Loïc Méhée, dessinateur de Nonolulu

L’illustrateur pictavien, Loïc Méhée, publie sa toute première bande dessinée, Nonolulu, scénarisée par Paule Battault. Nous avons pris le temps de lui poser des questions sur cette très jolie entrée en matière. Entre dessin, végétaux, gags en une planche et humour enfantin, le dessinateur nous a conquis par son enthousiasme débordant.

Nonolulu de Loïc Méhée - recherches graphiques dans des carnets personnels (photo : Comixtrip / Damien Canteau)

Avec Mazan et Laurent Audouin, Loïc Méhée, vous êtes un peu le fil conducteur de Comixtrip depuis ses débuts (voir la vidéo ci-contre). Que de chemin parcouru pour le site comme pour vous. Que s’est-il passé pour vous ces 10 dernières années ?

J’entre pour la première fois dans le monde de la bande dessinée avec Nonolulu ! C’est un peu nouveau pour moi. J’avais réalisé une histoire parue dans la presse, il y a une quinzaine d’années, sur les conseils de Luc Turlan. Mais, c’était plutôt un livre-jeu avec de la BD.

Sinon, je ne fais que des strips dans la presse Jeunesse. J’ai toujours dit que ce n’était pas mon langage, mais maintenant je peux dire que je me suis super bien amusé avec Nonolulu.

Jusqu’à présent, j’ai toujours trouvé mon compte avec des commandes de livres, dans la presse, des documentaires et des jeux. Je repoussais un peu la bande dessinée, parce que ça me semblait un gros travail. J’adore faire 50 mille trucs en même temps. Donc réaliser un album de BD, on ne peut pas faire 50 mille trucs en même temps. Il faut bloquer plusieurs mois pour ne faire que ça.

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« Mon moteur, c’est explorer des choses que je n’ai jamais faites. »

Vous n’abandonnez pas l’illustration ?

Non. Je continuerai à explorer l’illustration. Mon moteur, c’est explorer des choses que je n’ai jamais faites. En ce moment, je travaille sur une petite série sur les héros de l’Olympe. La mythologie grecque, je n’y connais rien et je n’ai jamais vraiment dessiné dessus. Je suis donc content d’aller vers ce domaine.

J’ai aussi dessiné un très grand “cherche et trouve” pour l’université de Poitiers. Je vais en faire un pour Grand Poitiers. J’aime aller voir ailleurs que le monde de l’édition.

Combien de livres avez-vous publié ?

Finalement, je n’ai pas publié tant de livres que ça. Des albums, je n’en fais que deux par an. Donc, j’ai dû en réaliser moins de 20. Auxquels, il faut ajouter des illustrations de romans, des livres-jeu et des documentaires. Tout cela représente environ une dizaine de publications par an. Et tous les mois, je dessine dans la presse, notamment Youpi et Image Doc.

Je viens de la publicité, du travail de commande. C’est ce que j’aime.

Nonolulu tome 1 de Paule Battault et Loïc Méhée (éditions Auzou BD)

Comment le projet de Nonolulu est-il arrivé entre vos mains ?

C’est l’éditrice de la maison d’édition Auzou qui m’a contacté. J’ai fait des essais sur les personnages. Ça a fonctionné et je me suis mis dessus.

Nonolulu tome 1 de Paule Battault et Loïc Méhée (éditions Auzou BD)

Il s’agit de ta première collaboration avec Paule Battault, comment vous êtes-vous rencontrés ?

Non, j’ai déjà travaillé avec elle, mais je ne l’ai jamais rencontrée. Paule est rédactrice en chef de Mordelire chez Milan pour lequel j’ai déjà fait des illustrations. J’ai également mis en dessin un roman qu’elle a écrit : Sur la piste du dragon.

Nonolulu tome 1 de Paule Battault et Loïc Méhée (éditions Auzou BD)

« Je me suis plus appuyé sur des ressorts théâtraux que sur des ressorts de dessin. »

En bande dessinée, les dessinateurs sont, quelque part, des metteurs en scène comme au théâtre…

En illustration, on va être sur l’efficacité. Sur Nonolulu, il y a peu de décors. On est axé sur les dialogues et les personnages. Je fais un peu de théâtre d’impro et je me suis plus appuyé sur des ressorts théâtraux que sur des ressorts de dessin.

Nonolulu de Loïc Méhée - recherches graphiques dans des carnets personnels (photo : Comixtrip / Damien Canteau)

Qu’est-ce qui vous a plu dans le projet Nonolulu pour avoir eu envie de l’accepter ?

Je pense que c’était le bon moment pour accueillir un projet différent de ce que je faisais. L’univers me plaisait beaucoup. C’était centré sur des personnages. Et j’aime bien aussi les décors naturels.

Les décors végétaux sont assez simples à mettre en place. Ce qui me laissait de l’espace pour les personnages.

Je voulais accepter un projet que je ferais avec plaisir et à tenir sur la longueur.

Nonolulu tome 1 de Paule Battault et Loïc Méhée (éditions Auzou BD)

« J’ai cherché à ce qu’elle soit représentative de son caractère. »

Qui est Nonolulu ?

C’est une petite fille qui est très indépendante. Elle vit sa vie et dans sa tête, elle n’a besoin de personne pour avancer.

Comme les enfants se trouvent sur une île déserte, c’est parfait pour elle. Elle peut faire tout ce qu’elle veut.

C’est un personnage comme les 6 autres, qui a des qualités et des défauts. C’est ce côté non-manichéen qui fait naître des relations très différentes entre eux.

Nonolulu ne veut pas être cheffe. C’est plutôt Charlotte qui a cette envie. Elle veut plutôt vivre sa vie tranquillement, sans se soucier de ce que cela implique.

Du côté de son design, c’est l’éditeur qui m’a poussé à ce que Nonolulu ne soit pas stéréotypée. Mon fils, quand il l’a vu la première fois, pensait que c’était un garçon. Mais, à la rigueur, ça, on s’en fiche un peu de savoir si c’est une fille ou un garçon.

On l’imagine métisse, pas filiforme et elle a une dent cassée. J’ai cherché à ce qu’elle soit représentative de son caractère.

Nonolulu tome 1 de Paule Battault et Loïc Méhée (éditions Auzou BD)

Qui sont Jean, Charlotte, Kim & Bao et Alistair ? Quels sont leurs liens ?

En tout, il y a 6 enfants dont Nonolulu dont on vient de parler. Certains ont des liens familiaux. Nonolulu est cousine avec Jean. Charlotte et Alistair sont frère et sœur. Kim et Bao sont jumeaux.

On imagine qu’ils sont copains. Leurs parents ont fait naufrage, donc on imagine que les parents sont aussi amis.

Les enfants ont des âges différents, ce qui peut influer sur leurs caractères. Jean est le plus vieux. Il est posé, positif et calme. Charlotte aimerait être la cheffe. Elle est un tout petit peu plus âgée que Nonolulu, donc elle essaie de la diriger. Mais, elle n’a pas envie de ça. Alistair vit sa vie, dans la nature. Il est moins dans la relation de groupe. Kim et Bao sont un peu foufous.

Nonolulu de Loïc Méhée - recherches graphiques dans des carnets personnels (photo : Comixtrip / Damien Canteau)

Chaque personnage a un caractère bien particulier, comment faites-vous pour imaginer leur apparence ? Quelles sont vos inspirations pour leurs traits physiques ?

Je me suis beaucoup inspiré de mes enfants pour les personnages. Alistair, c’est clairement mon grand fils. Physiquement et dans son caractère. Nonolulu et les jumeaux, c’est ma fille.

Leurs caractères sont posés et donc cela va influer sur leurs postures. Alistair, je me suis donc inspiré de mon fils, qui ne se tient pas toujours droit.

Et, Bao, quasiment à chaque fois qu’il entre dans une case, il y a un animal qui a peur.

J’ai eu une bible pour chaque personnage concernant leur caractère qu’ensuite je pouvais traduire en dessin.

Nonolulu de Loïc Méhée - recherches graphiques dans des carnets personnels (photo : Comixtrip / Damien Canteau)

Pourquoi une robinsonnade ? Qu’est-ce que cela vous a apporté ?

Ça m’a tout de suite plu, notamment pour le décor. J’aime vraiment dessiner la nature. Lorsque c’est un décor urbain, je trouve cela toujours plus difficile s’il faut le dessiner plusieurs fois. Je suis moins à l’aise sur des choses comme ça à mettre en image.

Personnellement, j’aime construire des cabanes et j’aime les animaux. Ce sont des thèmes qui me touchent.

La première question que j’ai posée à l’éditrice, c’était de savoir à quelle époque l’histoire se situait. Aujourd’hui ou au 19e siècle. Elle m’a confirmé que le récit se déroulait aujourd’hui.

Et j’adore dessiner les personnages et leurs expressions, donc ici l’histoire était idéale pour ça.

Nonolulu tome 1 de Paule Battault et Loïc Méhée (éditions Auzou BD)

Comment dessiner des enfants ?

Souvent, en dessin, plus on fait une grosse tête à un enfant, plus il paraît jeune. Et en plus, comme j’ai remarqué qu’en 20 ans, les yeux de mes personnages étaient de plus en plus gros, il faut donc de plus en plus de place, donc une tête plus grosse.

L’humour de Paule Battault est très enfantin. Est-ce quelque chose que vous appréciez ?

L’humour de Paule fonctionne super bien auprès des enfants. Les livres que j’ai faits avec elle, tout de suite, m’ont parlé. C’est un langage que je comprends tout de suite. C’est familier pour moi.

J’ai fait lire des croquis à mon neveu, qui était dans la tranche d’âge ciblée, et ça a fonctionné ! C’est important pour moi de tester pour voir si ça marche.

Sur mes enfants, qui à l’époque commençaient juste à lire, ça a aussi fonctionné.

Des enfants de 5-8 ans seuls sur une île déserte, forcément qu’ils allaient faire des blagues de pipi-caca. Et moi, j’aime ça.

Loïc Méhée à Poitiers, le 6 janvier 2024 (crédit photo : Comixtrip / Damien Canteau)

 

Est-ce que vous avez proposé des idées à Paule Battault ?

J’ai très peu changé de choses dans le scénario de Paule. Quelques petits ajustements graphiques, mais peu.

Je ne me suis pas encore lancé dans le tome 2. Peut-être que je pourrais lui suggérer des gags plus visuels.

Nonolulu est une grande histoire composée de gags en une ou deux planches. Est-ce un tempo que vous appréciez ?

Cela faisait partie du pourquoi j’ai accepté. Ça m’a permis de faire d’autres projets en même temps à côté. Je n’ai d’ailleurs pas dessiné l’histoire dans l’ordre mais par ce qui me paraissait plus simple dans la mise en place des personnages et des décors.

Les 10 premières pages, je les ai dessinées en dernier. Comme ça j’ai pu dessiner la carte de l’île avec plus de logique.

Quand j’étais petit, je lisais Gaston Lagaffe et Léonard. Et le format de gag en une planche, c’est celui que j’affectionnais particulièrement.

Nonolulu tome 1 de Paule Battault et Loïc Méhée (éditions Auzou BD)

Quelles sont vos sources d’inspiration en dessin ?

Quand je commence un projet, j’aime bien partir de ce que j’imagine, sans rien de plus. Lorsque je réalise un livre documentaire, je fais pareil. Et ensuite, je vais me plonger dans des sources. Lorsque je fais l’inverse, je trouve que mon dessin ne décolle pas.

Je regarde peu les autres dessinateurs, sinon j’ai l’impression de trop faire l’éponge. J’ai regardé des films qui se déroulent dans la jungle et j’ai aussi écouté des livres-audio.

J’ai acheté Sa majesté des mouches d’Aimee de Jongh. Je l’ai lu mais j’avais déjà commencé à dessiner Nonolulu. Je voulais surtout voir comment l’autrice traitait la jungle dans son livre.

Pour faire des essais, avec ma fille, je suis allé à La planète des crocodiles à Civaux près de Poitiers. J’ai pris plein de photos et fait des dessins. C’est sympa parce qu’il y a plein de plantes type jungle tropicale. Il faut que l’on y croie quand je dessine des feuilles dans Nonolulu.

« Je voulais que l’on ne s’ennuie pas et que l’on retrouve facilement le gag que l’on aime dans l’album. »

Après l’inspiration, comment travaillez-vous vos planches ?

Je dessine au fur et à mesure. Je fais un story-board rapide. Même lorsque je réalise des albums illustrés, je fais un story-board.

Nonolulu tome 1 de Paule Battault et Loïc Méhée (éditions Auzou BD)

Par exemple, pour ce gag avec un palmier comme décor, je commence par trouver sa place. Ici à gauche. Puis, c’est de la mise en scène, comme au théâtre. Il faut qu’il soit là sans être trop imposant pour ne pas gêner la lecture.

Je voulais que l’on ne s’ennuie pas et que l’on retrouve facilement le gag que l’on aime dans l’album. Pour ceux qui aiment relire plusieurs fois le même.

Que se passe-t-il après le story-board ?

Je fais ensuite des crayonnés un peu plus poussés et qui sont quasiment le dessin définitif. J’ai dessiné l’album sur mon Ipad.

Pourriez-vous nous expliquer comment vous avez réalisé la colorisation qui est particulièrement soignée ?

J’ai fait l’encrage d’une page entièrement. J’ai ensuite une base de fonds de couleurs.

Je me fais une gamme restreinte de couleurs pour les personnages que je garde jusqu’au bout du livre. Je fais cela en amont lors de mes recherches. Ici le trait de contour n’est pas noir, mais un peu marron.

Nonolulu tome 1 de Paule Battault et Loïc Méhée (éditions Auzou BD)

Et pour les textures ?

Je fais les ombres après. Pour les couleurs, j’aime bien demander des avis sur mon rendu. J’ai demandé à Laurent Audouin, l’illustrateur de Poitiers. Il m’a conseillé de faire des pages avec une seule couleur.

En Jeunesse, on pense à tout en même temps – dessin et couleur. Là, c’est un peu différent.

Pourquoi avoir fait le choix d’un bar-restaurant pour travailler ?

J’aime bien être dans le bruit pour travailler. J’aime bien La Serrurerie parce qu’il y a du bruit mais il n’y a personne qui s’interpelle, ne parle trop fort.

Même chez moi, à la maison, il y a toujours une série ou de la musique en fond sonore.

Je ne suis pas quelqu’un de solitaire, j’ai besoin de voir du monde. Et travailler sur la tablette, c’est facile y compris ici, dans ce restaurant.

Nonolulu tome 1 de Paule Battault et Loïc Méhée (éditions Auzou BD)

Dans le catalogue d’Auzou, Nonolulu a trouvé sa place aux côtés de séries comme Migali et Elya. Vous nous avez dit que c’était une série. Avez-vous commencé le tome 2 ?

Non. Je n’ai pas encore reçu le scénario. Mais je vais sûrement m’y mettre dans 2-3 mois.

Le grand méchant de Vincent Guigue et Loïc Méhée (Les 400 coups)

Loïc Méhée, dernière question. Le 4 janvier, à l’occasion de la journée mondiale du braille, l’association Mes Mains en Or a adapté votre album Le Grand Méchant. Est-ce que vous pourriez nous en dire un peu plus ? Vous êtes à l’origine de ce projet ?

Pas du tout. C’est Nicolas Trost, responsable commercial chez Les 400 coups, un éditeur avec qui je travaille souvent et qui a édité le livre, qui nous contacté pour nous en parler.

Cette association choisit des livres qui peuvent fonctionner en braille. Puis les adapte et met les moyens financiers pour cela.

J’ai vu des photos mais je ne l’ai pas réellement eu en main. C’est typiquement le genre de projets que j’adore parce que je ne l’ai jamais fait.

Merci Loïc Méhée pour ces minutes en votre compagnie.

Entretien réalisé par Victor Benelbaz et Damien Canteau le 6 janvier 2024 à Poitiers.
Retranscription et mise en page : Damien Canteau
Article posté le mercredi 22 janvier 2025 par Damien Canteau

Nonolulu tome 1 de Paule Battault et Loïc Méhée (éditions Auzou BD)
  • Nonolulu, tome 1 : L’île super perdue
  • Scénariste : Paule Battault
  • Dessinateur : Loïc Méhée
  • Éditeur : Auzou BD
  • Date de publication : 23 janvier 2025
  • Nombre de pages : 104
  • Prix : 11€95
  • ISBN : 9791039542555

Résumé éditeur : Après le naufrage de leur bateau, Nonolulu et ses amis ont trouvé refuge sur une île paradisiaque et complètement déserte.Leurs parents leur envoient régulièrement des bouteilles avec des messages : ils arrivent les chercher, qu’ils ne fassent pas de bêtises en attendant ! C’est mal connaître Nonolulu qui, bien trop contente d’avoir une nouvelle vie sans parents, compte bien profiter des plaisirs de cette île fabuleuse, en entraînant ses copains dans toutes ses idées farfelues. Au programme : manger des kilos de bananes bien sucrées, faire une collection de coquillages bizarres et percer le mystère de la grotte qui parle.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une trentaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée) et co-responsable du prix Jeunesse de cette structure. Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip. Damien modère des rencontres avec des autrices et auteurs BD et donne des cours dans le Master BD et participe au projet Prism-BD.

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