Entretien avec Maurane Mazars, autrice de Tanz

Le Festival d’Angoulême arrive à grands pas. Comixtrip a choisi de mettre en lumière deux jeunes autrices dont les albums sont nommés dans la Sélection officielle 2021. Avant Lisa Mouchet, nous avons posé des questions à Maurane Mazars, dont la bande dessinée Tanz ! nous a énormément touché. Plongée dans l’univers virevoltant d’Uli, jeune danseur gay allemand dans les années 1950.

Maurane Mazars, peux-tu nous présenter Uli, le personnage principal de Tanz ?

Ulrick Rosenstiel (littéralement, tige de rose) a 19 ans. Il est d’un roux éclatant. Il possède sur son visage, des taches de rousseur, elles aussi, flamboyantes. En choisissant un personnage roux, cela me permettait d’établir un contraste entre la couleur orange et les bleus/verts plus ternes de la bande dessinée.

Uli est un danseur allemand dont la famille a fui à Londres pendant la Seconde guerre mondiale.

« Uli est motivé par une recherche de joie […] Il cherche aussi à fuir la mélancolie de l’après-guerre. Il veut être et se sentir heureux dans sa vie. »

Qu’est-ce qui le motive dans sa vie ?

Uli est motivé par une recherche de joie. Il aime le mouvement et la danse. Il est aussi attiré par les comédies musicales, parce qu’elles impriment du dynamisme et du mouvement.

Il cherche aussi à fuir la mélancolie de l’après-guerre. Il veut être et se sentir heureux dans sa vie. Sa recherche de joie, cela lui permet d’échapper à un quotidien qui pourrait devenir routinier. Il refuse de sombrer.

J’ai réalisé Tanz pendant une période de ma vie où je n’allais pas bien. Dessiner un personnage qui recherchait du bonheur et qui visait toujours plus haut, m’a alors beaucoup aidé.

Que t’a apporté le Prix Raymond Leblanc dont tu as bénéficié pour réaliser ce livre ?

Pendant un an, je n’ai pas eu besoin de chercher d’autres financements pour vivre. Je n’ai pas eu besoin de réaliser des jobs alimentaires comme beaucoup de mes collègues. Ce fut de ce côté-là, un poids en moins.

Cela m’a aussi permis de visiter New York pour la première fois. J’ai pu y effectuer des repérages pour les décors. J’ai notamment pu voir le quartier où Uli et sa colocataire vivent. Cela m’a aussi permis de ressentir l’ambiance très pop de la ville.

Pourquoi avoir choisi les années 1950 et New York pour ton album ?

Ces choix ont été portés par mes recherches et des recoupements d’informations. Tout cela m’emmenait vers certains lieux et certaines dates, qui étaient donc souvent les mêmes.

Je connaissais déjà le travail de Pina Bausch, la très grande danseuse et chorégraphe allemande. Le sujet de la danse m’attirait déjà énormément, même si je n’étais pas une spécialiste et que je ne dansais pas moi-même. Je n’avais vu que très peu de spectacles de ce genre avant de réaliser ma bande dessinée.

Que représente New York dans la progression d’Uli ?

Déjà à cette période, New York représentait le bouillonnement culturel et social. C’est dans cette ville que notamment les droits des noirs américains commencent à être entendus.

En parallèle, lors de mes recherches, j’ai pu constater que les juifs américains avaient beaucoup travaillé dans le milieu des comédies musicales comme producteurs notamment. Elles auraient un lien direct avec la musique yiddish, par son côté parfois enjoué.

« Uli n’hésite pas à être lui-même »

En quoi Uli est un homme moderne ?

Uli n’hésite pas à être lui-même. Il ne réfléchit pas à deux fois avant de faire quelque chose. Il fonce. J’aime ce côté : oser être soi-même.

Pourquoi les thématiques du racisme et les questions LGBT étaient importantes à aborder dans ton récit ? Ont-elles eu résonance particulière pour toi ?

Même si je ne suis pas représentée dans les lettres LGBTQIA, je me sens très proche de ces communautés et de leurs combats.

Quant aux luttes contre le racisme, Tanz m’a permis de découvrir Alvin Ailey, un danseur noir qui constitua la première compagnie de ballet afro-américaine. Le personnage d’Anthony – le petit ami d’Uli – est inspiré directement par cet artiste. Les noirs ont toujours créé de la culture, qui fut largement invisibilisée par les blancs. La danse jazz a d’ailleurs un lien direct avec les danses africaines.

« Le plus délicat lorsque je dois créer du mouvement, c’est de lâcher-prise. »

Est-ce délicat de mettre du mouvement dans tes personnages qui dansent ? Est-ce que représenter la danse impose des contraintes techniques ?

Avant de réaliser Tanz, plusieurs personnes m’avaient fait remarqué que je dessinais bien les mouvements, ce qui fut une forme de révélation. J’aime énormément regarder les gens danser et bouger, cela m’inspire.

Le plus délicat lorsque je dois créer du mouvement, c’est de lâcher-prise. Il faut que je réussisse à insuffler de la légèreté dans mes pages.

Comment réalises-tu tes planches ?

Depuis 2016, j’utilise des pastels aquarellables. Alors que mon premier album, Acouphènes, avait été réalisé en noir et blanc, j’ai eu envie de couleur pour Tanz.

Ces pastels permettent d’avoir une gamme colorée étendue. J’apprécie beaucoup les mélanges vibrants que cela procure. Cela sèche vite, il y a plus de texture et cela est plus fluide.

Dernière question Maurane Mazars. Quels sont tes projets ?

Depuis Tanz, tout va très bien dans ma vie. J’ai des projets d’illustrations mais également un album, pas encore signé, pour Le Lombard autour des légendes et mythes européens.

Entretien téléphonique réalisé le 19 janvier 2021.
Article posté le mardi 19 janvier 2021 par Damien Canteau

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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