À l’occasion du festival Quai des Bulles 2023 et de la sortie de L’Oiseau bleu, le premier tome de la série Anya, publié chez Les Éditions de la Gouttière, Crisse a bien voulu répondre à nos questions. Une interview de cet auteur chevronné pour en savoir plus sur sa première incursion, en compagnie de Fred Besson, dans le monde de la bande dessinée jeunesse.
Un univers pastel et doux pour accueillir Anya, une nouvelle héroïne qui devrait plaire aux plus jeunes, comme à leurs parents.
« Je suis très inspiré par le dessinateur, peintre et illustrateur russe, Ivan Bilibine. »
Crisse, d’où vous est venue l’idée de cette nouvelle série jeunesse ?
J’avais ça depuis très longtemps au fond de moi parce que je suis très inspiré par le dessinateur, peintre, illustrateur russe, Ivan Bilibine. Il a illustré des contes pour enfants, tous les contes de Pouchkine. Donc, il y a à peu près 40 ans, je suis tombé sur ses livres et j’ai tout de suite trouvé ça magnifique. Tout ce décorum de la Russie, des pays baltes, fantasmé avec des décors qui ressemblent à des gâteaux à la crème, avec un esprit de Noël. Depuis longtemps, je voulais retranscrire cela en bande dessinée.
Aviez-vous déjà travaillé sur ce genre de format ?
J’avais déjà fait une petite bande dessinée qui s’appelait Les compagnons de la taïga. Un format à l’italienne édité chez Soleil.
Quant à la genèse de cet album avec les éditions de la Gouttière, elle date d’une discussion avec Dave qui venait de sortir son premier Sous les arbres. J’avais trouvé ça vraiment amusant qu’il fasse un album de ce format-là. Il m’a convaincu, et surtout il m’a dit beaucoup de bien des éditions de la Gouttière.
Un an après, j’ai rencontré Pascal Mériaux, le courant est tout de suite passé. Six mois après, je lui proposais la première mouture d’Anya.
« Il a fallu que je m’adapte parce que jusqu’à présent je faisais des bandes dessinées pour adolescents et adultes. »
À quoi ressemblait le projet initial ?
Le format de l’album, la pagination, le nombre de pages, étaient parfaits pour faire un essai sans que cela implique beaucoup trop de temps. Mais c’est après, que ça a été beaucoup de travail, j’ai dû recommencer le projet.
J’avais proposé l’héroïne avec deux ou trois dessins, ainsi que le synopsis à Pascal Mériaux, qui lui aussi était fan de Bilibine. Donc aussitôt, on s’est entendu graphiquement. Mais il fallait revoir l’histoire et ça a été plus compliqué. Mais ça a surtout été enrichissant parce que j’étais demandeur aussi de ces retours.
Il a fallu que je m’adapte parce que jusqu’à présent je faisais des bandes dessinées pour adolescents et adultes. J’étais aussi plus ou moins connu pour mes dessins de pin up ou un peu sexy. Donc, un lourd bagage pour parler aux enfants.
Crisse, dans les premières pages de cet album, il est indiqué qu’il est dédié à Alaya, Armand et Manon. Sont-ils eux aussi à l’origine de ce livre ?
J’ai eu 65 ans en février 2023 et comme il me faut un an par album je me suis dit que si tout allait bien, j’avais en gros encore dix albums à faire. Donc ça m’a fait un peu paniquer. Il fallait que ce soient les dix albums que j’avais vraiment envie de faire. Dix albums pour montrer ce que je vaux graphiquement dans le métier. Le premier de ces dix, c’est donc Anya, L’Oiseau bleu. Mais il y en aura sûrement plus que dix, parce que c’est un album court.
« Effectivement, mes petits-enfants sont encore petits, mais ils commencent à bouger, à lire. »
Donc vous voilà partis avec les éditions de la Gouttière sur une série de plusieurs tomes.
J’espère qu’avec Anya et les éditions de la Gouttière on est partis pour de nombreux tomes. Je me suis fait récemment une réflexion en me disant que ce serait cool si je ne faisais plus que cela. Dix Anya. Ou même vingt puisque ce sont des petits albums.
Et puis je me suis fait une deuxième réflexion. Effectivement, mes petits-enfants sont encore petits, mais ils commencent à bouger, à lire. Je me suis dit que quand ils viendront me voir travailler dans l’atelier, j’aime autant qu’ils voient que je fais des choses comme ça. Des albums qu’ils vont pouvoir lire. Puis ils liront ce que j’ai fait avant, quand ils seront plus grands.
« J’ai beaucoup appris sur la façon dont on parle aux petits-enfants. »
Combien de temps avez-vous travaillé sur ce premier album jeunesse ?
Au départ, j’avais compté trois mois. Mais en réalité, ça a été entre cinq et six mois. Mais il y avait plein de réglages à faire suite aux retours avec la Gouttière. Et pour cela, je dois les féliciter et les remercier parce que j’ai beaucoup appris sur la façon dont on parle aux petits-enfants. Dave m’avait prévenu que ça ne sert à rien de faire juste du mignon. Il faut du fond et c’est un peu compliqué à trouver. J’étais parti au départ sur un conte de Noël.
« La lecture se fait à différents niveaux selon l’âge. »
Crisse, est-ce un grand changement que d’écrire une bande dessinée pour la jeunesse ?
Quand j’ai eu en main l’album imprimé, j’ai trouvé qu’il y avait beaucoup de texte. Ce dont je ne me suis pas rendu compte quand je le faisais. La bulle n’était pas grande, il n’y avait pas les couleurs. Mais on m’a dit que ce n’était pas grave parce que ce sont les parents qui le liront et en même temps, ils expliqueront.
Au départ, il y avait des choses pour les tout-petits que je n’avais pas intégrées. Maintenant ça va mieux, j’ai intégré des petites ellipses peut-être pas forcément induites pour les petits enfants. Mais la lecture se fait à différents niveaux selon l’âge. J’ai déjà eu beaucoup de retours positifs de parents et d’enfants. Ils ont adoré donc je suis très content.
« Donc Fred est co-auteur, il n’est pas seulement coloriste. »
Vous n’avez pas travaillé seul sur cet album.
Il serait temps qu’on parle du travail de Fred Besson. J’ai tout de suite vu, dès les deux, trois premières illustrations du projet envoyé aux éditions de la Gouttière, que ce serait au-delà de la mise en couleur. Il donne une véritable identité à cette histoire. Donc Fred est co-auteur, il n’est pas seulement coloriste.
Pouvez-vous nous dire comment vous fonctionnez ensemble ?
Cela fait plus de 20 ans qu’on travaille ensemble, donc on se connaît par cœur. Et justement là il m’a surpris. Je savais que sur cet album il allait faire du beau travail, que ça allait être magnifique. Tout ce que je lui ai donné comme indication, c’est que ça devait être très doux, des couleurs pastel mais chaudes. Je voulais un ciel violet et de la neige mauve. Je lui ai également envoyé les liens pour trouver les illustrations de Bilibine.
Donc cet album est le fruit d’une collaboration étroite mais aussi d’une connivence. Avec Fred, c’est ainsi depuis le début. Parfois il y a des retouches, mais là, il a eu au moins 90% de liberté pour mettre en place cette nouvelle série. Les premiers retours concernent cette couverture magnifique et puis les couleurs. Je suis très fier pour lui. Je lui dis tout le temps.
Pour vous, la place du coloriste est essentielle.
Très souvent le nom du coloriste n’est pas mentionné sur la couverture, juste à l’intérieur de l’album. Souvent, dans certaines séries, les coloristes sont plus ou moins interchangeables. Ce n’est pas forcément toujours le même qui fait les couleurs. Mais là dans Anya, c’est flagrant. Sans ces couleurs-là ce n’est plus le même album.
On a bien discuté et on se pose plein de questions pour le tome 2, savoir si on part sur une autre palette. Est ce qu’on garde ce violet rose comme comme couleur de base ? Mais ça risque de lasser un peu aussi. Donc on s’interroge beaucoup pour le tome 2.
Pouvez-vous nous parler de cet incroyable travail sur la couverture ?
On a beaucoup travaillé avec la Gouttière là-dessus. Fred s’est battu pour trouver la couleur qui pouvait faire le fond. Parce que ce n’était pas évident de trouver une couleur qui fonctionne avec ses violet et orange. Il y a eu d’autres essais, mais on n’a pas lâché celle-ci.
D’où vous est venue l’idée de l’encadrement sur la couverture ?
C’est tout le travail de maquette de l’équipe de la Gouttière qui a sublimé le l’objet. On a même eu une discussion pour savoir si on n’inversait pas avec celle de la quatrième de couverture parce qu’elle était vraiment très jolie aussi.
Je me fais un plaisir de le répéter, mais je suis content de l’investissement des deux côtés pour la réalisation de cet album et surtout pour l’avoir amené à ce niveau-là. La Gouttière est un petit éditeur avec des moyens normaux mais limités malgré tout. Ce qui ne nous a pas empêchés de bien travailler.
Pour vous, le soutien de l’éditeur est indispensable dans la réalisation d’un album ?
C’est important de se sentir suivi, de sentir que l’éditeur s’investit et qu’il ne veut pas éditer n’importe quoi, parce qu’il a une vraie politique. C’est rassurant aussi parce que quand l’album est terminé, il va se battre aussi avec nous pour le faire vivre.
Crisse est-ce difficile de changer sa façon de dessiner quand on passe à de la bande dessinée jeunesse ?
J’avais ce ce background un peu « sulfureux » pour une maison jeunesse, donc ils ont tenu à vraiment bien m’accompagner. J’étais également demandeur parce que je sentais bien que j’allais quelque part où je n’avais pas l’habitude d’aller. J’ai vraiment beaucoup appris parce que chaque fois que je recevais les remarques, je me disais qu’ils avaient raison.
Donc j’ai surtout fait attention puisque je sais que naturellement j’ai un côté sexy dans le dessin. Comme je savais que Fred aller faire des couleurs exceptionnelles, je me suis interdit de mettre du noir. Donc j’ai réalisé un dessin au trait afin de lui laisser toute la place pour mettre de la matière et de la couleur.
Avez-vous commencé à travailler sur le tome 2 d’Anya ?
J’ai envoyé le pitch du tome 2. On va bien sûr le retravailler. Pour le tome 1, L’Oiseau bleu, j’ai recommencé quatre fois le scénario. Et pour le dessin, j’ai eu une liberté totale.
D’habitude, quand j’écris pour d’autres dessinateurs, je fais le storyboard parce que je suis obligé de dessiner pour voir comment la page se tient. Mais quand je dessine moi-même, je sais ce que je veux. J’ai toujours eu l’impression que si je faisais pour moi un storyboard à l’avance, je n’aurais plus envie de dessiner puisque j’avais déjà raconté l’histoire.
Donc pour Anya, on a coupé la poire en deux et j’ai envoyé le storyboard cinq pages à la fois. Faire ainsi m’a bien aidé. Là encore, l’équipe de la Gouttière avait raison sur cette façon de faire.
« Fred et moi avons mis beaucoup d’affection et de tendresse dans cet album. »
Quel est votre regard sur ce premier tome d’Anya ?
Fred et moi avons mis beaucoup d’affection et de tendresse dans cet album. Même Fred, qui n’a pas l’habitude de faire ce genre de couleurs, s’est vraiment investi. Avec tous les retours de l’éditeur, page après page, on s’est sentis soutenus. Donc finalement, de l’avis de tous, cet album est très mignon.
Merci beaucoup Crisse d’avoir répondu à nos questions et de nous avoir permis de mieux faire connaissance avec le magnifique univers d’Anya.
INTERVIEW RÉALISÉE LE SAMEDI 28 OCTOBRE 2023 AU FESTIVAL QUAI DES BULLES PAR FABRICE BAUCHET ET CLAIRE KARIUS
RETRANSCRIPTION ET MISE EN PAGE : CLAIRE KARIUS, CRÉDIT PHOTOS : CLÉMENTINE SANCHEZ
- Anya, tome 1 : L’oiseau bleu
- Auteur : Crisse
- Coloriste : Fred Besson
- Éditeur : La Gouttière
- Prix : 10,70 €
- Parution : 20 octobre 2023
- Pagination : 32 pages
- ISBN : 9782357960985
Résumé de l’éditeur : La petite Anya, son grand-père Vassili et leur fidèle Kozak, vivent paisiblement au coeur d’une forêt aussi enchanteresse que mystérieuse. La quiétude ambiante semble compromise lorsque leur voyage à la ville ne se déroule pas comme prévu : Vassili ne parvient pas à vendre sa livraison de jouets, et Anya s’attire des ennuis en libérant de leur cage des oiseaux enfermés…