L’archipel

Dans un métavers, un monde parallèle, Tim croise la route de Chloé. Cet habitant des beaux quartiers tombe amoureux de cette jeune femme habitant dans un logement menacé par la montée des eaux. Sacha Goerg imagine L’archipel, ce chassé-croisé amoureux entre le temps présent et le futur. Entre réalité et intelligence artificielle. Entre idylle et luttes de classes. Une belle surprise.

Tim, bourgeois des beaux quartier et hyper connecté

Dans sa villa cossue, Tim se réveille avec un mal de crâne. La fête dans sa maison la nuit d’avant a été une folie.

Il est mal luné mais il peut compter sur Sabrina, son drone à l’intelligence artificielle. Elle est comme sa maman, son mentor, sa confidente.

Tout est hyper connecté chez Tim : sa maison et même sa voiture. Mais pour rester habiter dans cette luxueuse villa financée par ses parents, il doit de temps en temps travailler. Enfin, travailler est un bien grand mot. Son père lui laisse les clefs, un gros paquet d’argent qu’il investit comme il veut. Ou plutôt Sabrina parce qu’il n’y connait pas grand-chose en économie. Ce fêtard, vantard et collectionneur de femmes est un vrai cossard. Il gagne donc de l’argent en spéculant. Un vrai rentier !

Chloé, habitante de l’archipel et débrouillarde

Dans son appartement de l’Archipel, Chloé se débrouille comme elle le peut. Elle habite avec sa mère dans un logement modeste entouré d’eaux menaçantes.

Chloé n’a que son vélo pour se déplacer et pour communiquer que son vieux téléphone. Téléphone qui lui sert également pour gagner des éco-points. La précarité, elle connaît. Pire, la précarité énergétique, c’est son quotidien comme l’ensemble des habitant.es de l’Archipel. Tout est restreint de ce côté-là. Le gouvernement tient son peuple grâce à ce manque énergétique.

Alors pour oublier les difficultés du quotidien, Chloé se pose souvent avec ses amis dans des lieux abandonnés de l’Archipel. Un urbex qu’ils apprécient afin d’être au calme et loin des autorités.

Tim et Chloé ou lorsque la réalité se fracasse au futur

Après une soirée tranquille avec ses potes, Chloé rentre chez elle. Elle tente de s’endormir mais est tenue en éveil par son téléphone. Chloé se retrouve soudain comme projetée dans un lieu inconnu et un temps différent du sien.

Elle est au milieu d’une salle où des hommes sous masque et combinaison s’affairent. Chloé ne sait pas vraiment ce qu’ils font. Elle est même mise en joue par l’un d’eux et doit fuir.

Elle est alors sauvé par Tim et ses amis. Ils ont neutralisé cet agent aux trousses de la jeune fille…

L’archipel et métavers

On ne peut pas dire que Sacha Goerg se moque de son lectorat. En imaginant son récit, le cofondateur des éditions L’employé du moi brasse de nombreuses thématiques actuelles. Il mélange tour à tour l’intelligence artificielle, l’hyper-connexion, la précarité énergétique, l’écologie, les changements climatiques, un gouvernement fort et la lutte des classes. Le tout mâtiné d’une romance entre amour et répulsion.

L’archipel est tout cela et bien encore. Un mixte des dangers d’une société à la dérive. Cette intrigue navigue entre la réalité et une dystopie d’anticipation bien menée. Dit comme cela, on pourrait redouter une masse trop importante d’infos et un récit qui part dans tous les sens. En effet, il faut bien s’accrocher à la lecture de l’album. Mais lorsque l’on prend le temps d’analyser tout cela, on se rend compte d’une bande dessinée très riche et avec un vrai regard sur le monde actuel.

Duo paradoxal

Pour donner corps à L’archipel, Sacha Goerg l’incarne à travers Chloé et Tim. A l’exact opposé l’un de l’autre, ils se rapprochent pour tenter d’affronter ce monde en perdition. Parfois proches, parfois lointains, ce duo singulier est attachant.

Tim est désagréable et hautain par une richesse démesurée. Il profite d’investissements financiers pour vivre. Le luxe, les femmes et l’argent sont son quotidien. Tel un adolescent immature, il peut compter sur Sabrina, son drone IA pour le materner. Il semble être hors de la réalité.

Chloé est une jeune femme de son temps. Elle est bien dans la réalité. Celle du système D et des cours. Celle de la survie. Elle peut compter sur sa mère, même si son travail est prenant, et ses amis. Bon an, mal an, elle se glisse dans les pas du peuple.

Ainsi, Sacha Goerg parle de luttes des classes. Une caste ayant tout – argent et pouvoir –  et celle n’ayant rien.

Il y a aussi le rapport aux femmes, un thème important dans l’album. Cornaqué par sa petite amie, Tim n’en a que faire et papillonne tel un goujat partout où il peut. Sa rencontre avec Chloé le fait évoluer sur ce lien déséquilibré.

“Le futur est un miroir aux alouettes.”

Pour brouiller encore plus les cartes, Sacha Goerg navigue entre deux mondes, entre la réalité et un métavers. L’Archipel est un récit entre le monde actuel et le futur. Dans un univers parallèle futur, l’auteur de La fille de l’eau & Nu réinvente nos rapports au monde et au temps.

L’Archipel, ce lieu d’habitations modestes, est menacé par la montée des eaux. Le regard dans le futur peut aussi montrer cela. Le futur n’est pas tout rose. Il s’éteint. Alors, Chloé et Tim tentent de s’en accommoder parce qu’ils ne peuvent pas le changer.

L’archipel et l’énergie

Cette romance chaotique révèle aussi un monde de tourments. Chloé et Tim sont embarqués dans un tourbillon qu’ils ne maîtrisent pas. Le manque d’énergie pour les plus précaires tranche avec le luxe de la villa du jeune homme.

Sans l’énergie, les habitant.es ne sont plus rien. Ils doivent se restreindre pour quelques minutes d’électricité dans leurs soirées. Mais cette chape de plomb est entretenue par les autorités de ce pays. Ils peuvent ainsi exercer une pression constante sur le peuple. Un asservissement pour mieux contrôler les corps et les âmes. Mais les révoltes ne sont pas loin.

Quant à l’intelligence artificielle, Sacha Goerg l’immisce un peu partout dans L’Archipel. Elle se glisse dans les traits de Sabrina, qui contrôle tout en domotique mais finalement contrôle aussi la vie de Tim. Il n’a plus besoin de réfléchir. Il se laisse guider par ce robot.

Le dessin est très moderne, comme jeté. Jetée et nerveuse comme la vie des deux héros. Des planches aux couleurs lumineuses très réussies.

Article posté le jeudi 07 mars 2024 par Damien Canteau

L'archipel de Sacha Goerg (éditions Gallimard BD)
  • L’archipel
  • Auteur : Sacha Goerg
  • Éditeur : Gallimard Bande dessinée
  • Prix : 26,90 €
  • Parution : 17 janvier 2023
  • Pagination : 240 pages
  • ISBN : 9782075171052

Résumé de l’éditeur : Futur proche. Tim habite les beaux quartiers, où il mène une vie oisive et superficielle. En se promenant dans un métavers qui simule l’état de sa ville vingt ans plus tard, il découvre le tableau alarmant d’un monde enlisé dans la crise climatique… et y croise Chloé. Celle-ci veut s’assurer que l’Archipel, cette « île » sur laquelle elle vit et où sont entassés des logements sociaux, ne risque pas de sombrer. À travers un impossible chassé-croisé amoureux, Tim et Chloé vont tenter de réinventer leur rapport au monde. Et de donner un sens à leur vie, entre métavers et réalité…

 

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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