Cocon

De très jeunes infirmières japonaises sont en prise directe avec la guerre dans Cocon, un manga entre douceur et horreur de Machiko Kyô. Une huis-clos dans une grotte où s’entassent des blessés…

Escadron d’infirmières pendant la guerre

La guerre s’est soudainement accélérée. C’est ainsi que la vie de San, Etsuko, Tamaki, Yuri, Mari, Hina et Mayu a basculé. Ces très jeunes adolescentes ont décidé de participer à leur manière à l’effort de guerre. Ensemble, elles ont formé un escadron d’infirmières.

“Fais de ton mieux pour le pays.”

Après être rentrée chez elle pour récupérer son autorisation parentale afin de devenir infirmière de guerre, San doit quitter sa mère en pleurs.

Une grotte comme un cocon

Avec Etsuko, San se rend dans un hôpital des forces armées japonaises dans une grotte naturelle. Elles sont accueillies par une infirmière. Leurs tâches sont multiples : nettoyer, aller chercher de l’eau, aller chercher les repas conçus plus loin et soigner les blessés.

“A mesure que l’été approchait, les patients amenés à l’hôpital se firent de plus en plus nombreux.”

Concon : une fiction fondée sur des faits réels

Bouleversant. Cocon est un manga bouleversant ! Machiko Kyô imagine la vie quotidienne d’une unité d’infirmières pendant la guerre.

La mangaka née en 1980 a suivi des études à l’université des arts de Tokyo puis a publié Sennen gahô sur son blog. Elle est alors repérée et commence sa carrière d’autrice avec Cocon en 2010 puis Anone en 2012. Elle poursuit avec Mitsuami no kami-sama, Kako to mirai et U, des mangas autour de la catastrophe de Fukushima.

Pour son premier récit, Cocon, Machiko Kyô s’est inspirée de l’escadron Himeyuri d’Okinawa. De très jeunes filles furent enrôlées comme infirmières lors de la bataille d’Okinawa en 1945. Pendant 82 jours de ce conflit, sur l’archipel situé au sud-ouest du Japon, 460 d’entre elles participent à l’effort de guerre en soignant les blessés.

Entre la fureur des bombes et les ombres blanches

Cocon possède ce paradoxe extrêmement bien maîtrisé entre la candeur des jeunes infirmières et l’horreur de la guerre. Elles sont si jeunes, encore enfant, riant parfois, dessinant aussi alors que tout autour d’elles n’est que fureur. Machiko Kyô parvient avec justesse à garder ce fil ténu entre les deux situations.

Au fil des pages et du temps, les blessés se multiplient. Les camarades de San sont donc plongés dans un mouvement incessant entre la chaleur, l’humidité de la grotte, les bruits des bombes américaines se rapprochant et les morts. Des morts appelées Ombres blanches. Ces hommes désincarnés comme des fantômes qui n’ont ni visage, ni vêtements, ni nom. Ils sont dans l’entre-deux, entre la vie et la mort. Seules les blessures béantes sont représentées. Comme pour garder de la distance dans l’horreur.

Cocon pour ressentir la peur de la guerre

Dans Cocon, il n’y a ni temps marqué, ni lieu mais une guerre. Un conflit pendant la Seconde Guerre mondiale mais qui pourrait très bien se dérouler dans un autre endroit, dans une autre temporalité. Si les soins et la grotte sont marqués par le temps, Machiko Kyô ne cherche pas à décrire la chronologie de la guerre mais plutôt ce que les infirmières ont pu ressentir. On est donc dans un récit très intimiste.

Si le lecteur n’a pas tellement le temps de s’attacher à ce groupe de jeunes filles –  certaines décèdent par devoir envers la patrie – il y a San qui est le fil conducteur du récit. Une adolescente qui grandit rapidement au contact de ses camarades, des blessés, des morts et de la guerre. Rien ne sera plus comme avant pour elle. Seule survivante de l’escadron, elle a décidé de vivre.

Cocon, très jolie métaphore de la chrysalide du ver à soie

Cocon se démarque des récits sanglants de la guerre par une douceur dans le dessin de Machiko Kyô. Les traits juvéniles des infirmières sont rehaussés par de très belles aquarelles en dégradé de noirs.

La mangaka japonaise file la métaphore du fil de soie des vers que la pays cultive. Des vers que les Japonais.es élèvent dans les mûriers plantés près des rizières. Le bombyx, c’est la vie des infirmières. Enfant, elles sont des vers, puis grandissent dans le cocon et se transforment en papillon lors de leur adolescence et leur vie de femme.

Édité par Imho, Cocon de Machiko Kyô est un très beau one-shot décrivant les émotions d’un groupe d’infirmières pendant un conflit armé. La douceur du dessin tranche avec l’horreur de la guerre. Une très belle surprise.

Article posté le mercredi 28 février 2024 par Damien Canteau

Cocon de machiko Kyô (éditions IMHO)
  • Cocon
  • Autrice : Machiko Kyô
  • Traducteur : Malou Micolod
  • Éditeur : Imho
  • Prix : 14 €
  • Parution : 19 janvier 2024
  • Pagination : 208 pages
  • ISBN : 9782364810990

Résumé de l’éditeurCocon dépeint la lutte pour la survie d’un groupe directement inspiré de l’escadron Himeyuri composé de jeunes filles enrôlées comme infirmières à Okinawa pendant la Seconde Guerre mondiale. Ces jeunes filles voient leur quotidien d’écolières, déjà chamboulé par la guerre, complètement anéanti lorsque leur travail en tant qu’infirmières commence. L’histoire est centrée sur le personnage de San, entre l’horreur de son quotidien et l’apaisement que lui procurent ses souvenirs des jours de paix relative. Cocon fait partie de ses oeuvres qui ne cherchent pas à décrire la Seconde Guerre Mondiale mais le ressenti de ceux qui l’ont vécu. La douceur du trait et des aquarelles de Machiko Kyô ne font que révéler davantage l’horreur de la guerre avec une terrible authenticité.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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