Comixtrip est allé à la rencontre de Camille Jourdy, autrice de la très jolie fable fantaisiste Les Vermeilles. Avec elle, nous avons parlé de Rosalie Blum, de Juliette les fantômes reviennent au printemps, de relations familiales, de contes, d’enfance et de merveilleux. Plongée dans l’univers doux de cette artiste chaleureuse et drôle.
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Rosalie Blum & Juliette, les fantômes reviennent au printemps (Actes Sud)
Camille Jourdy, dans tes deux premiers albums – Rosalie Blum et Juliette les fantômes reviennent au printemps – les relations humaines étaient le coeur de tes histoires. Pourquoi cela est enthousiasmant de mettre en scène le quotidien des gens et leurs interactions ?
En réalité, je n’en sais rien. Je ne me dis pas forcément cela ainsi. J’ai envie de parler de ça mais pourquoi ? Je ne sais pas.
C’est en tout cas, ce qui me plaît dans les films et les livres. Tout ce qui touche à la famille, la place de chacun dans la famille et les relations entre les gens.
Je dis souvent que je n’analyse pas forcément tout, de pourquoi j’aime ceci ou pourquoi je fais cela. Il y a surtout une part inconsciente et cela me va très bien.
« J’ai une famille très présente dans ma vie, dans tout ce qui peut être bien mais parfois aussi très pesant »
Est-ce que cela veut dire qu’il y a de toi dans tes albums ?
Oui, évidemment, mais ce n’est jamais autobiographique. Il n’y a aucun de mes personnages qui existe mais j’emprunte plutôt leur façon de parler et leurs attitudes.
Pour moi, la famille c’est très important. J’ai une famille très présente dans ma vie, dans tout ce qui peut être bien mais parfois aussi très pesant.
Quand j’étais adolescente, mon grand-père possédait une maison avec plusieurs appartements. Lorsqu’il est décédé, nous sommes tous venus y vivre parce que c’était un peu le seul moyen de garder la maison. Autour de moi, il y avait mon père, ma mère, mon frère, ma sœur, mon oncle, ses deux enfants et son épouse, mais également mon autre tante. C’était un clan dans une grande maison familiale. On s’entendait très bien mais ce n’était pas toujours évident de s’y retrouver. La famille est une chose particulière chez nous.
« … et ils s’épousèrent sur la bouche »
Comme tu viens de le confier, les dialogues sont souvent empruntés à des personnes autour de toi. Dans Les vermeilles, est-ce le cas ?
Je pense à une phrase en particulier que j’ai piqué à ma fille : « épouser sur la bouche ». Quand elle jouait avec ses poupées, elle disait souvent : «… et ils s’épousèrent sur la bouche ». J’ai transformé la phrase pour l’album.
Je note beaucoup de choses dans des carnets. Pour Juliette, par exemple, j’ai beaucoup emprunté à ma cousine.
Dans un repas de famille, si quelqu’un dit quelque chose de bien, je sors mon carnet et je le note. Mes parents, je leur emprunte des mimiques… Souvent, je leur dis : «attends, je prends mon carnet ! » et ça les fait rire.
Tu expliquais aussi dans la rencontre avec le public tout à l’heure à La rotonde de Saint-Malo, que c’était une masse importante de données et que tu savais que tu pouvais t’en resservir…
Même lorsque je construis un personnage, j’ai en tête des gens que je connais et je me dis que je vais pouvoir emprunter à untel qui pourrait avoir ce genre de réaction. Je ne suis pas sûre que les vraies personnes peuvent le voir dans mes albums.
Par exemple, dans Juliette, Marylou a une façon de parler très proche de ma mère. Les gens le lui ont dit. Pourtant, elle n’a pas du tout la même vie et ne ressemble pas au personnage.
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Les Vermeilles (Actes Sud)
Les Vermeilles, était-ce ta première incursion dans le monde jeunesse ?
En bande dessinée, oui. En albums jeunesse, non ; mais ce sont souvent des commandes. Je n’en ai pas fait énormément qui venaient de moi.
Qu’est-ce qui t’attire dans le genre littéraire de la fable ?
Je ne me suis pas dit que j’allais faire une fable. C’est venu avec ma fille quand elle avait 3/4 ans. Lorsque l’on est avec ses enfants, j’ai l’impression que l’on retrouve l’enfance, que l’on repart vers ce monde-là. La sienne, la mienne.
Je regardais de nouveau les dessins animés ou les films que j’avais vu plus petite avec elle. Je lui faisais découvrir des livres, des jeux ou des jouets que je connaissais et je crois que cela m’a donné envie de me replonger dedans.
J’ai alors pris des notes et fait des petits dessins. Il y a eu notamment quelques balades en forêt avec elle qui m’ont donné envie de raconter une histoire. Plus jeune, elle ressemblait un peu à Jo, que j’ai dessiné un peu plus âgée dans l’album. J’avais envie d’un univers dans la forêt avec du merveilleux ; une bande dessinée qui m’aurait plu enfant.
Est-ce que tu es une grande lectrice de ce genre littéraire ?
Pas tellement. J’ai surtout pensé aux contes que je lisais plus petite.
Pourtant, tu fais de nombreux clins d’œil à Peter Pan de James Matthew Barrie ou Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll…
C’est plus mon enfance à moi. Je fais référence à Disney parce que j’ai grandi avec ces dessins animés. Mais également, L’histoire sans fin ou encore Peau d’âne de Jacques Demy. Ils m’ont marqué et donc on en retrouve consciemment ou inconsciemment dans l’album.
Par exemple, lorsque Jo entre dans la Maison des marais, il y a trois bols et trois chaises. Pour moi, c’est un peu la maison des Trois ours. Personne n’y fait attention, mais moi ça me plaît. Un petit garçon perspicace, un jour, a remarqué les armes des Trois brigands, le livre de Tomi Ungerer.
Qui est Jo ? Comment pourrais-tu la qualifier ?
Jo, c’est une petite fille énervée, qui est en colère. Elle est énervée parce que ses parents ont divorcé. Son père est avec une autre femme et elle se retrouve avec deux demi-sœurs. Cette situation n’est pas un hasard : c’est Cendrillon. D’ailleurs, ça m’amusait de lui faire dire : « Ma belle-mère est une sorcière ».
Elle veut tous les envoyer promener. Elle est à la fois énervée et légère. Elle parle à tord et à travers. Puis, au fur et à mesure, elle vit des épreuves qui l’affectent et qui la font grandir. Sans le dire de manière trop appuyée et didactique, je voulais avoir cela en tête et que cela se ressente. Je voulais que cela soit sous-entendu, notamment dans ses relations avec le gros renard. Au début, il est énervé contre elle puis petit à petit, il y a une relation plus forte entre eux. Jo est insouciante au début, puis prend conscience de la situation.
Peux-tu nous expliquer qui sont les Vermeilles ?
Ce sont des petits poneys mignons, rares et précieux, de toutes les couleurs et qui sont assez irrévérencieux. Ils sont un peu rebelles et utilisent la virelangue. Ils ne parlent qu’avec des V.
Ils sont convoités par l’empereur Matou, qui les collectionne, les capture et les repeint régulièrement, parce qu’une fois en captivité, ils perdent leurs couleurs. Cela vient des Mon petit poney que j’avais plus petite.
Dans ce village, pourquoi tes personnages ont toutes ces formes ? Pourquoi sont-ils à mi-chemin entre des êtres humains et des animaux ?
Je ne sais pas vraiment en fait. Ça vient comme ça. Je ne me pose pas vraiment de questions. Parfois, c’est très étudié, si cela sert la narration, et parfois non. Certains sont issus de recherches plus anciennes.
En fait, Les Vermeilles, ça fait 6/7 ans qu’il est dans mes carnets. Il y a deux ans, je me suis dit que j’avais du temps et qu’il fallait que je le fasse.
En quoi était-ce important que l’expédition pour la grande évasion soit un échec ?
J’avais envie qu’il y ait tout ce parcours que font Jo et Maurice et de bien montrer leurs relations. Il y a trois étapes fondatrices : les Marais, la Plaine de l’oubli et les Trois vieilles sorcières. Ils font tout un détour, ils grandissent et enfin viennent délivrer les autres.
Ce n’est pas mon truc, les scénarios d’aventure et de bagarres. C’était compliqué parfois pour moi de réaliser des scènes d’action. J’ai donc plus cherché le gag ou faire un pas de côté. Plus que l’action en elle-même, je préférais raconter ce qu’il y avait à côté.
En fait, leur plan, il est tout pourri, mais ce n’est pas là l’essentiel.
Il y a beaucoup d’humour et de fantaisie dans Les Vermeilles. Pourquoi ?
Tout d’abord parce que cela me fait rire ! On retrouve cet humour dans mes tout-premiers livres, même quand j’étais étudiante.
Dans mes travaux à l’école, je mêlais le fantastique et l’humour. C’est à cette époque que j’ai découvert l’humour de L’Association, de Donjon ou d’Anouk Ricard. Ça m’a marqué. Ça correspond bien à mon humour et celui de ma famille.
Comment réalises-tu tes planches ?
J’écris scène par scène. Pour cette bande dessinée – ce n’est pas comme cela tout le temps – je connaissais le canevas de l’histoire mais de façon très grossière. Je n’avais pas tout écrit précisément.
Je commence par un story-board assez brouillon que je laisse de côté pendant un moment afin d’avoir un peu de recul. Puis, je le montre à Thomas Gabison, l’éditeur, avec qui je travaille beaucoup. Dès que c’est bon, je passe au dessin à l’encre.
Pour me reposer l’esprit, je mets en couleur. J’aime toujours avoir à colorier. Si je sens que si ça ne va pas, je n’hésite pas à recommencer. Par exemple, j’ai repris les 30 dernières pages des Vermeilles.
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Planches commentées
J’ai choisi quelques planches. Nous allons les regarder ensemble. Tout d’abord la page 3. Le moment où Jo découvre le couple de la reine et du roi. Pourquoi as-tu choisi cet angle ?
Dans les toutes premières recherches, c’était comme ça. Souvent, j’aime bien garder l’énergie de la première envie.
Il y a des années déjà, j’avais dessiné cette petite fille qui voyait surgir ce petit roi et cette petite reine, qui me plaisent graphiquement. Le merveilleux arrive assez vite dans l’histoire. Je savais qu’il n’y avait pas besoin d’en dire plus, que l’on comprenait tout de suite. Il fallait que Jo soit rapidement en contact avec eux.
Page 7. C’est une planche sans texte. C’est un moment important puisque Jo arrive dans le village. Elle est surprise et bouche bée. Pourquoi as-tu choisi de décrire cette scène sans dialogue ?
Je l’ai toute refaite d’ailleurs ! Dans la première version, Jo parlait. Finalement, il n’y avait pas besoin de dialogues ni de texte. Elle est très bavarde et pour une fois, elle ne parle pas. Elle observe.
» Pour moi le dessin, c’est une écriture »
Pages 22 et 23. La petite troupe déguisée arrive au château de l’empereur. Ce sont des cases panoramiques, descriptives et sans texte. Pourquoi une entrée si impressionnante ?
Je voulais une entrée comme celle-ci. En fait, souvent je ne sais pas, c’est au feeling. Sur un papier brouillon, j’essaie, je fais un cadrage. Pour moi le dessin, c’est une écriture. Quand je note par dessin ce qui va se passer, finalement assez souvent, ce qui est venu en premier, ça fonctionne bien.
Page 39. Le suspense autour de Matou. Il est dans l’obscurité, de dos sur son trône. Cela m’a fait penser à Mad dans l’Inspecteur Gadget…
Ah oui, je n’y avais pas pensé. Ma fille est fan d’Inspecteur gadget, peut-être que ça vient de là.
Comment montrer le chat ? J’ai essayé plusieurs choses. Au début, on ne le voyait pas, on passait directement à la cuisine. On l’entendait juste parler. Thomas m’a dit qu’il fallait vraiment le voir. J’ai fait des essais dans la salle de bal. Petit à petit, je suis arrivée à cette case mystérieuse. Je voulais quelque chose de sombre et qui fasse un peu peur.
Merci Camille Jourdy pour cet entretien.
Entretien réalisé le samedi 25 octobre 2019 à Saint-Malo
À propos de l'auteur de cet article
Damien Canteau
Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.
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