À l’occasion de la sortie du tome 4 de La Venin, Ciel d’éther, chez Rue de Sèvres, Laurent Astier est venu nous parler de cette série, mais également de son travail, en tant qu’auteur de bandes dessinées.
Est-ce que tu peux te présenter pour ceux qui ne te connaissent pas ?
Je suis Laurent Astier, auteur de bandes dessinée depuis 20 ans en professionnel. J’ai réalisé un peu plus d’une vingtaine d’albums.
Dans les séries, il y a Cellule poison (chez Dargaud), L’affaire des affaires (chez Dargaud) avec Denis Robert qui met en image son enquête sur les embrouilles de l’affaire Clearstream.
Puis Face au mur (chez Casterman), coréalisé avec Jean-Claude Pautot un ancien braqueur que j’avais rencontré lors d’ateliers en prison.
Et enfin la dernière série en date, La Venin qui m’anime depuis pas mal de temps, cinq ans maintenant si on compte toute la préparation et la maturation du projet.
Avant de faire de la bande dessinée, tu as travaillé dans le jeu vidéo.
Oui, j’ai fait une petite incartade dans le jeu vidéo. Ce qui était assez drôle, c’est que j’ai été recruté pour faire du character design, alors que je n’avais jamais quasiment joué au jeu vidéo. J’étais un des seuls d’ailleurs qui ne jouait pas douze heures par jour. Au bout d’un moment, on m’a demandé d’acheter une console, pour comprendre un peu comment tout ça fonctionnait.
Ce qui m’intéressait vraiment, c’était de travailler sur l’univers du jeu. Celui sur lequel je travaillais à l’époque était vachement chouette. Donc, c’était vraiment l’aspect graphique. On était un petit studio travaillant sous contrat avec Ubisoft et la boîte a disparu au moment de l’éclatement de la bulle internet. Moi j’étais parti peu de temps avant, j’avais signé mon tout premier contrat pour la trilogie Cirk (chez Drugstore).
Est-ce qu’avoir fait cette petite incartade t’aide dans la scénarisation ou pour les mouvements de tes personnages ?
Toujours pas, je ne suis toujours pas devenu joueur. La création prend tellement de temps. Je trouve que le jeu pour moi est une perte de temps, alors que je développe mes univers. Je n’ai pas besoin de supports pour rêver, il me faut juste un canapé et une fenêtre ouverte.
Est-ce que plus jeune tu étais baigné dans l’univers bande dessinée ou bien est-ce venu après tout seul ?
Enfant, mes toutes premières lectures étaient des fumetti. Des bandes dessinées italiennes avec justement plein d’histoires de westerns et de Seconde guerre mondiale. C’étaient des albums récupérés qui appartenaient à mon oncle et à mon père. Je les avais trouvés chez ma grand-mère. D’ailleurs c’est assez drôle parce que c’était souvent des histoires à suivre. Et ça c’est un truc qui m’a permis de pas mal rêver. Je n’avais jamais la suite et je relisais toujours les mêmes micro-aventures sur différents personnages. Je pense que ça m’a poussé un peu, à imaginer ce qui s’était passé avant, ce qui se passera après. J’avais eu ça aussi avec des lectures comics.
Achetais-tu des bandes dessinées ?
Mes parents ne pouvaient pas. Ils trouvaient ça un peu cher à l’époque d’acheter des comics tous les mois. Je viens d’un milieu ouvrier donc il n’y avait pas beaucoup de livres à la maison. En fait, on faisait pas mal d’emprunts à la bibliothèque. Mon frère est un très grand lecteur donc c’est lui qui m’a attiré vers le dessin.
On a commencé à dessiner un peu tous les deux. Au début, je le copiais allègrement, je lui pompais tous ses personnages. Après, graphiquement, on a pris des chemins vraiment différents. Là, on travaille actuellement ensemble parce que c’est lui qui réalise les couleurs depuis le tome 3 sur La Venin. Il a toujours préféré la couleur et moi plutôt le noir et blanc en terme de dessin.
Après il y a l’obligation de 46 pages couleurs quand on fait une série grand public. Mais moi, ma première motivation, c’est d’avoir des belles pages noir et blanc. C’est pour ça que j’étais très content quand Rue de Sèvres a accepté de publier chaque album en grand format, noir et blanc.
Est-ce que tu regardais beaucoup de westerns quand tu étais plus jeune ?
Il y avait La dernière séance donc on essayait de persuader les parents de pouvoir rester un peu devant la télé. Ça devait être le mardi soir et c’est arrivé parfois qu’ils cèdent. On voyait le début comme pour les fumetti ou les comics. Et après ils nous envoyaient nous coucher.
Quand as-tu commencé le premier tome de la série La Venin et quand as-tu proposé ce projet à ton éditeur ?
Bonne question, c’est un peu flou. Il y a cinq ans et demi, vers 2017, 2018. Chez Rue de Sèvres, ils ont vraiment été emballés directement par le projet. Je sais que chez Glénat aussi, ils voulaient le faire mais sous une forme un peu différente.
Mon dossier était assez court mais j’avais l’idée entière de l’histoire ou quasiment. Tout en sachant que j’allais quand même pas mal développer La Venin.
La Venin tome 1, Déluge de feu
Chez Rue de Sèvres, ils ont vraiment tout de suite compris où je voulais aller. Quand on a commencé à en discuter avec Nadia Gibert mon éditrice, elle m’a dit mais tu veux faire en combien de tomes. J’ai dit deux ou trois tomes. Mais avec tout ce que je lui ai raconté, elle a trouvé que ce serait léger. Elle a un peu lâché la bride donc je lui ai dit qu’on pourrait le faire en cinq tomes. Ce qui correspondaient à chacun des personnages qui devaient être assassinés
As-tu présenté La Venin à d’autres éditeurs ?
Oui mais très rapidement, j’ai su que ce serait chez Rue de Sèvres. Toute l’équipe était vraiment emballée par le projet. Ils l’avaient tous lu et en avaient discuté entre eux. La dynamique intéressante d’une petite équipe qui communique dès l’envoi des projets. Les deux éditrices en parlent à toute l’équipe, une sorte de choix un peu collégial. J’ai su après coup, qu’ils avaient déjà envie de travailler avec moi avant. Donc ce projet tombait à pic.
D’où t’est venue d’où l’idée de cette héroïne Emily ?
J’avais fait un dessin hommage à Claudia Cardinale, Jill dans Il était une fois dans l’Ouest. Ça venait d’une frustration parce que le film est sublime. Je l’ai vu et revu maintes et maintes fois. Je trouvais ce personnage tellement intéressant mais peu développé dans le film. Alors je me suis dit que j’aimerais bien créer un personnage qui soit un peu similaire pour pouvoir justement lui donner une vraie place dans l’histoire.
Le premier dessin de La Venin date de 2012, c’est bien ça ?
Le tout premier dessin, la première idée et après c’est resté dans un coin de ma tête. Puis ça a commencé à prendre de plus en plus d’importance. Et là, j’ai vraiment commencé à développer le background du personnage, savoir d’où elle venait. Avoir le fil rouge de l’histoire qui commençait un peu à s’imposer à moi. Après, ce qui est intéressant, c’est quand on rentre vraiment dans la phase de création préparatoire, l’écriture. Le moment où je fais des allers retours avec ce que j’ai imaginé.
Je voulais glisser Emily dans la grande Histoire américaine donc trouver des événements politiques, climatiques, sociaux. Asseoir mon récit et lui donner de la profondeur. Je trouve intéressant de ne pas uniquement faire de la fiction mais d’avoir de vrais événements qui se sont réellement passés pour développer l’histoire.
Comment procèdes-tu pour toutes ces recherches historiques ?
Des recherches en étoile, Wikipédia permet de faire ça. On cherche une période et on affine de plus en plus. Puis on tombe sur un événement qui nous emmène vers d’autres personnages. Une espèce de recherche en toile d’araignée, je passe des journées entières à lire des articles. Ça c’est la matière première et c’est un moment où j’imbibe, je prends plein d’infos. Après je suis obligé de faire des vérifications quand je commence à écrire. Puis il faut arriver aussi à croiser les informations.
Mais en même temps, tu ne fais pas un documentaire historique ?
Ce n’est pas du tout le but, on est quand même dans un récit fictionnel. Mais après il ne faut pas qu’il y ait d’erreurs grossières dans le récit. Il ne faut quand même pas être trop loin de la réalité.
Pour le tome 5, j’avais prévu une fin que je pensais parfaite, en me disant ça va être génial. Mais en faisant les vérifications historiques, je me suis rendu compte que la fin était impossible. Il a fallu que je repense mon récit à l’aune de ce que j’avais comme informations.
C’est une matière qui est vachement mouvante quand on est dans l’écriture du scénario et même dans la phase de storyboard, il y a toujours un moment où on peut tout réimaginer. La première fois que je vois mes scènes, je les vois filmées. C’est vraiment un film mental.
Justement, ça te plairait de voir ton personnage décliné en film ou en série ?
Ce serait hyper intéressant de le voir ainsi mais je ne suis pas sûr de vouloir travailler dessus. Fabien Nury, qui a beaucoup bossé sur les séries, m’a raconté la difficulté de travailler sur des scénarios de films. Moult réécritures qui donnent l’impression de perdre ce à quoi on tient vraiment.
Quand on fait de la bande dessinée, la première intention c’est, qu’est ce que je voulais raconter la première fois que je l’ai imaginée. Qu’est ce que j’ai ressenti comme émotions avec ces personnages là et avec cette histoire là. C’est un truc qu’il faut faut essayer de ne pas perdre malgré les retours en arrière.
Donc potentiellement de voir La Venin adaptée mais de la lâcher ?
C’est un peu une obligation. Soit je continue ma carrière d’auteur de bandes dessinées, soit je me dédie entièrement au cinéma. Mais je pense qu’il y a un moment où on ne peut pas tout faire. C’est une question que je me suis posée dernièrement parce que ça fait plusieurs fois qu’on me propose des adaptations de Cellule poison.
Ce qui peut être intéressant, c’est de travailler avec le scénariste et d’avoir des vraies discussions avec lui pour pouvoir penser le projet au départ. Mais je pense qu’à un moment il faut lâcher. En plus, le cinéma, c’est vraiment différent dans la manière de travailler. Une équipe va bosser sur le film et je ne sais pas si j’ai le caractère pour la gérer.
Alors tu préfères travailler seul pour être sûr de ne pas te tromper ?
J’ai parfois eu envie de travailler avec d’autres dessinateurs sur des projets. Ça ne s’est pas fait, mais j’avais l’envie. La plus grande difficulté, quand tu es auteur complet, c’est de se départir d’une part de toi, qui imagine déjà comment ça va être agencé. D’être en retrait et de poser les choses. Un scénariste est obligé d’imposer une vision, d’essayer de tirer le dessinateur vers lui. C’est un travail un peu plus compliqué que je n’ai pas encore fait. Et puis ça ne va pas arriver tout de suite, parce que là j’ai pas mal de projets qui vont arriver derrière La Venin, une fois que j’aurais terminé le cinquième et dernier tome.
Avec La Venin, quelle était ton intention première ?
C’était d’avoir un vrai personnage puissant parce qu’il y a plein de figures qui restent dans l’histoire du Old West. Mais on sent que les historiens mâles ont fait un peu de tri. J’ai lu Une Histoire populaire des États-Unis d’Howard Zinn. C’était intéressant parce que justement, il remettait en lumière des personnages de femmes qui avaient été importantes dans la lutte contre l’esclavage. Leurs discours ont été totalement évacués de l’Histoire américaine. Je pensais que La Venin permettrait de remettre un personnage puissant à cette période.
Qu’est-ce que ça te fait de faire partie de ce renouveau avec des séries comme Stern ou Undertaker ?
J’en ai discuté avec des auteurs qui ont eu envie de faire du western pendant des années. C’étaient les éditeurs qui refusaient ce type de projet, en disant que les westerns, c’était mort. Le succès commercial d’Undertaker a permis de redonner des idées aux éditeurs et donner des envies en disant que le genre n’était pas mort.
L’avantage du genre, c’est que ça permet de faire quasiment ce qu’on veut. C’est un monde codifié. Donc soit on utilise les codes de manière classique en les suivant, soit on utilise les codes pour aller un peu ailleurs. Ce que j’essaie de faire avec La Venin. Undertaker est dans une logique plus classique en matière de récit. On retrouve un peu du code polar dans La Venin, parce qu’il y a la partie enquête, le côté meurtres sanglants et les Pinkerton qui recherchent Emily.
Est-ce que c’était un besoin pour toi, après le côté anxiogène et enfermé de Cellule poison, de t’évader à travers les grands espaces ?
Oui, le western j’ai envie d’en faire depuis que je suis enfant. Je ne faisais que du western quand j’avais entre huit et dix ans. Il y a toujours eu cette envie pendant très longtemps, mais je freinais des quatre fers parce que je ne me suis jamais sentie légitime d’aller vers ce genre de dessin. Il y a des monstres sacrés inatteignables.
Quand j’ai commencé La Venin, je voulais confier le dessin à un autre dessinateur pour éviter de m’y frotter. Mais comme j’avais envie que le projet naisse assez rapidement, j’ai commencé à dessiner.
Comment ferais-tu le pitch du premier tome de La Venin, même si c’est déjà un peu loin ?
Le premier tome commence par un flashback dont je ne parlerai pas. Mais c’est l’histoire d’Emily, une jeune femme d’une vingtaine d’années qui débarque à Silver Creek au Colorado. Elle est venue pour se marier et on lui apprend, que celui qui lui était destiné, est mort depuis trois semaines et enterré. Donc n’ayant soi disant pas d’argent pour repartir, elle se fait embaucher au saloon comme entraîneuse pour subvenir à ses besoins et payer son billet de retour pour La Nouvelle Orléans. Petit à petit, on découvre que tout ça fait partie d’un grand plan, atteindre celui qui se présente à l’élection du gouverneur du Colorado et l’assassiner.
Depuis le troisième tome, ton frère s’occupe de la couleur et tu travailles avec Jean-Luc Ruault. Pourquoi avoir fait appel à eux ?
Jean-Luc Ruault réalise tout ce qui est compo, la version définitive du fichier prêt à imprimer. La typo utilisée est celle que j’ai créée à l’époque pour Cellule poison. Elle correspond à mon dessin. C’est un travail très long que de créer une typo. Celle-là a fonctionné tout de suite et donc je continue à l’utiliser aujourd’hui, un peu par flemme. Je n’ai pas envie de refaire une typo pour chacun des albums que je vais réaliser.
Et pour la couleur ?
Stefan (Astier) a rejoint l’équipe parce qu’on avait eu la très bonne idée avec Rue de Sèvres de vouloir sortir les tomes 2 et 3 sur la même année 2020. On cherchait un coloriste et j’ai proposé à Nadia mon frangin, qui est un super coloriste. On a déjà travaillé ensemble sur Aven, une trilogie.
L’avantage c’est qu’on se connaît très bien, il n’y a pas de barrières, ni de luttes d’ego. On peut s’engueuler, se dire les choses de manière frontale. On en discute et c’est réglé dans les cinq minutes. Il y a vraiment ce truc profond et c’est toujours plaisant de bosser avec son frangin. Ça faisait des années qu’on ne l’avait pas fait. Qu’il revienne sur un des projets, je trouve ça plutôt cool.
Tu as eu plus de temps pour travailler sur le tome 4 de La Venin.
Il y a eu une bonne année. C’était bien, ça m’a permis de travailler dans de bonnes conditions et de pouvoir profiter de ma famille. Prendre un peu de vacances, souffler un peu. J’ai pris trois semaines cet été, c’est la première fois de ma carrière que ça m’arrivait. Pouvoir travailler sur un rythme un peu plus humain.
Les tomes 1 et 2 de La Venin sont sortis en noir et blanc. As-tu retravaillé les planches ?
La grosse différence avec les albums en couleur, ce sont uniquement les ajouts en toute fin d’album avec les recherches. À chacun des tomes, on essaie de revoir le carnet de recherche, pour qu’il soit varié et que ce ne soit pas toujours la même chose.
Sur les pages, on essaie d’être au plus près. Il y a peut-être eu des modifs comme on en fait parfois entre le premier et le deuxième tirage. Un dialogue qui n’était pas top ou une coquille qui était restée. Je ne touche pas trop à mes pages.
Le noir et blanc permet de mieux ressentir le trait.
Souvent la couleur a tendance à l’arrondir, le lisser. Le dessin se mélange un peu à la couleur et on n’arrive pas à définir quel a été le travail en pur dessin. L’avantage de ces versions en noir et blanc est de mettre ça en lumière.
Au départ, l’éditeur a voulu attendre un peu, voir si la série marchait bien. C’est un peu la condition sine qua non à la sortie d’une version grand format, noir et blanc.
Est-ce que les versions en noir et blanc demandent un surcroît de travail ?
Pas tant que ça, parce qu’on va piocher dans des recherches qu’on a faites au préalable en préparation des albums. Là, sur le tome 2, j’ai refait quelques dessins. Certains personnages ont un peu changé depuis les toutes premières recherches, aux origines du projet.
La Venin tomes 1 et 2 en N&B
Il y a des personnages intrigants dans cette série, comme l’Indien.
Je connais son background, je sais d’où il vient, comment il est arrivé dans l’histoire.
Mais le personnage sur lequel j’ai le plus travaillé, c’est Liberty. Il y a eu un moment où j’avais vraiment envie de faire un album sur son parcours avant qu’Emily arrive dans sa vie. Je voulais avoir un deuxième personnage féminin fort, en miroir du parcours d’Emily. Avec des histoires et une période différentes, de 1850 à 1880 pour retourner un peu sur la période du Old West. Le projet est imaginé, j’ai écrit pas mal de choses. Mais pour l’instant, je ne sais pas si ça se fera tout de suite ou pas.
Combien de temps passes-tu pour faire tes couvertures ?
Sur les couvertures en couleur, je pense qu’il faut une bonne semaine. Et ça comprend le crayonné, l’encrage. Sur la version en noir et blanc, il faut un peu moins de temps parce c’est du lavis, il y a moins d’étapes. Et puis il n’y a pas l’appréhension de la couleur.
Cette grande poutre, sur la couverture du tome 4 de La Venin, est-elle une références à toutes les photos en noir et blanc prises pendant la construction des buildings à New York ?
Oui, l’Empire State Building, c’est clair. Elles sont sublimes en même temps. Il y a même des plus anciennes quand je cherchais des éléments graphiques pour le palan qui est juste derrière Emily. La série Giant a également rendu hommage à ce genre de couverture.
La Venin tome 4 Ciel d’éther
Peux-tu nous situer le tome 4 de La Venin ?
On est à New York en 1900 et Emily a trouvé une place de danseuse dans un cabaret dans une grande revue très connue à l’époque. Et donc on se demande pourquoi et qui elle veut approcher maintenant.
Dans chaque tome, il y avait des rebondissements mais encore plus dans celui-ci. Est-ce parce qu’on s’approche de la fin et qu’il y a besoin d’intensifier l’histoire ?
Alors c’était voulu et en même temps j’ai ajouté des révélations que je voulais garder pour le tome 5. Mais je me suis dit que ça serait intéressant d’avoir les premières révélations dans le tome 4 pour rebondir. Et puis, surtout ne pas en avoir trop d’un coup dans le tome 5. Le fait de les diluer un peu, je trouvais ça intéressant, parce qu’en terme d’action, par rapport aux autres tomes, il y en a un peu moins. Pour que le récit soit toujours aussi appétissant, comme un chef qui refait un plat. Il faut continuer à créer l’envie chez le lecteur.
Pourquoi as-tu choisi de ne pas écrire une histoire linéaire, mais un récit avec des allers retours dans le temps ? Était-ce pour donner du dynamisme ?
C’est un peu ma manière propre de construire les histoires. J’avais fait un peu ça avec avec Cellule poison, de manière beaucoup plus complexe. Mais là, les flashbacks permettent en fait de toucher au cœur celui qui lit. Tu vas lui donner de l’émotion avec ce qu’a vécu le personnage donc tu augmentes l’empathie pour le personnage.
Quand le personnage n’a pas de background, il est un peu vide. Il faut que les gens s’approprient le personnage. Le flashback, en tout cas pour moi, est hyper important. J’essaie vraiment de réfléchir à la place et à la longueur qu’ils ont. Sinon on perd le fil de l’histoire, surtout si les gens n’ont pas l’habitude de lire ce type de récit.
Tu as chiffré le temps que tu passes par an sur un album.
C’est important de montrer la masse de travail que ça comprend. Et puis de savoir comment c’est découpé. On ne fait pas toutes les étapes de manière aussi simple parce que souvent ce sont des allers-retours. Quand je suis à la réalisation, je fais dix pages de crayonnés, dix pages d’encrage. Ça permet d’alterner. Ça m’est arrivé de faire tous les crayonnés et d’attaquer l’encrage. Alors on se retrouve avec des crayonnés qui ont plusieurs mois. Et quand ton dessin a légèrement progressé, alors là tu as envie de tout foutre à la poubelle et de recommencer à zéro.
Es-tu plus dessinateur ou scénariste ?
Moi je n’arrive pas à départir les deux. Je ne suis pas un dessinateur fou, je ne dessine pas tout le temps mais uniquement pour faire de la bande dessinée. Si j’ai un projet, je vais me mettre à dessiner. Mais je n’ai pas de carnet de croquis, je ne fais pas ce genre de trucs, ça ne m’intéresse pas. C’est l’envie de l’histoire qui me donne envie de dessiner. Ma première volonté, c’était vraiment de raconter des histoires et surtout de créer des personnages. C’est vraiment ça le premier moteur.
As-tu déjà envisagé d’écrire des histoires sans texte ?
Je trouve que le texte est important. J’ai lu des histoires sans texte en bande dessinée, mais je me suis toujours dit qu’elles seraient mieux avec du texte, un tout petit peu. C’est l’écho entre le texte et le dessin, qui crée aussi des sentiments.
Au tout début de ma carrière, je n’écrivais pas de scénario. Je faisais du storyboard pur et après je remplissais les bulles. Mais c’était un peu creux parce que je n’avais pas fait le travail du texte et du dialogue autonome. Maintenant, j’écris mes scénarios comme si je les écrivais pour quelqu’un d’autre. Après, quand je suis sur le storyboard, le dessinateur prend le pouvoir. En ce qui concerne la bande dessinée sans parole, je ne sais pas si je serais capable d’en faire.
Qu’est-ce qui devrait changer dans le tome 5 de La Venin ?
Il y aura 62 pages de bande dessinée pleines. Donc j’évacue les carnets pour justement n’avoir que des pages de bandes dessinées parce que le récit est un peu plus épais que d’habitude. Normalement, je dois faire une version alternative avec Samuel de la librairie Bulle. Donc il y aura peut-être quelques pages en plus à réaliser pour faire soit une fin alternative, soit avoir un autre bout de récit. Finir de manière un peu différente cette série.
Comment as-tu fait pour dessiner Emily à différents âges ?
Je suis parti de l’âge adulte sur mon premier dessin de 2012. Même si ce n’était pas la version définitive d’Emily parce qu’elle a un peu changé. Puis après, j’ai commencé à la croquer, pas tellement l’entre deux, mais surtout l’enfance et beaucoup l’âge adulte. La plus grande complexité en fait, c’est sur les âges intermédiaires dans les tome 3 et 4. C’est un peu plus compliqué à définir quel âge elle a exactement. Là, je me le note carrément dans mon scénario, pour que le personnage puisse évoluer doucement physiquement.
Est-ce que tu peux nous parler de ta façon de travailler ?
En fait, je travaille à la maison depuis toujours, je n’ai jamais travaillé en atelier. La plupart du temps dans un silence religieux, pas de musique du tout parce que c’est tellement intense. Ça a plutôt tendance à me perturber. J’ai une pièce dédiée, l’avantage d’habiter en province une maison où il y a de la place pour travailler.
Avant que les enfants soient là, je n’avais pas tout à fait les mêmes horaires. Une tendance plutôt à grappiller sur la soirée et la nuit, donc je me levais un peu plus tard. Mais je me suis un peu calé par rapport à eux. En général, je commence vers 8h30 le matin et puis le soir ça s’arrête vers 19h.
Il y a même des jours où rien ne vient, pas trop souvent heureusement. Ça m’est arrivé de m’acharner et de passer une journée entière à gommer la même case. Alors que le lendemain tu la fais en dix minutes. Parfois il vaut mieux descendre de son siège, aller faire un tour, lire un bouquin, regarder une série ou s’occuper des enfants.
Comment se passent les retours de tes lecteurs ?
L’avantage d’ailleurs quand tu vas en festival, c’est de pouvoir discuter avec des lecteurs. Avoir leur ressenti, savoir ce qu’ils ont pensé de ton récit, même en mal. C’est toujours intéressant d’avoir ce type de retour, également par des copains auteurs ou par des amis.
Comment procèdes-tu pour organiser ton travail ?
Sur les quatre premiers tomes, j’ai fait beaucoup de storyboards sur ordinateur. Ça me permettait en fait d’avoir ma page définitive. Placer les textes, les dialogues pour avoir la taille des bulles de manière assez précise. C’est pour ça que je préfère faire les pages sans les bulles. Je les place ensuite sur les pages définitives scannées, directement sur ordinateur.
Pour le tome 5, je n’étais pas à la maison et je ne pouvais pas utiliser mon ordinateur. Donc j’ai essayé de le faire sur papier, sur des feuilles A4, au crayon bleu comme pour les crayonnés. Et tu peux les jeter, les mettre à la corbeille quand tu es vexé !
Est-ce que tu as des projets après La Venin, dont tu peux nous parler ?
J’ai un projet très personnel qui sera un gros one-shot, l’histoire de quatre personnages. Mais je n’en dis pas plus parce que je pense que c’est un peu tôt. Il sera publié par Rue de Sèvres.
Après j’ai un autre projet que j’ai un peu commencé mais vu l’ampleur du travail que j’ai sur le tome 5 de La Venin, je l’ai un peu mis en stand-by. Ce sera aussi chez Rue de Sèvres et il s’adresse plutôt aux 8 -12 ans.
Quand j’ai fini La Venin, je vais passer de l’un à l’autre parce que le récit perso est un peu un peu hardcore, un peu poignant. Donc ça me permettra de souffler. Les deux trois prochaines années vont être chouettes mais assez dures.
Ça ne te fait pas peur de quitter Emily après cinq années passées ensemble ?
J’ai commencé à y penser, c’est toujours un peu triste. Mais, au fur et à mesure que je travaillais sur La Venin, j’ai eu envie de continuer l’histoire. Donc j’ai des idées pour, un jour, faire une suite. Je vais d’abord travailler sur les deux projets suivants. C’est bien aussi de travailler sur des récits un peu différents. J’ai eu cinq années intenses sur la série, il y a donc un peu de tristesse quand tu abandonnes des personnages que que tu as animés. Tu abandonnes un peu des amis sur la route. C’est toujours un peu compliqué de finir une série comme ça.
On va pouvoir passer à notre traditionnelle dernière question, à savoir, la dernière lecture graphique qui t’a marqué.
C’est Du bruit dans le ciel de David Prudhomme. Son album m’a touché pour plusieurs raisons. D’une, je suis installé à Châteauroux depuis 2003, ça fait un peu plus de 18 ans et lui en est originaire. Il a grandi dans la région et son récit se passe ici. De deux, son dessin va vraiment à l’épure, il est tellement sensible. Un album où tu ris, tu réfléchis, tu pleures.
Merci beaucoup Laurent Astier pour tout ce temps que tu nous as accordé pour nous parler du tome 4 de La Venin. Nous attendrons avec impatience la sortie du tome 5.
CET ENTRETIEN A ETE REALISE DANS LE CADRE DU LIVE QUI S’EST TENU MERCREDI 05 JANVIER 2022 SUR LA PAGE INSTAGRAM DE YOANN DEBIAIS @LIVRESSEDESBULLES .
LA RETRANSCRIPTION ET LA MISE EN PAGE DE CET ENTRETIEN ONT ETE EFFECTUEES PAR CLAIRE KARIUS.
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- La Venin tome 4 Ciel d’éther
- Scénariste et dessinateur : Laurent Astier
- Coloriste : Stefan Astier
- Éditeur : Rue de Sèvres
- Prix : 15,00 €
- Parution : 05 janvier 2022
- ISBN : 9782369815907
Résumé de l’éditeur : New York 1900, Emily est danseuse de cabaret, elle est même la meneuse de revue dont la beauté subjugue bien des hommes et en particulier Stanley Whitman, architecte de renommée de la ville. Cet homme, elle le connaît déjà, elle l’a identifié sur une photo comme étant l’un des agresseurs désignés de sa mère et s’apprête à lui régler son sort comme aux autres. Mais rien ne se passe comme prévu…
À propos de l'auteur de cet article
Claire & Yoann
Claire Karius @fillefan2bd & Yoann Debiais @livressedesbulles , instagrameurs passionnés par le travail des auteurs et autrices de bandes dessinées, ont associé leurs forces et leurs compétences, pour vous livrer des entretiens où bonne humeur et sérieux seront les maîtres-mots.
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