Comme tous les enfants, le petit Dracula va à l’école. Parce qu’il n’est pas un élève comme les autres, un groupe d’enfants le harcèle jusqu’à lui faire vivre un véritable enfer. Ce malaise et cette pression sont contés dans Chaque jour Dracula, un très bel album jeunesse mis en image par Clément Lefèvre sur un scénario de Loïc Clément.
De l’humiliation…
Tout le monde connait Dracula, le célèbre vampire. Avant d’être un adulte terrifiant, il fut un petit garçon comme les autres – enfin presque – qui devait aller à l’école.
Très bon élève de la classe de Madame Stoker, ses différences – ses canines trop longues, ses pupilles couleur sang, sa frêle silhouette, son non-reflet dans le miroir et son intelligence – ne plaisaient pas à tous ses camarades. Christophe et ses deux sbires lui faisaient subir de nombreuses humiliations, ne le laissant jamais tranquille, y compris à la cantine. De l’ail, de l’eau bénite ou un vilain mot sur son front, Dracula vivait un véritable enfer.
… à la rébellion
Dracula n’osait rien dire à Vlad, son papa qui l’élevait seul, après le décès de sa maman. Malgré les pressions, seul sa petite chauve-souris blanche pouvait le réconforter.
Après l’incident à la cantine, le soir il décida d’informer son père des humiliations qu’il subissait : « Tu sais papa, parfois on… « m’embête » à l’école… » Vlad lui expliqua qu’il devait être plus intelligent qu’eux. Plus facile à dire qu’à faire.
Le lendemain, à l’école, Dracula était bien décidé à ne pas se laisser faire mais c’était sans compter sur la méchanceté de Christophe..
Chaque jour Dracula … a peur
Et si un album de bande dessinée permettait d’ouvrir la discussion sur un sujet fort et souvent tabou ? Au-delà du simple plaisir de sa lecture, Chaque jour Dracula peut servir de point de départ, de pont entre les enfants et les adultes (parents, enseignants, bibliothécaires) pour parler de harcèlement scolaire. En cela, l’histoire imaginée par Loïc Clément remplit parfaitement l’un des rôles du livre jeunesse : informer pour aller au-delà.
Si cette thématique est présente en bande dessinée (A silent voice, Orignal de Max de Radiguès, Les malheurs de Jean-Jean, Seule à la récré…), elle ne l’est pas encore assez. Pour incarner son récit, le scénariste de Le temps des mitaines, Les jours sucrés, Chaussette et Le voleur de souhaits, convoque un célèbre monstre ancré dans l’imaginaire populaire et lui invente une enfance. Alors que nous avons tous en tête la force et la terreur que le Dracula (grand) peut dégager, ici Dracula (enfant) est fragile et sous le menace d’élèves pas très futés. Ainsi, il inverse notre regard sur ce personnage en le rendant plus humain, plus proche de nous.
De l’intelligence du récit
Tous les codes autour des vampires sont égrainés : le teint livide, les yeux rouge de sang, la silhouette frêle, l’aversion pour l’eau bénite, les crucifix ou l’ail qui servent de défouloir aux harceleurs. Se démarquer, être différent, voilà ce que rejettent (craignent ?) les bourreaux. Pourtant les cultiver cela est une richesse, comme le sous-entend Chaque jour Dracula.
Pour rendre son histoire plus attrayante, Loïc Clément n’oublie pas de moments plus tendres (avec Vlad le papa protecteur, sa chauve-souris ou Mina son amie) mais aussi d’y glisser des notes d’humour.
Le lecteur apprécie la qualité de l’écriture, soignée et les mots pesés du scénariste – un point commun à ses précédentes publications – mais aussi l’intelligence dont fait preuve Dracula pour trouver des solutions à son malheur. Vengeance – sûrement pas – cela n’en vaut pas la peine.
Le diable se cache dans les détails
Si le récit de Loïc Clément est magnifique, que dire du dessin de Clément Lefèvre ? Il est somptueux. Décidément, le scénariste girondin sait s’entourer d’autrice ou auteurs de grande qualité (Anne Montel, Bertrand Gatignol). Il a le flair pour dénicher d’excellents dessinateurs.
Repéré avec le merveilleux L’épouvantable peur d’Epiphanie Frayeur (avec Séverine Gauthier), il réalise 32 superbes planches pour Chaque jour Dracula. Son trait chaleureux et ses couleurs douces tranchent avec le propos délicat du récit mais c’est pour mieux le servir. Les ambiances de nuit comme celles à l’école sont lumineuses.
La grande force des pages du dessinateur parisien réside dans la somme de détails qu’il parsème çà et là. Rien n’est laissé au hasard, tous le folklore autour des vampires y est : le cercueil pour dormir, les squelettes d’animaux de compagnie ou les fantômes-servants. Les hommages aux films sur ce thème sont nombreux : les affiches sur la première planche jusqu’au docteur qui vient ausculter Dracula qui a vraiment de faux airs de professeur Abronsius (Jack MacGowran) dans Le bal des vampires de Roman Polanski.
Chaque jour Dracula : un joli album intelligent autour de la question du harcèlement scolaire porté par un dessin superbe. A mettre entre toutes les mains.
- Chaque jour Dracula
- Scénariste : Loïc Clément
- Dessinateur : Clément Lefevre
- Editeur : Delcourt
- Parution : 25 avril 2018
- Prix : 10.95€
- ISBN : 9782413001669
Résumé de l’éditeur : Comme chaque matin de la semaine, Dracula va à l’école. Mais c’est avec une boule au ventre car certains de ses camarades de classe, de gros balourds, n’arrêtent pas de l’embêter. Certes, quelques-unes de ses particularités font de lui un garçon différent mais estce une raison suffisante pour qu’il subisse ce harcèlement constant ? Comment y remédier ? Un soir, il franchit le pas et en parle à son papa…
À propos de l'auteur de cet article
Damien Canteau
Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.
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