Le visage de Pavil

Qui est cet étranger tombé du ciel non loin du village de Lapyoza ? Un espion de l’Empire ? Jérémy Perrodeau (Crépuscule, Le long des ruines) plonge le lecteur dans une aventure ethno-graphique, entre croyances ancestrales et mythes fondateurs dans Le visage de Pavil, une très belle bande dessinée.

La chute d’un homme

Lapyoza. Dans les champs de la petite cité, des habitant.es s’affairent à la cueillette. Un bruit fracasse alors le silence et la quiétude du moment.

Un engin mal en point vient s’écraser dans le champ. Un homme en sort visiblement marqué par l’accident. Il vacille et s’évanouit.

A l’écart de l’Empire

En se réveillant, Pavil raconte son histoire : un orage a touché son engin qui s’est ensuite écrasé. Il est surpris par les dires des habitants : il se trouve au sud de la péninsule caspézienne, à Lapyoza.

Il ne comprend pas comment il a pu autant dévier de son trajet et se retrouver en dehors de l’Empire. A ses dires, Pavil serait scribe pour le royaume. Empire que ne reconnaissent pas les habitant.es de Lapyoza.

Le malchanceux ne peut pas acheter de cristaux pour refaire décoller son engin. La seule solution pour repartir : prendre le bateau qui l’emmènera à Boduan, la ville de l’Empire la plus proche. Mais pour cela, il doit patienter plusieurs semaines.

Vivre à Lapyoza

Dans ce village lacustre, la méfiance est de mise. Les habitant.es n’ont pas l’habitude de recevoir des étrangers, encore moins de l’Empire. Ils sont persuadés que Pavil est un espion impérial.

Le conseil de la cité se réunit pour statuer sur le sort de Pavil. L’hospitalité est une valeur importante de Lapyoza. De ce fait, il sera accueilli avec respect mais en contrepartie, il devra participer aux tâches du village.

Commence alors la longue intégration de ce mystérieux homme, entre pêche, construction d’une statue, repas, us et coutumes…

Le visage de Pavil : aventure ethno – graphique

Tel Claude Levi-Strauss qui serait venu observer un peuple autochtone, Jérémy Perrodeau joue les explorateurs. Il imagine l’arrivée fracassante d’un homme de l’Empire dans un village hors de ce même Empire.

Ainsi, il fait se rencontrer deux mondes qui s’opposent et s’ignorent. Le premier est un lieu structuré, géré administrativement, que l’on suppose immense. De l’autre, un village autarcique, qui s’autogère, qui ne reçoit aucun étranger et qui voue un culte à un puissance sacrée.

S’il confie qu’il n’a pas voulu écrire un album ethnographique, pour se laisser de la liberté, il n’en reste pas moins que cela y ressemble. On parlera plutôt de récit ethno-graphique, entre ethnologie et graphisme.

Un empire lointain, un village si proche

La dualité empire/village est renforcée par l’évocation du premier. Jamais, Jérémy Perrodeau ne le montre, laissant aux lecteurs la choix de sa représentation.

Il place uniquement son histoire à Lapyoza, sorte d’île mystérieuse. C’est à travers les yeux de Pavil qu’on la découvre.

« Pavil sert ici d’intermédiaire au lecteur pour découvrir cette communauté reculée, mais il est aussi « un voyageur qui prétend être ce qu’il n’est pas » ».

Le visage de Pavil : au cœur de croyances ancestrales

Pour créer Le visage de Pavil, Jérémy Perrodeau a puisé dans plusieurs mythes et légendes. Ce syncrétisme permet aux lecteurs de trouver ses propres références. On pense à des peuples autochtones ou premiers en Amérique du Sud ou en Asie.

Ce sont les constructions ou les cérémonies qui nous y font penser. Les habitant.es de Lapyoza vouent un culte à Hodä. Ils ne prennent aucune décision sans le consulter. Pour cette croyance, l’auteur s’est inspiré de la légende chinoise de Houyi, archer mythique de l’antiquité chinoise.

Voyage introspectif

Le visage de Pavil est également un voyage introspectif du personnage principal. Au contact des habitant.es, il se questionne et évolue. Yuni, pêcheuse, sera aussi le lien avec Lapyoza. Il s’en rapproche. Se comprennent, se détachent…

« L’autre » est aussi un concept que l’auteur de Crépuscule tente de définir. Pavil est un étranger, on s’en méfie, il est rejeté. Dans l’Empire, les habitant.es en dehors sont aussi considéré.es comme étrangèr.es.

Le visage de Pavil : Lapyoza en personnage central

Si l’on ne voit pas l’Empire, Lapyoza est scruté sous toutes ses coutures. Le village est d’ailleurs un personnage à part entière. Cette cité lacustre ressemble à celles en Afrique (Bénin), en Asie (Cambodge ou en Indonésie). Montée sur pilotis, elle tire sa richesse des eaux, notamment de la pêche.

Jérémy Perrodeau dessine ainsi des personnages sur des échasses pour traverser les eaux (comme des échassiers des Landes). Il affuble également les cueilleurs des champs de chapeau tressés caractéristiques de ceux portés dans les rizières asiatiques.

Un superbe dessin

Le visage de Pavil bénéficie d’une très belle partie graphique. La rondeur des personnages et des reliefs tranche avec les formes très géométriques de l’engin volant, des maisons, et autres bateaux. Les planches sous-marines de la cité engloutie donne une impression d’immensité et de poids face aux tout-petits êtres humains.

Si Isles la grande odyssée – sa première publication – ne comportait pas de couleurs, Jérémy Perrodeau, poussé par les éditeurs de 2024, a agrémenté ses pages de très belles couleurs. Et c’est très réussi !

Restent les mystères de cette grande statue (le Christ rédempteur ?), des masques, d’une méduse géante ou de reliefs inaccessibles. A découvrir…

Article posté le vendredi 25 août 2023 par Damien Canteau

Le visage de Pavil de Jérémy Perrodeau (éditions 2024)
  • Le visage de Pavil
  • Auteur : Jérémy Perrodeau
  • Editeur : éditions 2024
  • Prix : 29 €
  • Sortie : 15 septembre 2023
  • ISBN : 9782383870685

Résumé de l’éditeur : Cristal ! Empire ! Cet étranger tombé du ciel n’a que ces mots à la bouche. Maudit soit l’aéronef avec lequel il s’est écrasé sur nos terres. Est-il seulement ce qu’il prétend être : un scribe? ne serait-il pas plutôt un espion? Lapyoza ne peut cependant lui refuser l’hospitalité, il sera donc notre hôte, mais il devra faire sa part : il nous aidera dans les diverses tâches de la communauté, avant qu’il puisse repartir vers l’Empire. Loué soit Hodä. C’est ainsi que Pavil, citoyen lambda de l’Empire, se retrouve plongé dans le quotidien de Lapyoza, village perdu d’un archipel battu par les vents. Loin de l’agitation des villes impériales, le scribe observe les rituels qui rythment la vie simple de ces habitants : changer le visage d’un immense totem, glaner de curieux artefacts, les fondre, les réinscrire dans un nouveau cycle. Autant de mystères qui guident Pavil, sans cesse, vers l’oeil du cyclone : cette île interdite, de l’autre côté de la baie ; là d’où viennent les masques ; là où vit celui que personne ne voit, mais que tous vénèrent : Hodä.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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