Après Cas d’école, Remedium s’attaque aux violences policières ordinaires avec Cas de force majeure, un recueil d’histoires vraies mettant en scène de simples citoyens ayant eu de gros problèmes avec les forces de l’ordre. Un album salutaire !
Remedium : citoyen engagé
Remedium est un citoyen engagé, dans le sens d’une personne agissant dans la cité. Sa citoyenneté, il l’exerce de deux manières : il est professeur des écoles dans la ville de Tremblay-en-France en Seine-Saint-Denis et il est dessinateur.
S’il a titillé la gestion du maire de sa commune dans son blog Titi Gnangnan qui lui a valu quelques démêlés avec l’édile, il a aussi publié des articles dans 64_pages ou Gavroche, mais également des albums jeunesse : Adama l’étrange absence d’un copain de classe (sur l’expulsion des sans-papiers) ou encore L’enfant qui ne voulait pas apprendre à lire (sur l’illettrisme).
Enfin, Remedium a mis en image des bandes dessinées : Obsidion, chronique d’un embrasement volontaire (sur le décès de Zyed et Bouna ayant entraîné des émeutes en 2005), Les contes noirs du chien de la casse (le quotidien de femmes et d’hommes en banlieue) mais aussi Cas d’école. Ce recueil met en scène les parcours brisés de professeur.es par l’institution de l’Éducation nationale. Dans un premier temps publié sur un blog du site Médiapart, puis aux éditions Les équateurs, Remedium a subi la pression de la part de Jean-Michel Blanquer pour faire supprimer une case montrant le ministre. Menacé d’un procès, l’auteur a caviardé cette vignette sur le blog. Comme le relate Antoine Ourdy dans son article sur Actualitté, la tension été au maximum entre les avocats de Blanquer et Médiapart.
Enfin, Remedium publie Cas de force majeure, des mini-récits, eux aussi mis en page sur son blog Médiapart.
Cas de force majeure : violences policières ordinaires
Si avec tous ces écrits, Remedium n’est pas inquiété plus que cela, alors ce sera un miracle. Il mérite que l’on salue cet engagement et sa bravoure. Surtout que dans Cas de force majeure, il appuie là où ça fait mal : les violences policières. Depuis l’avènement des Gilets jaunes, les dossiers concernant ces actes répréhensibles par la justice se multiplient. Couvert par la hiérarchie et l’IGPN (inspection générale de la police nationale) qui blanchit à tour de bras les fautifs, ces cas restent souvent sans suite.
Comme a pu le montrer La force de l’ordre, le très bel album de Frédéric Debomy, Didier Fassin et Jake Raynal, de nombreux personnels de la police se croient tout permis et font preuve d’impunité. Cas de force majeure se penche sur des femmes et des hommes ayant eu maille à partir avec les autorités policières tandis que l’album précédent se focalisait sur les policiers. Ainsi les deux albums sont extrêmement complémentaires.
Cas de force majeure : des affaires connues
Cas de force majeure relate ainsi des cas mis en lumière par la presse ou les citoyens : Cédric Chouviat, père de famille mort par étouffement sous les genoux de policiers, Théo Luhaka, violé par le tonfa d’un policier ou Zineb Redouane, petite mamie ayant reçu une grenade en pleine tête alors qu’elle voulait fermer ses volets pour ne pas être importunée par une manifestation. Elle décéda quelques jours plus tard.
Il y aussi l’histoire de George Floyd, mort par l’étouffement d’un policier américain et qui impulsa le mouvement Black Lives Matter. Sans oublier, Raphaël passé à tabac parce qu’il avait volé un scooter. Son oeil gonflé et son visage tuméfié firent le tour des chaînes de télévision. Mohamed, mort sur la banquette arrière d’un véhicule de la police municipale de Béziers. Enfin, Remedium rappelle le lynchage de Michel Zecler, dont les vidéos dans son studio d’enregistrement contredirent la version des policiers.
Cas de force majeure : dossiers méconnus
Alors que le gouvernement a voulu instaurer l’interdiction de filmer les policiers sur le terrain par les simples citoyens (dans la loi de sécurité globale), heureusement que celle-ci fut retoquée, sinon beaucoup de Cas de force majeure n’aurait pas pu voir le jour, être relayé sur les réseaux sociaux ou dans la presse et pu être transmis à la justice.
En effet, en France, les trois pouvoirs sont bien séparés. Ainsi le pouvoir de la police est distinct de celui de la justice. Pourtant parfois, des policiers font eux même la justice, allant au-delà de l’état de droit, donc de la démocratie. Comme les dizaines de lycéens de Mantes-la-Jolie mis à genoux par les policiers. Si Remedium ne parle pas de cette scène d’humiliation, elle aurait pu faire partie de son album, symptomatique des dérives de certains policiers. D’ailleurs lorsque le gardien de la paix et devenu force de l’ordre, c’est à ce moment que la police a changé de paradigme.
Remedium aborde aussi les dossiers méconnus du grand public pour leur rendre justice. Ramatoulaye, Sofiane, Houssam, Adil, Eliese, Elif ou Rosalie prennent ainsi vie devant les yeux des lecteurs. Comme pour Cas d’école, l’auteur n’oublie pas le donneur d’ordres : Gérald Darmanin. En six planches, il brosse le portrait du ministre de l’intérieur. Net et sans bavure !
- Cas de force majeure. Histoires de violences policières ordinaires
- Auteur : Remedium
- Éditeur : Editions Stock
- Prix : 18,50 €
- Parution : 19 janvier 2022
- ISBN : 9782234092990
Résumé de l’éditeur : Le 1er décembre 2018, Zineb, quatre-vingts ans, est sur le point de fermer les volets de son appartement, situé au quatrième étage d’un immeuble, lorsqu’elle est touchée par une grenade lacrymogène qui explose ensuite dans son appartement. Le lendemain, elle succombe à ses blessures. Le rapport d’expertise officiel conclut à une mort accidentelle.
À propos de l'auteur de cet article
Damien Canteau
Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.
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