Le coup de Prague

Le coup de Prague raconte un épisode de la vie mouvementée de l’écrivain Graham Greene pendant la Guerre froide. Un roman graphique brillamment mis en scène par le duo Hyman-Fromental.

VIENNE, NID D’ESPIONS

Dans cet album, tout n’est que chausse-trappes, pièges, faux-semblants et trahisons ! C’est dit-on le propre de tout roman d’espionnage. Ils jalonnent en tout cas les 96 pages du nouveau roman graphique concocté par un duo de choc. Au scénario de ce Coup de Prague, Jean-Luc Fromental, auteur, éditeur, scénariste pour la télévision, le cinéma et la bande dessinée, fervent admirateur de l’écrivain britannique Graham Greene (1904-1991). Au fusain et à la pierre noire, le dessinateur franco-américain Miles Hyman, dont on avait déjà vanté le grand talent au cours d’une chronique consacrée à La Loterie (Casterman, 2016).

Comme son titre ne l’indique pas, une partie de l’histoire se déroule à Vienne. En cet hiver 1948 qui fut, apprend-on, « le plus froid de l’après-guerre », l’écrivain britannique Graham Greene débarque dans une ville en ruines, enneigée, divisée en quatre secteurs, américain, russe, britannique et français. Il est officiellement en quête d’idées pour l’écriture d’un long-métrage commandé par la London Films. Il a en tête une histoire assez vague. Il s’agirait d’un homme qui voit passer dans la rue un ami qu’il a enterré trois semaines plus tôt… Cela donnera d’ailleurs au cinéma en 1949 le Troisième homme, de Carol Reed avec un certain Orson Welles.

UNE FEMME AU CŒUR DU POUVOIR

Pour le guider au cœur des quartiers luxueux et interlopes de la capitale autrichienne, l’écrivain dispose d’un guide de charme, la belle aristocrate Elizabeth Montaigu de Beaulieu, la narratrice dans l’album, « un peu actrice, un peu espionne ». Lui aussi a œuvré pendant la guerre pour l’Intelligence service britannique. Alors, quand deux anciens espions se rencontrent, que se racontent-ils ? Des histoires d’espionnage sans doute. Oui, peut-être, car on s’apercevra au fil des planches que Greene n’est pas seulement venu à Vienne pour écrire. Dans cette histoire à tiroirs, on comprend qu’il cherche autre chose et enquête sur une taupe de l’administration britannique…

DE L’AUTRICHE À LA TCHÉCOSLOVAQUIE

De Vienne on passe à Prague, autre capitale clé de ce récit. C’est là en effet qu’en cette année 1948, une révolution appelée le Coup de Prague (d’où le titre) se déroule, faisant basculer la Tchécoslovaquie dans le giron soviétique. Greene va s’y rendre sans qu’on sache jamais précisément ce qu’il doit y faire…

Entre personnages réels et faits historiques qui le sont tout autant, entre intrigues enchevêtrées et ajouts fictionnels des auteurs, le lecteur de ce one shot est sans cesse promené, sollicité. Dès qu’il croit tenir le fil de l’histoire, on le plonge dans un nouveau jeu de piste…

Tensions, trahisons, retournements, doubles jeux et complots sont les ingrédients de ce magistral coup de Prague. « Trahison, loyauté…Quel est le sens de ces mots dans un monde bâti sur le pillage, le meurtre, les génocides, les chambres à gaz, l’éradication nucléaire de villes entières » s’interroge Greene. L’écrivain espion sait de quoi il parle, lui qui dans bon nombre de ses livres a mis en scène tous ces travers de l’âme humaine.

Au final, on ressort un peu étourdi de la lecture de cet album aussi dense et fouillé que le trait de Hyman. L’élégance et le classicisme de son trait, son sens du cadrage ne pouvaient pas mieux servir cette aventure.

Décidément, ce Coup de Prague est véritablement un coup de maître!

Article posté le mercredi 03 mai 2017 par Jean-Michel Gouin

Le coup de Prague de Jean-Luc Fromental et Miles Hyman (Dupuis) décrypté par Comixtrip le site BD de référence
  • Le coup de Prague
  • Dessin : Miles Hyman
  • Scénario : Jean-Luc Fromental
  • Editeur : Dupuis
  • Prix : 18 €
  • Parution : avril 2017

Résumé de l’éditeur. Hiver 1948, dans le blizzard de la capitale autrichienne sous occupation des quatre puissances. Dépêché par le studio London Films, G. travaille à l’écriture de son prochain long métrage, assisté par l’énigmatique Elizabeth Montagu. Cette dernière, dont le passé militaire et les relations l’attachent aux services secrets britanniques, découvrira bien vite que le prétexte artistique dissimule de véritables tensions politiques et que les lendemains de guerre ne sont pas toujours chantants. Cette mission en apparence paisible basculera dès lors dans l’atmosphère sournoise d’une révolution fulgurante que l’Histoire retiendra sous le nom de « coup de Prague ».
L’illustrateur Miles Hyman, qui collabore avec de nombreux éditeurs et magazines, tel Libération, est aussi reconnu pour ses romans graphiques (« Le Dahlia noir », « La loterie »…). Pour sa première collaboration avec le scénariste Jean-Luc Fromental, il signe une oeuvre hybride qui s’amuse avec l’Histoire, plongeant dans les recoins inexplorés de l’après- guerre et du romanesque, entrelaçant les possibles en un récit aux multiples tiroirs, tel un jeu de piste admirablement mené. Un titre qui fera date.

À propos de l'auteur de cet article

Jean-Michel Gouin

Passionné par l'écrit, notamment l'histoire, la littérature policière et la bande dessinée, Jean-Michel Gouin est journaliste à Poitiers.

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