Never R.I.P. DoggyBags !

Les fans déchaînés n’auront pas eu raison de la détermination des auteurs de DoggyBags à quitter la scène du neuvième art au sommet de ce dernier ! Malgré de nombreux courriers leur ayant été adressés et compilés lors de chaque publication, c’est bien apposé d’un sticker «ultime TOME» que vous trouverez le numéro 13 fatidique de cette série dans votre librairie.

Comme à chaque fois, la couverture est magnifique, plus sombre cette fois-ci que jamais, portant le deuil de la série ; comme à chaque fois, on se trouve à la fois attiré et effrayé par cette plongée dans cette fameuse «violence 100% graphique» …

Garanti avec pulp

Cette violence stylisée, tout comme le format proposé et la mise en page faussement grossière mais se révélant particulièrement soignée, a permis à la vague pulp une nouvelle incursion réussie dans la littérature. Ce style tout particulier de «littérature de gare» se veut respectueux d’une certaine mise en garde quant au fait de se prendre trop au sérieux et d’une volonté de prendre beaucoup de plaisir et de sensations. Mais cela serait dommage de ne prendre ces trouvailles qu’à ce niveau car le bon pulp est toujours le fruit d’un travail bien plus poussé qu’il n’y parait, et DoggyBags n’a jamais dérogé à cette règle !

Les récits originels abordaient absolument tous les styles et se démarquaient surtout par cette même diversité et l’aspect peu coûteux des fictions qui passaient donc aisément de main en main. Au fur et à mesure, le pulp a peu à peu fait siennes les notions d’attirance pour l’Amérique fantasmée, à un certain goût pour l’extrême violence et à un intérêt pour le politiquement incorrect. Ces valeurs se sont polarisées du point de vue européen autour des visions qu’ont proposé des créateurs tels que Tarantino, Bukowski ou McBain. Attention ! On ne parle pas ici de nanars et cette liste très exhaustive nous le prouve de manière flagrante.

Car il n’est pas évident de faire une bonne « daube » (et bien évidemment, on comprendra aisément la notion positive associée à ce terme) ! Car si comme dans chaque domaine tout n’est pas à aduler, les œuvres ayant traversé les décennies comportaient toujours, malgré leur apparence cheap, un message sous-tendu valant bien plus que le papier bas de gamme sur lequel elles étaient imprimées. Mais le genre, en s’épurant, a bien dérivé vers ses lettres de noblesse, ce qui permet aujourd’hui à DoggyBags de fournir, en plus du fond, une forme magnifique à travers ses maquettes soignées.

Âmes insensibles, s’abstenir

Dans cet ultime volume, Run, aux manettes de la série depuis le départ, se livre avec brio, débutant en nous racontant une histoire super gore comme on les aime. Mais cela dépasse cet aspect lorsqu’on réalise que l’auteur nous raconte « son » histoire et à quel point celle-ci a changé sa façon de voir le monde, ainsi que son obsession pour l’horreur et la mort qui trouvera un en la violence extrême un terrain où s’épanouir. Car c’est un peu ça DoggyBags ! Du « courrier des lecteurs » pouvant donner une seconde chance à un travail de scénariste pour Calla sur la deuxième histoire de ce tome, à la « débauche » de Céline Tran (ex-Katsuni, ex-star du X et désormais scénariste) quand, alors que la belle a démontré depuis ses qualités de scénariste et de fan de BD, le coup de pub était quand même a priori vachement bien tenté et à l’image de la série : «Regarde on te choque, tu vas prendre du gore plein la vue mais tu vas vite voir que c’est plus fin et vulgos que ça en a l’air !».

Mort et création

«J’ai brutalement pris conscience à 20 ans du caractère éphémère et absurde de la vie… Que tout pouvait (et va) s’arrêter du jour au lendemain.» Voilà ce qui nous attend dès l’édito de Run. Plus loin dans le texte, comme le dit Orelsan, «la mort s’en bat les couilles de ta vie. Si t’as pas fait ton sac, elle viendra te cherche quand même».

Encore une fois ici, on est dans la profondeur absolue, la mort méritant bien d’être prise un minimum au sérieux, mais ramenée à ses côtés magnifiquement « nuls ». Cette phrase « simplette » d’Orelsan qui nous assure être «le seul écrivain potable depuis Victor Hugo» se trouve sur la même ligne que Run, grave sur le fond, fantasque sur la forme. Ces gars savent toucher à travers un angle bien particulier, celui de le faire l’air de rien, avec des phrases gauches ou de la grosse punchline, du sang et des gros guns ou des faits divers nous ramenant aux aspects les plus sombres de nos sociétés. Prenez donc DoggyBags pour ce que c’est, du trash, et vous ne pourrez qu’y trouver des qualités insoupçonnées !

DOGGYBAGS Numéro 13

Dans ce numéro, cela se traduit par les deux potes et pontes de Doggy, Run & Florent Maudoux, qui marquent le terrain et mettent la barre très haut en à peine 5 pages : ScorseseHellblazer et même une touche hentai (ou manga X) sont présents, toujours sur fond de mort omniprésente et le tout avec une maîtrise parfaite et de la phrase qui claque :

«Et c’est là qu’il a commencé à chialer comme la Fontaine de Trevi. Sauf que c’est pas une pièce d’un euro que j’lui ai balancé… mais deux bastos dans le buffet, et une dans la tête. C’est comme ça qu’on tue proprement dans la mafia. Ce moment où quelqu’un de bien vivant devient plus qu’un tas de merde inerte… C’est… bizarre.»

La première histoire illustre bien la tendance qu’a eu DoggyBags à exacerber les aspects les plus sombres des USA contemporains. Du numéro consacré aux tensions poussées à l’extrême entre USA et Mexique (vol. 9) à ce premier récit de Calla traitant de la criminalité et de sa vision toute particulière de la justice, «le peuple reprenant le pouvoir, [son] destin dans une main, un Colt 45 dans l’autre». Les USA se doivent d’être un lieu de choix, toujours évidemment en lien avec l’invention par ces bons ricains de la pulp fiction, du doggy bag et du cinéma de série B visionné depuis une belle bagnole !

Du point de vue de la structure de ce tome, on retrouve comme à l’accoutumée une division générale en trois récits. En bonus, nombre d’expériences, tels les fameux «Le saviez-vous» qui sont de retour dans ce numéro : véritable cabinet littéraire des curiosités tirant vers le musée des horreurs, cette rubrique peut tant s’attarder sur des mythologies ou des faits divers ayant réellement existé ou bien nous expliquer l’origine des clowns maléfiques comme ce sera le cas ici dans le but de présenter une approche « sociogore » et « psychotrash » !

En ce qui concerne ce récit lié aux «psycho clowns», si la référence aux USA est constante, ici le lien avec le fait divers nous permet de nous connecter à nos réalités en introduisant l’histoire à partir des mouvements de panique observés à Douai en 2014 suite au désordre provoqué par des rumeurs faisant état de personnages dangereux déguisés en clowns. Dans le genre flippant on trouverait mieux que Douai, mais le fait que ça ne s’invente pas et que celui-ci soit divers rend ça justement pas mal dérangeant ! Un peu dans le style de Christophe Hondelatte prononçant le nom du bled où a grandi le tueur de son épisode de «Faites entrer l’accusé» et qu’on se rend compte, frissonnant, que celui-ci ressemble très fortement au patelin dans lequel on a grandi !

On peut cependant regretter que l’histoire ne se déroule pas en France, même en imaginant que le style graphique restait le même… [Un récit non dessiné présent dans ce tome se déroule bien en France, mais nous ne pouvons malheureusement pas profiter de la représentation graphique de nos contrées].

C’est peut-être une limite de ce qu’a fait DoggyBags, ne pas avoir profité des qualités de ses auteurs pour traduire cela à leur sauce en se lançant d’avantage dans la création nouvelle francisée. C’est bien évidemment l’inverse de leur parti pris mais cela aurait été assez jouissif, du moins pour l’une ou l’autre histoire, surtout quand un fait divers français introduit un récit qui au final s’avère se dérouler aux USA. La France peut se prêter à ça ! Il n’y a pas eu «Los Angeles 1992» mais les émeutes de 2005 valaient bien le coup du point de vue de violence urbaine ! Il n’y a pas eu de Dahmer mais quelques gars qui manquaient pas d’imagination sont bien restés en France. Sûr qu’en s’y mettant, on peut même trouver des trucs qui ne se sont passés qu’en France ! «Et puis la France, ça reste le pays des 400 fromages», comme disait l’Autre.

S’ensuit une histoire en prose sur le tatouage où Run nous relance la question en espérant peut-être qu’un jour quelqu’un lui réponde : «Comment faites-vous pour accepter l’idée que vous allez mourir ?». En espérant que quelqu’un ne dise pas juste que son histoire est trop cool mais lui apporte la réponse… Alors pour ne pas léguer à Run une déception semblable à celle qu’éprouve son personnage, tentons une analogie : Comment fait-on pour accepter l’idée que DoggyBags se termine ? On se dit qu’on en a profité un max et on espère que ça continue sous une autre forme ! C’est tout con Run !

Mais revenons-en à l’actualité qui mérite toujours d’être analysée par un esprit critique peu important les moyens : gore, subtils et/ou trash, ces adjectifs n’étant pas antinomiques comme nous le démontre l’équipe DoggyBags, et abordons le sujet complexe du terrorisme dans la troisième histoire qui va jusqu’à nous interpeller en évoquant un fait ayant marqué fortement l’actualité de manière récente alors que l’histoire était déjà écrite et imprimée. Cette dernière anecdote vient renforcer les qualités de création crédible malgré tout quant aux fictions développées par Run ! La réalité est dure, et au cas-où on l’oublie, ces récits sont là pour nous le rappeler. C’est souvent gros, parfois énorme, mais une fois que ça arrive, on se dit que tout est possible, pour notre plus grand malheur…

Cette idée de crédibilité dans l’horreur est particulièrement bien illustrée par un document assez surprenant en fin d’ouvrage. Run nous propose un guide de survie en cas d’attaque terroriste. Celui-ci, dans ce genre de récits trash fait penser aux guides survivalistes en cas d’attaques de zombies ou autres. Mais au vu de notre réalité et notre manière de percevoir notre sécurité aujourd’hui, on est encore une fois sidérés de reconnaitre que le surréalisme a fusionné avec notre vie quotidienne. On a également du mal à ne pas voir que Run nous livre un dernier conseil pour échapper à la Mort qui règne partout. Après tout, le gars nous annonce en préambule de ce numéro avoir été secouriste, voilà simplement qu’il transpose cet aspect de sa personne, à sa manière toute personnelle.

De Baltimore à Roubaix

À l’heure des bilans, on constatera le succès du projet s’étant promené aux confins de la mythologie, de l’anthropologie et du fait divers en réunissant en son sein une équipe digne des grands auteurs américains tel qu’un parmi d’autres, Garth Ennis avec son Preacher ou sa version du Punisher, personnages qu’on aurait pu retrouver sans surprise dans Doggy.

La culture urbaine aura été représentée comme elle l’est trop peu par des gars cohérents par rapport à leur lieu d’origine, Roubaix, ville la plus pauvre de France qui tire de ses travers des trouvailles à l’image du Label 619. L’analogie est plus qu’anecdotique quand on pense au surnom anglo-saxon donné à cette ville, la « Manchester du Nord », nous faisant également penser à la Baltimore de David Simon, dont l’adaptation en série The Wire nous évoque nombre de similitudes avec une excellente série du Label 619 : The Grocery. À travers leurs créations, les membres du Label font vivre cette scène notamment avec l’exposition DoggyBags qui a eu lieu l’année passée à Lille et qui a bénéficié d’une belle visibilité. Cette réflexion géographique nous permet de rappeler la limite précédemment évoquée qui voudrait voir fleurir des histoires plus ancrées dans la réalité française même si celle-ci devait être teintée du même esprit graphique et idéologique.

(No) Future

«Tout bien considéré, ce DoggyBags n°13 ressemble en définitive bien plus à un début qu’à une fin» : Run

DoggyBags nous annonce sa fin depuis le début mais continuera sous deux formes :

  • «DoggyBags présente», très proche du format actuel qui reprendra plusieurs récits autour d’une thématique commune.
  • «DoggyBags One Shot», couverture cartonnée, plus grand format, une seule histoire sur une bonne pagination.

On notera également le succès d’auteurs révélés par l’écurie du Label 619, mention spéciale pour l’impressionnant Mathieu Bablet qui a su, avec Adrastée et Shangri-La nous livrer deux ouvrages de très bonne qualité et d’une grande profondeur.

Ensuite, un goût prononcé pour le fait de faire kiffer les «adulescents», un penchant pour le sexy (voir le côté hentai abordé en début d’article), une profondeur qui prévaut sur le premier aperçu et un appétit pour la madeleine de Proust sous forme de stickers ou de posters nous obligent à évoquer le désir de voir un jour se croiser deux teams de jeunes auteurs français, à savoir le Label 619 et les créateurs de l’univers Lastman que sont Balak, Sanlaville & Vivès mais aussi la bande de Jérémie Perrin qui vient de livrer une excellente série animée se déroulant dans le même univers ! Les passions croisées de ces gars là se feront, j’en suis convaincu, de plus en plus visibles et cela continuera avec la sortie prochaine du film Mutafukaz auquel il faudra être très attentif. Tout est dit, vous savez ce qu’il vous reste à faire !

En attendant un « DoggyBags présente : Le Cantal » à 40 mains par tous ces gars talentueux, on laisse le mot de la fin à Run lui-même : «La vie est un entre-deux, un souffle qui passe, comme l’a été DoggyBags dans le paysage éditorial français. […] Nous avons partagé avec vous des sujets qui nous fascinent, nous révoltent, ou nous interrogent».

Facebook du Label 619 : https://fr-fr.facebook.com/Label619/

Le site du Label 619 : http://www.label619.com/fr

Article posté le lundi 20 février 2017 par Thomas Lepers

Doggybags 13 (Ankama - Label 619) décrypté par Comixtrip le site BD de référence
  • Doggybags, volume 13
  • Auteurs : Collectif
  • Editeur : Ankama, Label 619
  • Prix : 13.90€
  • Parution : 06 février 2017

Résumé de l’éditeur : Plus brutal qu’un coup de fusil à pompe en pleine tête et plus vicieux qu’un arrachage de dent à la pince-monseigneur, DoggyBags est un hommage aux pulps et aux comics d’horreur des années 1950 qui ne fait pas dans la dentelle : les chromes rugissent, les calibres crachent et l’hémoglobine coule à flots dans la joie et la mauvaise humeur. Sortez vos p’tits sacs pour toutous, parce qu’il va y avoir de la viande en rab ! Au sommaire de ce 13e volume : « Times Scare », une histoire signée RUN ; « Killer klowns from da Hood », une histoire signée Mojo & Hutt pour le dessin, RUN pour le scénario ; « Slaughterhouse Blues » par Anthony Calla au scénario et Aurélien Rosset au dessin. Inclus : un poster et une planche de stickers mortels.

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Thomas Lepers

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