Vous pensez à un cartoon en particulier ?

Plusieurs même ! Un de ceux que je préfère c’est sans doute le creepy pasta « Suicide Mouse » qui concerne directement Mickey. Une vidéo en parle bien. Elle montre soit disant la fameuse séquence, cela reste évidemment à prouver !
Un des plus beaux c’est le Swing You Sinners de 1930 des studios Fleischer. Il ressort dans plusieurs classements des cartoons les plus dérangeants jamais produits, et il se retrouve couramment dans des vidéos Youtube d’horreur. Enfin, je pense à un court-métrage avec des marionnettes de la Warner, daté de 1930. Il est très connu et assez dérangeant. Il a été redécouvert et popularisé grâce à internet. On dirait presque un court-métrage de David Lynch, c’est fou.

Van Beuren

Quelles sont les autres références qui ont guidé vos pinceaux ?

Le travail de Calvo m’a aussi beaucoup influencé pour Clocki et plus généralement dans tout ce que je dessine. C’est un maître du dessin cartoonesque et grotesque qui a complètement posé les bases. J’admire sa capacité à pouvoir rendre vivant chaque objet qu’il dessine. Il donne énormément de mouvement à ses images. Son utilisation des sous-textes en bas de cases est une forme de narration qui fait directement échos à ses livres illustrés !

Comment est née cette collaboration avec les éditions Misma ?

Quand j’ai commencé Clocki, je m’étais déjà posé la question de l’éditeur en me disant que c’était probablement les frères Misma qui seraient les plus à même de créer le plus bel ouvrage.

Dans ce projet, je voulais donner beaucoup d’importance aux couleurs et à l’objet livre, rendre hommage aux vieux livre Hachette des années 40 et 50, utiliser les couleurs des vieux cartoons tout en cherchant à y incorporer des éléments plus contemporain et actuels.

Je ne voulais pas être dans la citation directe non plus et Misma l’a très bien compris. En ce sens, ils ont tout fait pour que le livre se démarque de cet aspect trop référentiel. Ils ont fait un travail de couleur et de mise en page démentiel ! Tout cela a été le fruit de nombreux échanges par mail, d’envois de planches tests et de références littéraires. Je suis très content de l’objet et je n’en reviens pas de tout le travail qu’ils ont accompli. J’espère que les lecteurs et lectrices apprécieront ces différents partis pris à la lecture.

Est-ce qu’il y a la volonté d’apporter un message à travers cette histoire ?

Oui et non. Disons qu’il y a plusieurs pistes et critiques dans Clocki, mais je voulais qu’elles soient quand même assez libres d’interprétations même si il y a des résonances évidentes avec notre époque.
J’ai commencé à dessiner les planches de Clocki quand les parcs d’attractions étaient fermés à cause du COVID. Quand tout était à l’arrêt. C’est aussi ce qui m’a fait pensé à des images de parcs déserts, vidés de ses visiteurs et qui m’a beaucoup inspiré.
Je me suis demandé si les parcs d’attractions allaient survivre à la crise sanitaire, si c’était pas des endroits symptomatiques d’une sorte de vieux monde capitaliste un peu dépassé. C’est un peu le point de départ de Clocki, rendre hommage au parcs tout en rappelant ce qu’ils sont vraiment un vaste écran de fumée consumériste qui tient finalement à peu de choses.
Pourtant, depuis la fin de la crise sanitaire et la réouverture, il n’y a jamais eu une fréquentation aussi haute dans les parcs d’attractions que maintenant, ce qui veut aussi dire beaucoup de choses ! Je pense il y a quelque chose à faire là-dessus, de nouvelles histoires à raconter. Il y a aussi une critique évidente de nos sociétés sécuritaires dans le chapitre sur Patoum Parc. Dans ce parc, le trop plein de balises et de restrictions empêche la fantaisie et l’amusement d’exister, tout autant que les personnages de Joe et Moe, le service de sécurité du parc, qui bloque tout pas de coté en faisant usage de la force.
Entretien réalisé le 12 mai 2023
Article posté le lundi 05 juin 2023 par Rat Devil

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Rat Devil

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