Vies d’ensemble T.1 : La portée des mots

En mars 2024, la collection Sakka des éditions Casterman nous avait fait une première proposition de la découverte de Fumiya Hayashi avec La règle de trois. Une immersion en douceur dans un triangle amoureux porté sur la complexité des relations humaines, le sens de l’amitié et de l’amour en mettant en scène avec tendresse les sentiments de ses personnages. En avril dernier, ce sont les éditions Naban qui nous invitent à poursuivre l’exploration de l’univers de Fumiya Hayashi avec Vies d’ensemble – Au-delà des mots.

Fumiya Hayashi : De la règle de trois à Vies d’ensemble

 

La règle de trois de Fumiya Hayashi (Casterman)La règle de trois de Fumiya Hayashi (Casterman)

© 2021 Hayashi Fumiya, Enterbrain

 

Fumiya Hayashi entame sa carrière d’artiste en tant qu’illustrateurice, passant de l’univers du jeu de rôle (JRPG) avec Grand Blue Fantasy, à celui de Détective Conan ou encore Gintama. Ainsi, iel rejoint en 2013 le milieu des dôjinshi (ouvrages indépendants équivalents des productions de fanzines en France) en restant dans la continuité de ses productions qui gravitent autour des œuvres qu’iel affectionne, tout en réalisant des créations originales publiées sur des plateformes numériques. 

D’ailleurs, c‘est par ce biais, qu’entre 2015 et 2019, l’auteurice publie des histoires originales aux prémices semblables à La règle de trois et Vies d’ensemble, et dans lesquelles nous retrouvons des personnages tirés de ces œuvres. De cette manière, Fumiya Hayashi a été repéré.e par le Comic Beam, un magazine de pré-publication seinen. Une revue qui a pu accueillir des noms emblématiques du paysage du manga, tels que : Atsushi Kaneko, Suehiro Maruo ou Keichi Koike.

Tout en ayant, de la même manière, un regard porté sur des visages rafraîchissants comme Aki Irie (Dans le sens du vent), Naoto Yamakawa (Une douce odeur de café), Shima Shinya (Lost lad London) ou encore Sôsuke Toka (Ranking of king). C’est donc  au sein de ce magazine qu’iel a commencé la réalisation de La règle de trois, dans lequel on perçoit son attrait pour les liens humains que Fumiya Hayashi  illustre avec finesse et agrémenté d’une beauté intimiste. Depuis, iel continue d’approfondir d’autres facettes liées à cette thématique, aux apparences que les relations peuvent aborder. En se détachant des prismes conventionnels.

 

Vie d'ensemble de Fumiya Hayashi (Naban)

© 2021 Hayashi Fumiya, Enterbrain

 

D’une rencontre à une relation anonyme

Vie d'ensemble de Fumiya Hayashi (Naban)

© 2021 Hayashi Fumiya, Enterbrain

 

Dans un appartement vide, marqué d’aucune histoire, aux décors discrets, Takeda et Arita déposent leurs premiers cartons. Un soir, lors de la contemplation d’un paysage orné de refuges illuminés qui illustrent de nombreuses vies inconnues, cet instant signe l’annonce d’une nouvelle histoire. Un récit qui n’est ni celui d’une amitié ni d’une relation romantique ou familiale, mais de personnes qui apprécient passer du temps ensemble. 

Par cette scène anecdotique, et pourtant symbolique, Vies d’ensemble amorce le quotidien de ces deux jeunes hommes adultes. Takeda est un professeur d’école. C’est lors d’une journée recouverte d’un rideau de pluie qu’il rencontre Arita, un jeune fleuriste venant en aide à un chat. Bien qu’ils côtoyaient la même classe au lycée, ils n’ont jamais ressenti la nécessité d’échanger. 

Le lycée peut être un lieu suffocant où des cadres et contextes sociaux s’installent, incitant à tenir des rôles. Au final, c’est ce jour anodin, une fois délié de ces obstacles, qui leur permet de percevoir l’autre de manière distincte

Vie d'ensemble de Fumiya Hayashi (Naban)

© 2021 Hayashi Fumiya, Enterbrain

La portée des mots et le sens des noms

Au travers de cette rencontre, Fumiya Hayashi soulève l’interrogation de la nécessité ou non de nommer ses relations avec autrui, sur ce que cette action peut induire. Par cette base, l’œuvre aborde le sujet de la valeur des mots, de la portée et l’influence qu’ont ces derniers. En employant un mot, on peut prendre le risque de s’y enfermer. Et de s’y enchaîner soi-même, cela implique aussi la crainte d’enfermer l’autre, la personne à qui on s’adresse. 

Lorsqu’on appose un nom à une relation, on peut avoir tendance à vouloir correspondre à cette définition, un cadre qui peut empêcher de voir l’autre dans son entièreté. Bien que cela ne signifie pas que toutes relations ne doivent pas être nommées, cela permet parfois de mieux réfléchir à ce qui constitue une personne en tant qu’individu et le type de relations qu’on entretient avec elle. Et par ce respect mutuel qu’ont Takeda et Arita, ils parviennent à observer chacun avec clarté. 

“Pour moi, Arita est Arita…

Je n’ai pas de mots pour le décrire avec plus de précisions…

Et je croyais ne jamais en avoir besoin…”

Vies d’ensemble apporte une vision personnelle des liens, de la manière dont ils se forgent, à notre rapport pour ces derniers et de la façon de les percevoir. Ainsi que cette sensation de décalage qu’on peut ressentir avec le monde qui nous entoure, et notamment cette perception très binaire des relations. Et c’est avec une tendresse singulière que Fumiya Hayashi cherche à capturer le ressenti des personnages.

Au-delà des mots: cadrer les sentiments

Pour se défaire de ce cadre conventionnel, Fumiya Hayashi exploite la tranquillité, la simplicité et l’intimité créées par ce quotidien, pour retranscrire avec sensibilité les sentiments comme les désirs de ses personnages. 

On ressent ainsi un profond respect dans l’attention qu’iel apporte pour le dépeindre. Et cela se montre aussi bien par la manière dont iel gère l’espace. Son découpage aéré permet à ses cases de respirer, et ainsi celle de la vie de Takeda et Arita. Une narration épurée pour laisser de la place à ses personnages, et encadrer leurs sentiments et interrogations naissantes. À l’image de son prologue dans lequel l’auteurice décrit avec soin l’endroit où s’enracine cette relation. Un appartement vide, aseptisé de tout élément pouvant nous induire à y percevoir des ambiguïtés. L’identité d’un refuge dépend du sens qu’on lui donne, et est, avant cela, un lieu où les personnes se sentent acceptées. Il est à l’image de ces deux êtres qui se sentent plus à l’aise, une fois en présence l’un de l’autre.

À la différence de la règle de trois, Au-Delà des mots opte pour un rythme plus lent et léger. Afin de laisser à ses personnages, le temps d’exposer leurs interrogations. Et de nous laisser, à nous lecteurices, le temps d’accueillir ces réflexions et sentiments pour mieux admirer leur évolution au prochain tome.

 

Vie d'ensemble de Fumiya Hayashi (Naban)

© 2021 Hayashi Fumiya, Enterbrain

Article posté le vendredi 17 mai 2024 par Piai

  • Vies d’ensemble – Au-delà des mots 
  • Auteurice :Fumiya Hayashi
  • Traduction : Angélique Mariet
  • Lettrage: Elsa Pecqueur
  • Éditeur : Naban
  • Collection : Contrebande
  • Prix :8,00 €
  • Sortie : 19 avril 2024
  • Pagination : 200 pages
  • ISBN : 9782380600834

Résumé de l’éditeur : Takeda est professeur de japonais et Arita est fleuriste. Camarades de classe au lycée, ils ne s’étaient plus revus depuis la fin de leurs études. Mais un jour de pluie, leur relation évolue lorsqu’ils viennent en aide à un chat. Ils n’ont pas de sentiments amoureux l’un pour l’autre, ni même de raison particulière de vivre ensemble. Pourtant, c’est lorsqu’ils sont aux côtés l’un de l’autre qu’ils se sentent le plus à l’aise. Ils ont une relation différente des couples, des amis ou encore d’une famille. Mais ils apprécient passer du temps ensemble.

À propos de l'auteur de cet article

Piai

"Ce que j'adore en bande dessinée, c'est le dialogue qui naît entre l'œuvre et les lecteurices". C'est ainsi que depuis plusieurs années, j'apprécie autant partager mes expériences de lectures, que découvrir celles des autres.

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