Le tigre des neiges

Le puissant seigneur de Kasugayama, Tamakage, ne pourra pas compter sur son fils aîné pour lui succéder, préférant les arts à la guerre. Le chef de clan mise alors sur Torachiyo, sa fille, qu’il va élever comme un homme. Akiko Higashimura raconte le destin de cette femme guerrière dans Le tigre des neiges, une fresque historique addictive aux éditions Le lézard noir. Plongée au cœur du Japon du XVIe siècle, entre complots et guerres, entre traditions et féminisme. Passionnant !

Et si Kenshin était une femme ?

Pour conter la vie de Kenshin Uesugi, Akiko Higashimura a décidé de partir de l’hypothèse qu’elle serait une femme. Grand guerrier de l’époque Sengoku (ère des « provinces en guerre » du milieu du XVe siècle à la fin du XVIe siècle), il était persuadé d’être la réincarnation de Bishamonten. Surnommé « Tigre d’Echigo » ou « Dragon d’Echigo », il était redouté de tous pour ses grandes facultés stratégiques et ses grandes dispositions à la guerre.

Plusieurs éléments fondent cette thèse. Notamment que le guerrier n’aurait eu ni femme ni enfant, qu’il serait mort de la maladie « du gros insecte » (une maladie gynécologique), qu’il faisait suspendre les combats au alentour du 10 de chaque mois à cause de douleurs de ventre (ce qui correspondrait à ses cycles menstruels), mais surtout qu’un portrait de lui sans barbe est conservé dans le temple de l’école Sôtô, un lieu qu’il fréquenta plus petit. Pour la mangaka, cela ne fait aucun doute, le Tigre d’Echigo est une femme. Un postulat de départ intéressant lorsque l’on veut raconter sa vie en dessin. Cela permet plus d’ouvertures, de pistes, de secrets, de complots et de romanesque.

« Dans ce monde de guerres et de rivalités des puissances, imaginez que Kenshin était une belle femme qui a combattu avec bravoure et éclat… ça ne vous fait pas rêver ? »

Torachiyo, réincarnation divine

Château de Kasugayama en 1529. Le clan Nagao règne sur cette région du Japon. Tamekage en est le seigneur, Okon la mère, Kenshin la petite dernière, Ayahime sa sœur aînée et Harukage l’héritier. Ce dernier pourtant n’aimait pas la guerre, était plutôt oisif et préférait les arts. La succession risquait donc d’être des plus délicates.

Pendant sa grossesse, Okon aurait rêvé de Bishamonten, le dieu de la guerre. Il lui aurait demandé d’utiliser son ventre pour se réincarner sur Terre. Kenshin serait donc persuadée d’être sa réincarnation divine, même si elle est une fille. Tamekage décide alors de l’appeler Torachiyo, un prénom de garçon.

« Aya. Ecoute-moi bien. Torachiyo n’est pas une fille. C’est un garçon. Ce n’est pas ta petite soeur mais ton petit frère […] Tora est un homme. »

Tora, futur grand guerrier

C’est ainsi que Tora fut élevée comme un garçon. Les entraînements au sabre se mêlent à la chasse. Elle n’a qu’une hâte, c’est d’accompagner son père sur le champ de bataille.

En attendant d’être plus grande pour cela, Tora construit des maquettes de son château et dessine des plans de futures batailles.

A l’âge de sept ans, Tamekage décide d’envoyer la jeune fille au temple Rinsen, au pied du Mont Kasuga. Pendant cinq ans, elle y vit avec des bonzes qui lui apprennent l’art de la guerre…

Le tigre des neiges, grande fresque historique

Prépublié au Japon dans la revue Hibana des éditions Shôgakukan, Le tigre des neiges est une très grande fresque historique. Son autrice, Akiko Higashimura nous entraîne avec une grande facilité dans ce monde des seigneurs de guerre de l’époque moderne.

Les complots, les alliances et les secrets de ces hommes forts sont aussi au cœur du Tigre des neiges. Les cartes des différents clans et des forces en présence tentent de nous faire comprendre les enjeux géopolitiques de cette région. Tamekage règne en maître sur les lieux, tient à distance ses rivaux mais ces derniers attendent une brèche pour s’y engouffrer. C’est pourquoi, un héritier faible – Harukage – est une belle opportunité pour eux.

C’est aussi cette ambiance de shogunats et  de guerres de clans qui est appréciable dans Le tigre des neiges. Les lecteurs arrivent à humer cette atmosphère si particulière d’un Japon médiévo-moderne. Si Akiko Higashimura concentre son récit sur la noblesse de ces châteaux, elle dépeint aussi par quelques bribes les petites gens. Si les domestiques à Kasugayama semblent plutôt bien traités, les paysans vivent dans des conditions misérables et très précaires.

Des personnages très recherchés

La mangaka sait tenir en haleine son lectorat en développant les caractères et la psychologie de ses personnages de manière très écrite et très précise. Ainsi, Tora, si elle semble être un « garçon manqué » comme cela est indiqué dans le premier volume, elle ne nie néanmoins jamais sa féminité. Élevée comme un homme, cherchant à plaire à son père, elle manie avec dextérité le sabre en bois, se passionne pour la stratégie guerrière, est capricieuse mais toujours d’humeur égale. Ne voulant pas passer sa vie dans le monastère, elle en fait voir de toute les couleurs aux bonzes. Ces derniers font d’ailleurs preuve d’un calme olympien face à cette mini-tornade. Elle doit se discipliner malgré un caractère énergique.

Si Okon, la mère, ne semble pour l’instant pas avoir d’incidence sur l’histoire, elle tient néanmoins un rôle essentiel dans l’équilibre de la famille. Tamekage, le père, règne de main de fer sur son petit royaume. Il a rapidement compris que Harukage ne serait pas son véritable héritier, fondant ainsi ses espoirs sur Tora. les lecteurs ressentent chez l’aîné du clan toute la délicatesse et la mélancolie, un personnalité en totale opposition avec sa petite sœur guerrière.

Une série résolument féministe

En choisissant de faire de Kenshin une femme, Le tigre des neiges est aussi moderne et féministe. La série met donc en lumière la place des femmes dans ces sociétés anciennes – certaines avaient du pouvoir notamment dans les châteaux – une place néanmoins très limitée. Tora semble très libre malgré un destin tout tracée. Les lecteurs peuvent se demander s’il est néanmoins très enviable. Tora devra se battre, tenir son royaume, ne plus être femme pour la grandeur du clan.

Ce sont aussi tous les tourments dans son esprit mais aussi ses changements physiques qui perturbent Tora. Une femme forte ne doit jamais avoir de faiblesses. Difficile à tenir.

La série ressemble d’ailleurs à La rose de Versailles de Riyoko Ikeda, un manga connu en France par sa version animée Lady Oscar. Dans ce récit, une femme se travestit en homme pour rejoindre les membres de la garde royale.

Un vrai humour

Akiko Hagashimura n’oublie pas d’inscrire son récit dans un humour très précieux dans les temps parfois anxiogènes des guerres de clans. En premier lieu, l’autrice de Princess Jellyfish imagine une personnalité virevoltante à Tora. Elle fonce, joue avec de la boue, tue des lapins pour les dépecer et tient tête au lama du temple. Si elle doit devenir une guerrière, pour l’instant c’est encore une petite fille avec son insouciance et sa naïveté. Ses dialogues et son comportement tranchent avec l’étiquette de cette cour.

Dans un deuxième temps, les lecteurs sont aussi très surpris par la mangaka en elle-même. Elle n’hésite pas à se mettre en scène de manière humoristique lorsqu’elle se penche sur l’Histoire de Kenshin. Par une astucieuse mise en page, elle raconte de manière très pédagogique le destin de la guerrière dans le haut des planches, tandis qu’elle dessine son double de papier dans la partie basse mais cela plus succinctement et de manière amusante pour les lecteurs moins doués en Histoire.

Malgré sa rigueur historique – son éditrice y veille – Le tigre des neiges n’est jamais rébarbatif et ennuyant. Il faut souligner qu’Akiko Higashimura possède un vrai talent de conteuse et sait tenir en haleine son lectorat. Son dessin est un régal pour les yeux. Son trait est doux et chaleureux. Ses personnages aux grands yeux sont fins et longilignes.

Le tigre des neiges : une très grande fresque historique captivante, moderne et féministe.

Article posté le samedi 02 mai 2020 par Damien Canteau

Le tigre des neiges de Akiko Higashimura (Le lézard noir)
  • Le tigre des neiges, volumes 1 et 2
  • Autrice : Akiko Higashimura
  • Traductrice : Miyako Slocombe
  • Éditeur : Le lézard noir
  • Prix : 13 €
  • Parution : novembre 2018
  • ISBN :  9782353481385

Résumé de l’éditeur : Et si Uesugi Kenshin, puissant seigneur de guerre ayant vécu durant l’époque Sengoku, au XVIe siècle, était en réalité une femme ? La mangaka Akiko Higashimura part de cette théorie existante pour nous proposer un manga historique relatant la vie de ce stratège hors pair surnommé le « Tigre d’Echigo ». L’histoire commence en 1529, à la naissance du troisième enfant de Nagao Tamekage, seigneur du château de Kasugayama. Son fils aîné n’ayant pas l’étoffe d’un guerrier, Tamekage veut faire de ce dernierné son héritier, mais à son grand désespoir, c’est une fille qui naît. Il décide alors de l’élever comme un garçon et le nomme « Torachiyo ». Véritable garçon manqué, Torachiyo va grandir dans un petit château des montagnes, sans savoir quel incroyable destin l’attend…

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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