Venera : Worlds Apart

Avec Venera, Joseph Callioni confirme l’étendu d’un talent pluriel autant que la richesse de son univers. Quitte à parfois flirter avec une certaine forme d’hermétisme. 

Le titre de cette chronique n’a absolument rien à voir avec le boys band qui a saigné les oreilles des adolescent.e.s dans les années 1990 (moi y compris). Il signifie surtout à quel point les mondes de Venera, la récente bande dessinée de l’auteur Français Joseph Callioni, sortie en août aux éditions Atrabile, ne ressemble à rien de ce qui existe dans le genre.

PLAN B

Dans le domaine de la science-fiction, difficile d’inventer des nouveaux espaces, des nouveaux mondes, quand beaucoup semble concourir vers des univers technos ou tout est synonyme de projections et d’anticipations à plus ou moins court terme. La plus grand difficulté reste l’appropriation de ce futur et la façon dont chaque auteur va réussir à l’exploiter afin de lui conférer une identité propre. Dans le genre, un auteur comme Christophe Siebert, qui entame depuis maintenant trois ans un cycle de Dark SF publié aux éditions Au Diable Vauvert, semble tirer son épingle du jeu. Ils sont évidemment quelques autres. Si Siebert œuvre dans la littérature, l’auteur qui nous intéresse ici œuvre plutôt dans la bande dessinée. Quoique.

Le monde de Venera se meurt. Le temps ne paraît plus s’écouler normalement, l’univers se délite et différentes couches de réalités se juxtaposent. Tout semble concourir vers une fin certaine mais peut-être qu’un plan B est encore possible ? Une sorte de grande sauvegarde vers un ailleurs indéfini. Voici à quoi se résume l’histoire de Venera sur fond de questionnements philosophiques et de problématiques écologiques. 

Ici, peu ou pas d’attaches envers un héros ou une héroïne, peu importe sa forme. Si nous suivions bel et bien des personnages, des formes ou des esprits récurrents, rien ne nous permet, d’une, de leur donner un nom, de deux, de les reconnaître au fur et à mesure de leurs différentes progressions. A la lecture, on se rend rapidement compte que l’intérêt de Venera ne tient pas dans son histoire. On sent que Callioni tente de poser une trame sur un ensemble disparate qui tire son énergie de tout autre chose, faisant alors de Venera une œuvre tiraillée entre sa plus grande faiblesse et sa plus grande force : ses dantesques visions du futur. 

PAPIER A CIGARETTE

Force car l’immersion aux seins de ces visions se fait via une incroyable richesse visuelle, un travail sur les univers qu’il est impossible d’ignorer à l’ouverture du livre. Pour une plongée plus intense, Callioni multiplie ainsi les techniques de création. Quand nous passons d’une couche de réalité à une autre, le trait change. Une fois l’univers adapte des esquisses proches de ceux de Daniel Clowes ou Antoine Maillard, auteur du récent L’Entaille chez Cornelius. Un trait fort, rentre dedans, tape à l’oeil. Une autre fois, il s’assagit, travaille ses compositions comme une peinture, proche d’un réalisme quasi photographique pour mieux appeler aux compositions des travaux de Salvador Dali, surréaliste en puissance. Une autre fois encore les nuances s’estompent, pointilleux, tout en noir et blanc, à la limite de l’éblouissement, le trait est d’une finesse exquise et rappelle aux univers de Moebius, Le Garage Hermétique en tête. La nature est omniprésente et le végétal se mélange à l’aérien ou au marin conférant à l’ensemble un aspect hautement poétique. On sent que ces problématiques sont assumées autant que la feuille de papier à cigarette sur laquelle est écrit le scénario.

COUTURES

Faiblesse, car les personnages qui ponctuent ces visions sont surtout liés à l’idée de concepts visuels avant tout. Ils sont marquants mais à la limite de l’hermétisme et de l’abstraction. En ce sens, les questions abondent : Qui sont-ils ? Où vont-ils ? Que cherchent-ils vraiment ? On sent que Callioni s’amuse à l’idée de créer des monstres d’un monde nouveau, que son plaisir est salvateur mais l’écho de cette science-fiction m’a fait penser à certaines créations des Soeurs Wachowskies, Jupiter Ascending en tête (sans comparer la qualité du livre au film qui est une vraie daube). A l’instar des créatrices de Matrix, Callioni inonde ses mondes de figures et d’idées tout en décalages et absurdités mais qui a force de profusion finissent par lasser voir enfermer le lecteur dans le possible cheminement qu’il pourrait entreprendre. 

Si voyager sur Venera est intense, parfois obscur, souvent magnifique et abscons, l’excursion révèle le caractère inédit d’un auteur dont la maîtrise visuelle mériterait amplement de servir un scénario beaucoup plus jouissif. En l’état Venera est un trip psychotique à savourer sous ses innombrables coutures. 

Article posté le mercredi 19 octobre 2022 par Rat Devil

Venera de Joseph Callioni (Atrabile)
  • Venera
  • Auteur : Joseph Callioni
  • Editeur : Atrabile
  • Prix : 23€
  • Parution : 13 mai 2022
  • ISBN : 978-2-88923-113-3

Résumé de l’éditeur : Sur des prémices science-fictionnelles à première vue mille fois traités («la fin du monde»), Joseph Callioni bâtit ici une oeuvre qui a quelque chose de profondément inédit; à travers une esthétique imprégnée de surréalisme et peuplée de visions fantastiques, évoquant aussi bien la gnose que la physique quantique, Venera est un livre qui bouscule et interpelle tout en faisant une belle place à l’imaginaire et au voyage intérieur. Entre La Planète impossible, son précédent livre, et Venera, Joseph Callioni a opéré une belle mue artistique, délaissant (partiellement) un trait tout en finesse et une certaine forme de ligne claire pour quelque chose de plastiquement plus charbonneux et plein, mais pas moins élégant, ni surprenant. Les deux livres, qui ont autant de points communs que divergeants, partagent un amour assumé pour les situations incongrues et un humour décalé et imparable.

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