Une île et des colons au bord du chemin qui marche

Une île et des colons au bord du chemin qui marche. L’histoire (passionnante) des débuts du Québec est plutôt mal connue. Dans « 1642 », appuyés par des historiens, trois auteurs la mettent en images.

Nations autochtones

Tiens, on va voir si les aficionados de Comixtrip sont de bons connaisseurs du Vieux Monde. Parmi les noms suivants, lesquels vous parlent (plus ou moins) : Kishesipirinis ; Anishnabeggs ; Wendats ; Algonquins ; Onondagas ; Abenakis ; Cris ; Montagnais ; Mohawks… allez, on termine par le plus facile parce que le dernier… Mohicans.

Yes ! Tous ces noms fort complexes à nos oreilles sont ceux des Nations indiennes. Ces peuples libres qui vivaient de part et d’autre d’un cours d’eau qu’ils nommaient Magtogoek, « le chemin qui marche » et que les premiers arrivants baptiseront le Saint-Laurent. C’est une époque où le Québec n’était que le Kébek et où après que le sieur Cartier ait conquis ce territoire (en 1534 et c’est lui qui le baptisa « Canada ») au nom d’un roi là-bas à Versailles, il était devenu la Nouvelle-France, hérissée de quelques fortins plus ou moins bien défendus par quelques nobliaux, des paysans, et des religieux venus évangéliser ces « sauvages ».

Période mal connue (voire inconnue) que celle des débuts de la colonisation française en terre hostile, où les « guerres indiennes » vont durer six longues années jusqu’à la cessation des hostilités entre le royaume et les nations autochtones par un traité de paix en bonne et due forme signé le 4 août 1701.

Une île et des colons au bord du chemin qui marche : deux albums sur la création de Québec

C’est ce que racontent deux albums (publiés tous les deux chez Glénat-Québec) qui ont la particularité de tracer la même histoire mais sous deux angles différents. Autre particularité, ce sont les mêmes auteurs qui signent les deux ouvrages, si ce n’est que pour le second, François Lapierre et Maud Tzara  se sont adjoints un autre dessinateur, Jean-Paul Eid. François Lapierre n’est évidemment pas un inconnu de ce côté de l’Atlantique puisqu’il a été pendant de nombreuses années le coloriste de Régis Loisel notamment pour la célébrissime Quête de l’Oiseau du temps et le non moins célébrissime Magasin Général qui se déroule, comme chacun sait… au Québec, où vivait Régis avant qu’il ne revienne s’installer dans le Loir-et-Cher.

Il y a deux noms de tribus qui résonnent davantage et qui ne sont pas cités au début de ce texte mais qui sont les plus importants dans cette histoire : les Hurons (c’est le nom que les Français donnaient aux Wendats) et les Iroquois (la nation iroquoise a elle seule comportait plusieurs peuples différents).

Ennemis mortels puisque les seconds détruiront les premiers quasi totalement en 1650 et qui seront alliés ou adversaires des « Montréalais » qui essayent de survivre sur cette île, au milieu du grand fleuve, qui ne se nomme à l’époque que Ville-Marie.

Ville-Marie fondée par une cinquantaine de pionniers en 1642, Ville-Marie dont le nom indien était Osheaga.  D’où les titres de ces deux albums : Osheaga qui est plutôt la version côté Indien avec de violentes et superbes (graphiquement) batailles entre tribus à coups de casse-tête, de haches, de couteaux voire de mousquets ; et Ville-Marie qui égrène cette même aventure des deux héros, le petit Français, Gauthier et ses amis l’Algonquin Askou et le Huron Tekola avec les trahisons, les massacres et les peines d’amour qui émaillent ce travail de fiction certes, mais largement ancré dans la réalité de la naissance, dans la douleur, du Canada francophone.

Ce n’est d’ailleurs pas une surprise de voir les remerciements adressés par les auteurs à des historiens patentés au nombre desquels un chercheur d’origine poitevine qui prépare un document sur un Iroquois, fait prisonnier par les Français et qui sera condamné aux galères et transféré avec d’autres Indiens à Marseille avant de revenir se battre en Nouvelle-France aux côtés des troupes royales.

Il y a encore probablement du grain à moudre et d’étonnantes découvertes à faire dans ce Nouveau monde (vendu aux Anglais en 1763 !) dont l’exploration n’est manifestement toujours pas terminée. Palsambleu !

Article posté le mardi 18 septembre 2018 par Erwann Tancé

La BD au Québec super-vivante

Les deux 1642 font partie de l’imposante sélection de la 4e édition du Prix de la critique ACBD de la bande dessinée québecoise dont le verdict sera rendu fin septembre 2018. Toujours un poil nombrilistes, les fans européens se rendent peu compte de l’impact du neuvième art dans la Belle Province.

La BD y est historiquement présente depuis près d’un siècle et elle y est toujours remarquable et extrêmement vivante : preuve en est chaque année le festival BD de Montréal ; preuve en est les prix Bedelys (association des mots BD et – fleur de – lys) décernés depuis 1999 avec toute une série de récompenses digne des grandes manifestations ; preuve en est la chronique de juin 2016 de Comixtrip sur le Top 10 des BD en Québec (tournée essentiellement d’ailleurs sur l’univers moderne d’où l’intérêt aujourd’hui de 1642) ; et puis, mais cela les fans le savent bien, l’installation sur les bords du Saint-Laurent d’auteurs comme Jean-Louis Tripp ou Régis Loisel (il faut d’ailleurs retrouver sa passionnante interview réalisée par Nicolas Albert sur le site de Comixtrip).

Au delà des créations actuelles, localement, l’une des grandes vedettes, c’est Bojoual (le joual, là-bas, c’est le langage populaire, l’argotmuche, quoi). Bojoual, le Huron Kébékois, un gros barbu très drôle, d’une force herculéenne (là-bas, ils disent d’une force louiscyrienne du nom de « l’homme le plus fort du monde » qui soulevait devant les foules nord-américaines des poids incroyables avec son petit doigt…) sorte d’Astérix matiné d’Obélix créé en 1973 par J. Guilemay (Jean-Guy Lemay) publié avec un énorme succès (des milliers d’exemplaires vendus) par les éditions Mondia. Calice de calice !

Les Hurons sources d'inspiration

Comme les liens entre la France et ce bout de terre lointain sont historiquement extrêmement forts, nombre d’auteurs ont pris à bras le corps cette période de l’histoire où le drapeau à fleur de lys flottait sur des fortins attaqués par les Hollandais, les Espagnols, les Brittons et les Natives, bien entendu.

La liste est longue. Parmi les plus connus Les Pionniers du Nouveau Monde de Jean-François Charles (aidé ensuite par son épouse Maryse), d’abord publié chez Michel Deligne, puis chez Glénat, vingt tomes depuis Le Pilori en 1982 ; on peut y ajouter le Ticonderoga du duo argentin Hugo Pratt/Hector Oesterheld, feuilletonné entre 1957 et 1962 avant d’être repris par les Humano puis par Casterman récemment ; même chose avec le Fort Wheeling du même Hugo Pratt (fasciné par les Indiens de la côte Est de l’Amérique*) créé en 1976 (Casterman) ; à la limite, la série Plume aux vents d’André Julliard et Patrick Cothias lancée en 1995 (Dargaud) comme une suite et fin « exotique » du cycle des Sept Vies de l’Epervier ; on ne peut pas oublier, même s’il s’agit là davantage des guéguerres franco-britannique d’avant l’indépendance des États-Unis, des aventures de ce cher Blek le Roc, roi des trappeurs et des fascicules dits « de gare » (Lug, Kiwi, etc) avec son petit copain Roddy et l’ineffable professeur Occultis (démarrage le 10 septembre 1955 avec trois géniteurs italiens : Giovanni Sinchetto, de Dario Guzzon et de Pietro Sartoris mais plus tard Jean-Yves Mitton et une réédition de l’intégrale chez Soleil en 1994) ; enfin, parmi les titres récents, un Dernier des Mohicans (2010, chez Soleil, signé Catmalou/Cromwell) et deux albums de Patrick Prugne (Canoë Bay avec Tiburce Oger, en 2009 chez Daniel Maghen et surtout le superbe Iroquois tout en aquarelle toujours chez Daniel Maghen en 2016). A ceux qui auraient été oubliés ou omis, toutes nos excuses, parbleu !

(*Le somptueux et cruel Jesuite Joe (1980/Dargaud) se déroule, certes dans ces régions du Canada, mais presque deux siècles plus tard…)

Couverture de 1642 Osheoga de Lapierre et Tzara (Glénat Québec)
  • 1642, Osheaga
  • Auteurs : François Lapierre et Maud Tzara
  • Editeur : Glénat Québec
  • Parution : 11 octobre 2017
  • Prix : 14.50€
  • ISBN : 9782923621784
Résumé de l’éditeur : Gauthier, jeune colon français, et Askou, Indien de la tribu des Algonquins, passent tout leur temps ensemble autour des fortifications du camp de Trois-Rivières. Mais cette période d’insouciance prend fin le jour où Askou retourne vivre dans la forêt avec les siens. Les années passent… Askou est devenu un guerrier redoutable de son clan. Il partage sa vie entre la chasse avec les trappeurs et la guerre contre les Iroquois qui mènent la vie dure aux colons européens. Lorsque son clan se rend au nouveau camp de Ville-Marie, fondé pour évangéliser les Amérindiens, les deux inséparables se retrouvent. Face aux épreuves, Gauthier et Askou tenteront, chacun à leur niveau, de faire de ce lieu un paradis pour leurs deux cultures réunies.

1642 est un moment clé de la création de la ville de Montréal, bâtie sur l’échange entre les cultures occidentales et amérindiennes, qui vous est raconté à travers ces deux albums historiques au parfum d’aventure. Osheaga prend le point de vue des tribus indiennes.

Couverture de 1642 Ville-Marie de Lapierre, Tzara et Eid (Glénat Québec)
  • 1642, Ville-Marie
  • Auteurs : François Lapierre, Maud Tzara et Jean-Paul Eid
  • Editeur : Glénat Québec
  • Parution : 11 octobre 2017
  • Prix : 14.50€
  • ISBN : 978-2923621791
Résumé de l’éditeur : Pour Gauthier le colon français et Askou l’Indien Algonquins, l’heure est venue de se séparer. Gauthier restera parmi les siens, pour renforcer les colonies. Les années passent, et la Société Notre-Dame de Montréal, une mission censée évangéliser les Amérindiens, s’établit autour du campement de Ville-Marie. Mais les tribus Iroquoise de la région sont farouchement opposé au désir de colonisation de leurs envahisseurs. S’ils veulent poser les bases d’une colonie sereine, Gauthier et les siens devront cultiver l’entraide avec les Algonquins, ennemis séculaires des Iroquois. L’heure des retrouvailles avec Askou a-t-elle sonné ?

1642 est un moment clé de la création de la ville de Montréal, bâtie sur l’échange entre les cultures occidentales et amérindiennes, qui vous est raconté à travers ces deux albums historiques au parfum d’aventure. Ville-Marie prend le point de vue des colons européens.

À propos de l'auteur de cet article

Erwann Tancé

C’est à Angoulême qu’Erwann Tancé a bu un peu trop de potion magique. Co-créateur de l’Association des critiques de Bandes dessinées (ACBD), il a écrit notamment Le Grand Vingtième (avec Gilles Ratier et Christian Tua, édité par la Charente Libre) et Toonder, l’enchanteur au quotidien (avec Alain Beyrand, éditions La Nouvelle République – épuisé). Il raconte sur Case Départ l'histoire de la bande dessinée dans les pages du quotidien régional La Nouvelle République du Centre-Ouest: http://www.nrblog.fr/casedepart/category/les-belles-histoires-donc-erwann/

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