Football-Fantaisie : Son nom est Monde, Récit-Monde

Récemment auréolé du Prix de la critique ACBD de la bande dessinée québécoise, Football-Fantaisie est tout sauf un résumé fun de la dernière coupe du monde. Via un récit foutraque allié à une énergie folle, Zviane convoque SF, amour, humour et politique.

Zviane est clairement méconnue dans nos contrées. Celle qui se prénomme en vérité Sylvie-Anne Ménard est une Québécoise qui semble être à l’image de sa nouvelle BD. Fanzines, journaux, Blog BD (L’ostie de Chat, qui lui permettra de se faire remarquer par notre Boulet national), albums, arrangements chorals, duos de piano (pianiste accomplie, elle a également étudié la composition) gifs animés, montages vidéo ou passion pour le blé d’Inde, Zviane à également mis son grain au service de deux albums de BD majeurs. Apnée, sortie chez Pow Pow en 2010 a remporté le grand Prix de la ville de Québec et Les Deuxièmes, toujours chez Pow Pow à suivi exactement la même trajectoire en 2014.

Difficile alors de comprendre comment une artiste aussi complète a mis autant de temps à se faire connaitre en France ? Est-ce parce que son terrain de jeu est situé de l’autre côté de l’Atlantique ? Peut-être que le grand prix d’Angoulême, décerné l’année dernière à Julie Doucet, permettra de mettre sur la carte de la bande dessinée Francophone les autrices de cette province souvent raillée voire oubliée. La dernière création de Zviane, intitulée Football-Fantaisie est sortie en fin d’année 2021, encore une fois aux éditions Pow Pow. Le livre boxe immédiatement dans la catégorie poids lourd et pas uniquement parce que c’est un pavé de plus de 500 pages. 

CRA ! ZWIM ! POUM ! POW !

Une praire calme et paisible. Sa tranquillité est soudainement troublée par les pas vifs d’une jeune fille. Elle saute une barrière, escalade un arbre. Son âge nous est immédiatement donné : 12 ans. A ses trousses un robot tueur. Point de Terminator ici, la boite de conserve est artisanale, branlante, montée sur chenilles avec comme arme un mini canon laser. La jeune fille hurle : « ANNABELLE ! » est une petite fille perdue sur l’autre versant de la praire. Son âge ne tarde pas à suivre : 6 ans. A ses côtés, un homme allongé dans une flaque de sang. 

Le robot s’approche d’elle. Dans un étrange mouvement de bras, celle de 12 ans agit sur la machine qui loupe sa cible et fait exploser la tête de l’homme allongé : CRA ! Annabelle, couverte des restes du pauvre gars ne sort plus un son. « COURS ! » lui hurle encore l’autre…Comme introduction à une histoire, on a connu plus doux et moins déroutant mais d’entrée Zviane donne le ton : son histoire sera intense, les langages aussi divers que variés, les interjections omniprésentes et les personnages auront des caractères et des trajectoires de vie fortes et surprenantes.

Au bout des 40 premières pages, nos deux héroïnes réussissent à échapper à leurs assaillants. Elles atterrissent alors à Football-Fantaisie, province imaginaire de la Gaspésie ou une campagne électorale bat son plein. Du propre aveu de Zviane, l’histoire n’a rien de politique mais s’habille plutôt derrière une « grosse fable » dans laquelle subsiste des réminiscences en rappel à différents contextes houleux de l’histoire du Québec. Cela n’empêche pas l’autrice de questionner de manière maligne et drôle notre rapport aux médias, aux réseaux sociaux, à l’hypocrisie et aux mensonges au sein de ces tensions culturelles. 

CACACACACACACACACACACACA

Les habitants de Football-Fantaisie parlent une langue impossible ou une phrase comme « C’est donc à dire » peut se traduire par « casque bouton dent ». Le langage et sa représentation visuelle sont l’un des principaux moteurs de la bande dessinée. Quand on ne passe pas de l’Anglais au Français, on navigue entre le patois fantasque de cette province imaginée et les échanges anarchiques entre Annabelle et Frédérique ou un mot comme « caca » peut ainsi envahir une pleine page pour devenir « cacacacacacacacacacacacacacacacaca ».

« Chacun parle un peu sa propre langue : il y en a un qui zézaye, un qui bégaye, un autre qui parle du nez et les enfants parlent avec des fautes d’orthographe », confie Zviane à La Presse, quotidien Québécois. 

Tous ces artifices donnent à saisir l’universalité de nos langues, leurs beautés, leurs sèves, leurs énergies, leurs pittoresques, leurs drôleries. La plupart des dialogues des habitants de Football-Fantaisie ne sont pas sous titrés, ceux en Anglais non plus et pourtant l’histoire avance sans jamais nous perdre. On est loin de Babel et de sa tour. Ici tout le monde se comprend, le lecteur inclus.

Football-Fantaisie devient alors un véritable exercice de style autant qu’une intelligente réflexion sur le bien commun, un récit-monde puissant qui raconte avec brio les petits riens qui font les grands tout, de l’individu face à la masse, ce qui en compose sa multitude. Le récit convoque l’intime via le destin de ses personnages, ajoute à l’universalité de son propos et permet au lecteur de se plonger pour mieux se retrouver : haine, relations conflictuelles, histoires d’amour, d’humour, de tristesse, de famille et d’amertume saupoudré d’une pointe de science-fiction.

DOUX CHAOS

La situation, aussi agitée soit-elle sur le papier l’est tout aussi visuellement et donne lieu à un ensemble diablement maitrisé et vivant ou flèches distordues, partis pris graphiques osés et assumés, traits divers et onomatopées donnent à cette bande dessinée des allures de quasi film d’animation. « Je m’étais imposé la contrainte de ne pas faire de crayonnés et d’y aller directement à l’encre, ce que je n’avais jamais fait avant. Ça donne un style de dessin qui est plus tout croche parce que j’ai beaucoup moins de contrôle : si tu fais une erreur, tu es pris avec », rapporte-t-elle toujours à La Presse.

D’apparence, on pourrait penser que Zviane noie son récit sous des myriades d’effets tapes à l’œil. Si la barque est bien chargée elle ne prend jamais l’eau et révèle surtout une énergie maboule. D’une page à l’autre, le découpage casse la routine, explose ses propres codes pour toujours mieux surprendre. Les différents arcs narratifs sont présentés via des dispositifs visuels bien distincts. Dans le temps présent, la couleur expose le drame et l’accentue. Dans le passé, le noir et blanc, pas aussi sobre qu’il n’y parait, délivre lui aussi son lot d’émotions vives. Et difficile de parler d’influences directes mais cette vivacité de corps et d’esprit fait régulièrement planer le spectre du manga sur l’ensemble. 

A la lecture de Football-Fantaisie, on pense se faire surprendre par un rouleau compresseur, une œuvre somme couverte sur plus de cinq cent pages alors qu’il s’agit en vérité d’un aller sans retour avec une seule idée : celle d’unir et fédérer. C’est beau. Comme cette phrase, hurlée par un des personnages et qui résume assez bien l’esprit du livre :  « Il y a une infinité de variables dans un chaos incessant et tu ne le contrôlera jamais ». Une fois la BD refermée, son écho résonne encore longtemps dans les esprits. 

Article posté le mardi 10 janvier 2023 par Rat Devil

Football-Fantaisie de Zviane (Pow Pow)
  • Football-Fantaisie
  • Autrice: Zviane
  • Editeur : Pow-Pow
  • Prix : 35€
  • Parution : Décembre 2021
  • ISBN : 9782925114079

Résumé de l’éditeur : Est-ce un récit de science-fiction? Une histoire d’amour? Une bande dessinée expérimentale qui déconstruit les codes de la communication? En fait, c’est un peu tout ça. Football-Fantaisie est le livre le plus inusité et le plus ambitieux de Zviane – ce qui n’est pas peu dire!

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