Le ciel dans la tête

Le ciel dans la tête relate le parcours de Nivek, enfant-soldat, des mines du Kivu à l’Europe. Le parcours d’un jeune exilé pour un ailleurs meilleur. Antonio Altarriba, Sergio Garcia Sanchez et Lola Moral déploient leurs talents pour nous conter le destin de ce garçon dur au mal, entre splendeurs et horreurs de l’Afrique. Un album percutant, puissant et beau.

Dans les entrailles des mines du Kivu

Kivu en République démocratique du Congo. Nivek, 12 ans, travaille dans une des mines de la région. Avec son ami Joseph, ils doivent extraire du coltan, un minerai faisant la fortune de milices.

Ces hommes surveillent aussi bien les potentiels voleurs que les personnes qui travaillent pour eux. Traités comme des esclaves, ils n’ont pas leur mot à dire. Juste obéir ou mourir.

Il faut souligner que l’extraction du coltan a fait de nombreux morts dans la région. Plus de 11 000 soldats, civils et rebelles sont décédés après des conflits entre des factions armées à la fin des années 1990 et le début des années 2000.

Le ciel dans la tête de Antonio Altarriba et Sergio Garcia Sanchez (éditions Denoël Graphic)

Tuer pour survivre

Alors que Nivek a été enseveli dans la mine, Joseph réussit à le sortir de ce mauvais pas. Mais cela ne plaît guère à Sifa, le milicien chargé de surveiller les extracteurs, souvent très jeunes.

Nivek ne l’entend pas de cette oreille. Il tue Sifa. Vindu, le chef des miliciens – les Raïa Mutomboki –  est impressionné par cet enfant de 12 ans. Il veut en faire un Kadogo, un enfant-soldat. Pour cela, Nivek doit montrer sa valeur en assassinat son père, son grand-père et sa mère. Pire, après le massacre, il doit manger les seins de sa génitrice. Un acte qui le hantera toute sa vie.

Des massacres à la fuite

De son côté, Joseph devient le cuisinier des soldats. Tout le monde est content de ses plats. Il est ainsi protégé par ce don.

Nivek, quant à lui, suit la formation de Sébastien et les autres miliciens. Il apprend à tirer, à lancer des grenades et à tuer.

Cette formation sert à Nivek dans les attaques que perpètrent les Raïa Mutomboki contre d’autres factions miliciennes.

Mais, Nivek ne veut plus être un Kadogo. Il veut fuir et trouver un endroit où il pourra grandir sereinement. Il a entendu parler du docteur Mukwege, “l’homme qui répare les femmes” mutilées. Joseph et son ami décident de partir rejoindre son hôpital…

Le ciel dans la tête de Antonio Altarriba et Sergio Garcia Sanchez (éditions Denoël Graphic)

Le ciel dans la tête : un récit qui marque

Il a ça de fort, Antonio Altarriba. Avec ses albums, il marque les lecteurs. L’auteur né en 1952 à Saragosse nous avait impressionné avec son récit familial L’art de voler et L’aile brisée. Il nous avait également subjugué avec sa série Moi… (Moi assassin, Moi fou, Moi menteur).

Avec Le ciel dans la tête, Antonio Altarriba imagine l’un des récits les plus puissants de cette année 2023. Il faut être bien accroché pour lire les quarante premières pages de son récit. Il est cinglant et clinique. L’histoire ne s’embarrasse pas de fioritures. Elle est dérangeante parce que d’un réalisme froid et juste.

Il faut souligner que le lauréat du Grand prix de la critique ACBD pour Moi assassin s’est beaucoup documenté pour livrer Le ciel dans la tête. Son récit en est que plus solide et réaliste.

Enfants-soldats et miliciens : un attelage meurtrier

Antonio Altarriba imagine ainsi un récit violent et sombre. Une histoire dont le cœur sont les miliciens et les enfants-soldats. Comme nous l’avaient montré Ingrid Chabbert et Joël Alessandra dans Kadogo – un livre jeunesse – le sort de ces adolescents n’est pas enviable. Ils tuent, se font tuer. Ils sont détruits psychologiquement et physiquement par leurs actes et ce qu’ils ont vu.

Embrigadés dans des milices, souvent parce qu’ils sont orphelins, ils n’ont d’autre choix que de suivre leurs “nouvelles familles de sang”.

Mais Nivek ne veut pas de cette vie. Il aspire à une existence des plus normales. Alors il fuit.

Le docteur Mukwege et l’exil

Le salut de Nivek et Joseph vient du docteur Mukwege, prix Nobel de la paix en 2018. Il aide les femmes ayant subi des mutilations génitales à l’Est de la République démocratique du Congo. Les équipes de son hôpital aident un temps les deux adolescents.

Mais cet établissement n’est qu’une halte dans leur parcours. Ils veulent rallier l’Europe. Ils deviennent alors des migrants sur le chemin de l’exil. A deux puis seul après le décès de Joseph. C’est aussi en cela que Le ciel dans la tête n’est pas totalement sombre. Il porte en lui un espoir, une infime lumière. Un amour qui porte la vie malgré l’esclavage.

Le ciel dans la tête, questions entêtantes

Au fil des 144 pages du Ciel dans la tête, le lecteur est tiraillé, bouleversé et choqué. Choqué par la dureté de la vie de ces exilés. Les questions sont entêtantes lorsqu’il referme le livre. Qui sont-ils ? Pourquoi nous ne les comprenons pas ? Ces êtres déshumanisés par les passeurs ou les médias sont pourtant des êtres humains. Il suffit de leur rendre leur chaire pour les incarner comme le fait si bien Antonio Altarriba.

Alors, l’auteur devient conteur, tel un griot, pour nous livrer avec justesse une vie bouleversée par des démons. Il a ses démons, Nivek. Ceux qui le poursuivront toute sa vie. Lui, le guerrier, se livre à nous parfois en étant dur ou en pleurant. Et c’est fort !

De la puissance du dessin de Sergio Garcia Sanchez

De Sergio Garcia Sanchez, nous connaissions les albums réalisés avec Lewis Trondheim (Les trois chemins, Les trois chemins sous les mers, Chassé-croisé au Val doré). Des récits pour les jeunes lecteurs, tout en délicatesse, beaux et lumineux.

Mais pour Le ciel dans la tête, l’auteur espagnol change de registre graphique. Accompagné pour les très belles couleurs de Lola Moral, il livre une partition de très haute qualité. Son dessin est tout simplement beau. Ses personnages sont filiformes, tels ceux d’Alberto Giacometti ou ceux d’Ousmane Sow pour la puissance de leurs regards.

Le ciel dans la tête de Antonio Altarriba et Sergio Garcia Sanchez (éditions Denoël Graphic)

Et que dire des personnages qui barrent de leur présence une planche. Ils sont forts et prennent de la place. Leurs silhouettes accompagnent les yeux du lecteur dans la page. Et il y a la savane, la jungle, la faune et la flore. Tout est majestueux sous les doigts de Sergio Garcia Sanchez.

Le ciel dans la tête : pour suivre les pas de Nivek dont rien ne peut tuer les rêves d’une vie meilleure. Se laisser emmener de l’obscurité vers la lumière. Un coup de poing !

Article posté le mardi 14 novembre 2023 par Damien Canteau

Le ciel dans la tête de Antonio Altarriba et Sergio Garcia Sanchez (éditions Denoël Graphic)
  • Le ciel dans la tête
  • Scénariste : Antonio Altarriba
  • Dessinateur : Sergio Garcia Sanchez
  • Coloriste : Lola Moral
  • Traductrice : Alexandra Carrasco
  • Editeur : Denoël Graphic
  • Prix : 28 €
  • Parution : 20 septembre 2023
  • Pages : 144 pages
  • ISBN : 9782207164860

Résumé de l’éditeur : Des mines du Kivu aux mirages de l’Europe, Nivek, l’enfant soldat, arraché aux griffes de la misère par l’appel d’une vie meilleure, traverse une Afrique magique et tragique, d’une violence et d’une beauté à couper le souffle. Les épreuves de ce voyage initiatique le préparent aux périls de la Méditerranée, mais pas aux déconvenues qui l’attendent sur sa rive privilégiée. A l’ombre de Cervantès et de Mark Twain, un récit épique porté par les visions hallucinées d’Altarriba et les images somptueuses de Sergio García.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une trentaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée) et co-responsable du prix Jeunesse de cette structure. Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip. Damien modère des rencontres avec des autrices et auteurs BD et donne des cours dans le Master BD et participe au projet Prism-BD.

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