Boys of the Dead

Un jour du XXIe siècle, une pandémie devient incontrôlable. Une pandémie de zombies. Mais en Amérique, l’apparition de cadavre cannibale contagieux n’arrête pas le monde de tourner, ni les histoires d’amour et les manipulations psychologiques. Douji Tomita nous dévoile trois histoires, chez Akata, pas si farfelues que ça en temps de fin du monde.

Bienvenue à Zombieland

La radio résonne dans la boutique. Seul phare sur les routes d’Amérique, une station service brille dans la nuit. Derrière le comptoir, un homme lit, une cigarette au bec, quand la cloche sonne. Les clients, un dimanche à 2h du matin, c’est forcément des gens louches.

Voilà comment commence Boys of the Dead. Par nous planter un décor au limite du réel. Au cœur de la nuit, quand l’aube est encore loin mais qu’on sait qu’elle vient. A cette heure où rien de bon ne se passe.

Des deux clients qui entrent dans sa boutique, l’homme derrière le comptoir ne saura jamais s’il leur a conté leur véritable histoire, ou simplement un bobard. Comme ça, pour passer le temps. Oh bien sûr, il y a des indices…. Mais rien n’est certain quand le narrateur lui-même déclare qu’il a menti.

D’emblée nous nous tenons à la frontière entre chimère et réalité. Mais aussi entre vivant et mort. Et c’est là que nous resterons tout le tome.

Enfoncez-vous dans cette Amérique devenue folle et amère, nous dit l’autrice. Vous allez voir des horreurs.

Romance of the dead

Les trois histoires que raconte Douji Tomita s’articulent autour de rencontre. William et Adam, Conor et Linus, Raymond et Lawrence. L’une est violente autant physiquement que psychologiquement, une autre est profondément romantique et la dernière est malsaine. Le décor est posé. Nous vivons avec des zombies, ne vous attendez pas à de l’eau de rose.

Pourtant, avec ces trois histoires, Douji Tomita va à contre-courant de la plupart des BL.

Faisons une parenthèse définition : un BL est l’abréviation de Boys Love, autrement appelé Yaoi. Ils relatent, souvent, une rencontre ou des retrouvailles entre deux hommes dont l’attirance est à la fois émotionnelle et physique, l’un entraînant l’autre et vice-versa. Ces histoires-là vont souvent avoir pour sujet la rencontre elle-même, le propos de l’auteur sur la solitude, l’estime de soi, la peur, l’injustice du monde, etc. est moins mise en avant que la relation des personnages.

C’est une définition généraliste. Non exhaustive, mais gardons celle-là pour la suite.

Car justement, Douji Tomita se sert de ces histoires pour mettre en avant différent propos. Sous couvert de BL, elle interroge la nouvelle réalité des personnages.

Un monde où traîne un peu de lumière dans les ténèbres.

Il est certain qu’une invasion zombie tire plus sur le drame que le paradis, exception faite de 100 Bucket list of the dead dont c’est le sujet. Dans Boys of the dead, l’autrice ne raconte que des drames. Des histoires sales et amères. Elle raconte comment notre monde s’est assombri sans disparaître totalement.

Dans cette Amérique défigurée, on retrouve encore les préjugés, le confort d’un foyer, des gouttes de quoditien entre deux fuites. Elle raconte justement, que tout le monde ne fuit pas de la même façon. Elle raconte que la morale s’effondre, mais jamais complètement. Que pour survivre, notre esprit trouve des chemins détournés et que la folie, telle qu’on la définit aujourd’hui, peut devenir une banalité.

Il n’y a pas d’absolu dans Boys of the Dead. Aucun comportement n’est condamné par l’autrice, ni enjolivé. Simplement exposé devant nos yeux de spectateurs qui contemplent le désastre, avec en bouche, le goût doux-amer de la fin d’un monde.

Et le sexe dans tout ça …

Pour les lecteurs de BL, il est discret, glissé ça et là entre deux pages. La caméra de la mise en page évitant de trop s’introduire dans l’intimité des personnages. Le sexe n’est pas représenté dans ce qu’il a de plus beau. Boys of the Dead n’est pas un BL fait pour caresser la rétine du lecteur. Il est là, sans mise en scène sublime.

Pour les non-initiés qui se seraient emparés d’un manga de zombie sans vérifier le petit pins « Zombie BL » sur la couverture, et bien … Il y a du sexe. Glissé çà et là entre deux pages. Quelques cases sur le bombé d’une paire de fesses, quelques ventres, bustes et silhouettes en contre-jour.

Mise en garde surtout sur la nature non-consentie de certaines relations.

Vous l’aurez compris, j’ai un parti pris : les scènes de violences sexuelles ne sont pas gratuites dans Boys of the Dead et servent toujours le propos de l’histoire. D’ailleurs, les scènes de sexe tout court aussi.

Le début et la fin

Nous sommes comme cet homme derrière le comptoir d’une station service. Nous sommes vivants, sûr de l’être, sur nos gardes, certains que le monde – ou l’autrice – va se jouer de nous. Le lecteur est un spectateur regardant les marionnettes de l’univers vivre intensément sur scène, mais détaché de toute cette folie.

Nous entrons dans l’histoire par cette station service, et ce n’est pas anodin.

Douji Tomita écrit de très bonnes histoires. Son recueil de nouvelles fonctionne d’un bloc. Elle dépeint un tableau comme un triptyque. Plusieurs fresques qui témoignent d’une réalité différente de son univers. Ce mécanisme de mise en scène concrétise les émotions invoquées par tel ou tel récit. C’est ce qui fait de Boys of the Dead un manga si bien conçu, fort, émouvant autant que sordide.

Boys of the Dead est un cauchemar. Mais un de ces cauchemars, que finalement, on aimerait bien continuer un peu avant de se réveiller. Car il s’y passe des choses intéressantes.

Article posté le mardi 22 mars 2022 par Marie Lonni

Boys of the Dead - Douji Tomita - Akata - couvertre
  • Boys of the Dead
  • Autrice : Douji Tomita
  • Éditeur : Akata
  • Prix : 8,05 €
  • Parution :  24 février 2022
  • ISBN : 9782382122198

Résumé de l’éditeur : Dans une Amérique dévastée, et tandis qu’une épidémie transforme les humains en morts-vivants, l’Humanité essaie, tant bien que mal, de survivre… Dans un monde en perdition, suivez le quotidien torturé, entre survie, amour, désespoir et séquestration, d’individus livrés à eux-mêmes, qu’ils soient fils, frère ou amants…

Avec un style graphique unique, Douji Tomita livre un recueil de nouvelles étonnant. Grâce à son dessin poisseux, l’artiste dépeint un monde sale et sans espoir, à réserver aux amateurs de récits sombres et graphiques…

À propos de l'auteur de cet article

Marie Lonni

"C'est fou ce qu'on peut raconter avec un dessin". Voilà comment les arts graphiques ont englouti Marie. Depuis, elle revient de temps en temps nous parler de ses lectures, surtout quand ils viennent du pays du soleil levant. En espérant vous faire découvrir des petites pépites à savourer ou à dévorer tout cru !

En savoir