La tomate

Parce qu’elle a fait pousser un plant de tomates chez elle, Anne est jugée par un tribunal. Nettoyeuse d’objets passés, elle se laisse tenter mais est arrêtée. Dans un futur proche, faire pousser des légumes est devenu un crime. Anne-Laure Reboul et Régis Penet dévoilent La tomate, un superbe récit de science-fiction chez Glénat.

ANNE DU SERVICE D’ÉPURATION

Dans un futur proche sur Terre, les habitants sont catégorisés en 3 groupes : l’élite est dans le premier cercle, la classe moyenne dans le deuxième et la plèbe dans le troisième. Ces derniers pauvres vivent dans d’immenses immeubles délabrés, mangent peu et doivent se limiter en eau. Il faut souligner que tout a été aseptisé y compris la nourriture, gérée par de grands groupes alimentaires.

Pour effacer toute trace du passé, il a été créé le service d’épuration d’objets dont fait partie Anne Bréjinski, jeune femme d’une trentaine d’année. Tous les jours, elle se rend dans le troisième cercle pour éliminer tout ce qui a trait au passé (livres, tableaux…).

LA TOMATE : OBJET Du délit

Aujourd’hui, Anne récupère un livre de Martine à détruire, mais un sachet de graine de tomates tombe de ses pages. De retour chez elle, elle met le bouquin dans la machine pour le désagréger en disant cette sentence : « Et une merde de moins sur cette terre ! » Elle décide néanmoins de ne pas y mettre le sachet.

Alors que son mari rentre du travail, elle le cache. Les jours suivants, elle met en terre les graines dans un verre et l’arrose alors qu’elle sait qu’elle n’en a pas le droit…

UNE DYSTOPIE Aseptisée

Alors que certains pourront comparer hasardeusement La tomate à 1984 de George Orwell, le lecteur y verra une dystopie aseptisée glaçante. Le récit de Anne-Laure Reboul et Régis Penet est accrocheur et d’une grande crédibilité. Alors qu’actuellement les grands groupes alimentaires sont déjà puissants, dans l’album, ils régissent tout de A à Z. Ils limitent l’eau pour les plus pauvres et peuvent même les affamer afin qu’ils surconsomment ensuite. Le pouvoir est donc aux mains d’un petit nombre qui écrase le plus nombreux. Les castes (comme en Inde) ou groupes sociaux de l’Ancien Régime font leur retour divisés en trois.

Tout est aseptisé et tout ce qui n’est pas validé par le gouvernement est déclaré dangereux et doit donc être détruit. C’est ainsi que sont créées les unités d’épuration des objets anciens. Rien ne doit dépasser, tout doit rentrer dans l’ordre. On pense à la place de l’autre, c’est plus simple pour le contrôler. En rendant le monde plus hygiéniste, il devient triste – rendant les habitants eux aussi tristes – et se meurt.

Une ambiance oppressante et angoissante

Pour développer La tomate, les deux scénaristes ont choisi de présenter l’histoire de Anne à travers son procès. Ainsi, la jeune femme raconte sa vie et cette belle découverte. Ce sachet de graines représente l’interdit et donc la liberté. Comment la nature peut devenir plus puissante que l’oppression des Hommes ? Personne sur Terre ne peut cultiver de légumes, cela est considéré comme un crime. Les juges sont partiaux et glaçants dans leurs questions.

Comme toute la société se tient, le moindre grain de sable peut l’enrayer mais cela est exclu par les membres du premier cercle.

L’ambiance oppressante et angoissante du récit est magnifiquement mise en image par Régis Penet. Les couleurs sont froides parce que le monde se meurt et seules les tomates arborent une chaude, le rouge. Sur les visages des personnages de l’auteur de Koba (avec Jean Dufaux) sont impassibles, ne laissent rien transparaître ni joie ni peine, comme les habitants du troisième cercle, à jamais tristes. Le découpage et les cadrages sont classiques mais redoutables d’efficacité.

Sans contestation possible, nous n’aimerions pas vivre dans le monde de La tomate, tant il fait froid dans le dos !

Article posté le vendredi 23 février 2018 par Damien Canteau

La tomate de Anne-Laure Reboul et Régis Penet (Glenat) décrypté par Comixtrip
  • La tomate
  • Scénaristes : Anne-Laure Reboul et Régis Penet
  • Dessinateur : Régis Penet
  • Editeur : Glénat, collection Hors Collection
  • Parution : 24 janvier 2018
  • Prix : 19.50€
  • ISBN : 9782344015919

Résumé de l’éditeur : Dans le futur, faire pousser une simple tomate est devenu un crime Dans un futur aseptisé et indéterminé, la société est hiérarchisée en trois classes sociales distinctes. L’alimentation est devenue entièrement réglementée par des multinationales. Ce sont elles qui produisent et fournissent tout ce dont se nourrissent les citoyens, si bien qu’il est devenu strictement interdit de cultiver ses propres semences. Aujourd’hui, pour avoir découvert des graines de tomate et avoir osé les faire pousser chez elle, une jeune femme est emmenée devant les tribunaux. Ceci est l’histoire de son procès. Dans la lignée des grandes œuvres d’anticipation telles que SOS Bonheur ou 1984, ce nouvel album de Régis Penet questionne les dérives de notre société moderne et l’appropriation du vivant par des sociétés privées. Un récit qui part de rien (une simple tomate) et nous raconte la fin du monde… dans un futur qui ne nous semble pas si éloigné que ça.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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