Atelier de traduction avec Miyako Slocombe

Samedi 24 février, la médiathèque François-Mitterrand de Poitiers accueillait l’atelier de traduction de mangas par Miyako Slocombe. Un moment d’échanges très riche autour du travail de la traductrice japonais-français de la série La cantine du minuit aux éditions du Lézard noir.

Un public amateur de manga

Pour commencer son atelier de traduction de mangas, Miyako Slocombe pose quelques questions au public concernant l’univers du manga.

L’ensemble des personnes installées dans l’auditorium de la médiathèque François-Mitterrand lit régulièrement des mangas. Quelques-unes apprennent le Japonais, certaines ont des notions de traduction. Il y a même une étudiante japonaise. Ce prérequis permet à la traductrice de gagner du temps pour la suite.

Miyako Slocombe, un parcours original dans la traduction

En introduction de cet atelier de deux heures, Miyako Slocombe brosse son parcours professionnel.

Elle est née dans une famille franco-japonaise. Sa mère est Japonaise et son père, Romain Slocombe, est écrivain et traducteur d’œuvres anglaises. A la maison, elle parlait donc français et japonais. Mieux, elle lisait souvent des mangas en langue française et en version originale.

Son père est ami avec Stéphane Duval, patron des éditions du Lézard noir. Alors que la structure éditoriale commence son aventure, l’éditeur lui propose de traduire Yume no Q-saku de Suehiro Maruo. Cette première incursion dans cet univers est délicate. Elle doit demander à sa mère les nuances pour être au plus juste.

De Maruo à l’INALCO

Miyako Slocombe confie alors que cette première traduction est une expérience stimulante. Elle décide alors d’en faire son métier. Pour cela, elle s’inscrit à l’INALCO (Institut National des Langues et Civilisations Orientales) à Paris en littérature moderne japonaise. Pendant ce cursus, elle part un an au Japon pour un stage.

En parallèle, elle poursuit son travail de traductrice, toujours pour le Lézard noir. Elle a même l’occasion de produire L’île panorama de Suehiro Maruo pour Sakka/Casterman.

Dse films et des pièces de théâtre

Miyako Slocombe se glisse de plus en plus dans le monde de la traduction. En plus de Casterman et le Lézard noir, elle travaille pour d’autres éditeurs. Ainsi, elle entre au catalogue Kana.

Cette expérience est formatrice. Elle passe un essai sur un épisode de Détective Conan. Elle veut aller vite pour cette traduction afin d’impressionner les éditeurs. Un document d’analyse lui est transmis. En plus des points positifs, une longue liste de points à améliorer est notée.

Mais Kana lui confie néanmoins la traduction du Pavillon des hommes. Elle prend la suite de Sylvain Samson, le traducteur originel qui n’a plus le temps de travailler sur ce titre. Cette série historique très dense est un succès au Japon, moins en France. Comme elle est encore nouvelle dans le monde de la traduction, cette suite lui permet de se glisser dans les pas de son prédécesseur qui avait fait tous les choix initiaux dans sa traduction.

Comme elle l’explique, quasiment tous les traducteurs sont free lance et travaillent pour plusieurs éditeurs. Cela garantit une certaine liberté.

Son métier s’ouvre aussi à d’autres disciplines. Miyako Slocombe réalise des sous-titrages de films ou des surtitres de pièces de théâtre. Elle est également interprète.

Des contraintes pour traduire

Après cette introduction sur son parcours, Miyako Slocombe aborde les contraintes de traduction japonais-français.

Lorsqu’elle travaille avec un éditeur sur un titre, elle commence par numéroter les bulles japonaises en rouge (voir ci-dessus). Ce système lui permet d’envoyer sa traduction au lettreur. Sous forme d’un document word, elle note ses phrases en français après le numéro de la bulle.

Puis, Miyako Slocombe aborde le problème de la taille de la bulle et de condenser une phrase pour que cela loge dedans et soit compréhensible pour les lecteurs français. Si elle traduit mot à mot, ses phrases prendraient trois fois plus de place. Elle explique que l’on peut alors s’aider de l’image, voir supprimer si l’information est déjà dans l’image afin de gagner de la place.

Des échanges enthousiastes

Miyako Slocombe propose au public de participer. Elle demande des idées pour gagner de la place sans changer le sens de la phrase.

Parmi ses exemples : “Je ne te conseille pas d’essayer quoique ce soit.”

Le public propose alors :
– Ne tente rien.
– N’essaye même pas.

La traductrice explique qu’il n’y a pas de bonnes réponses. C’est la sensibilité du traducteur qui prévaut. Il est d’ailleurs important de noter des mots plus familiers dans des mangas d’action.

Le public est très investi. Il a beaucoup d’interactions. Les personnes font souvent des propositions pertinentes. Miyako Slocombe est très positive, très enthousiaste et chaleureuse. Cela est très agréable dans ces échanges.

Elle explique qu’elle ne se demande jamais : “Comment on dirait en français” parce que cela ne fonctionne pas. Quant aux verbes “être, avoir, faire”, elle essaie de ne pas les utiliser et préfère des verbes qui enrichissent le vocabulaire.

 

Questions de genres et onomatopées

A Angoulême, en janvier dernier, Miyako Slocombe a participé à une conférence sur le genre dans la traduction japonaise. Le japonais utilise le genre neutre, cela est donc pratique pour ne pas trop en dévoiler sur un personnage. Ce n’est pas le cas en français.

Dans les mangas, les personnages s’expriment souvent de manière très prononcée. Un homme de façon très masculine, une femme de façon très féminine. Comment faire alors lorsqu’il y a des dialogues d’hommes homosexuels sans être dans le cliché. Des questions qui s’ouvrent aux traducteurs et qui sont intellectuellement intéressantes.

Miyako Slocombe poursuit son atelier avec le même exercice mais cette fois-ci avec les onomatopées. Elle propose au public des exemples comme l’intensité du bruit de la pluie ou lorsque des personnages mangent dans La cantine de minuit.

Elle souligne que des éditeurs permettent de changer les onomatopées par des verbes ou des adjectifs. Certains effacent pour redessiner le lettrage comme Akata ou d’autres laissent tel que en faisant des notes de bas de page comme Cornélius. Quoiqu’il arrive, il ne faut pas introduire de l’ambiguïté là où il n’y en a pas en japonais.

L’atelier de traduction de mangas est un excellent moment d’échanges. On aurait quasiment pu qualifier ce temps de masterclass, tellement il était maîtrisé et parsemé d’informations essentielles sur la traduction.

Article posté le dimanche 25 février 2024 par Damien Canteau

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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