Entretien avec Sébastien Vastra pour Jim Hawkins

À l’occasion du 3e et dernier tome de Jim Hawkins édité par Ankama, la flamboyante adaptation de l’île au trésor de Stevenson, jetons un œil avec son auteur Sébastien Vastra, sur dix années de travail graphique acharné.

Sébastien Vastra, en introduction de ce 3e tome, tu cites de nombreuses sources d’inspiration. Y en a-t-il une ou des majeures ?

Ces citations artistiques sont globales, pas réservées à l’île au trésor. J’aime considérer qu’une création, c’est un puzzle avec plein de pièces. J’aurais pu en ajouter plus…

Je voulais faire ces remerciements. Dedans, il y a mes influences diverses liées à des dessins animés, des séries TV, des films, mais aussi l’ensemble des artistes (peintres, illustrateurs, de l’animation et auteurs de BD).

 

Jim Hawkins de Sébastien Vastra (Ankama)

Adapter L’île au trésor (après de nombreuses adaptations), n’était-ce pas un risque de faire une « énième version” ?

Il n’y a jamais vraiment de risque. Ça me tenait à cœur depuis très longtemps. À la naissance du projet, je n’avais pas connaissance de tout ce qui avait été fait. Au fur et à mesure de mes recherches sur le genre, j’ai réalisé qu’il y en avait énormément. C’est un peu quand tu pars avec une idée et que tu crois être le seul à l’avoir… et tu t’aperçois qu’il y en a eu mille avant toi.

Ensuite est venue l’idée de développer le projet dans un univers animalier. Il y avait beaucoup moins de monde qu’il l’avait fait. C’était ça qui était excitant. Cette partie graphique allait apporter une originalité, une qualité que j’espérais. Je m’éclatais avec ça.

Il y eu très peu d’adaptations complètes du roman. La plupart des adaptations se résumaient à une chasse au trésor. Moi au total, mes trois tomes assemblés font 170 pages… et je trouve ça très court.

Tu cherchais à être le plus exhaustif, le plus proche du roman ?

Non, je savais d’emblée que certaines choses allaient sauter, car elles sont difficilement adaptables à la narration de la bande dessinée. Il y avait des allers-retours entre personnages. Le gros du travail est dans le timing. Dans le roman, certains passages sont racontés par différents narrateurs. Une version racontée par Jim est confrontée à celle du Doc’. Tout le travail, c’est de savoir s’affranchir de ces aller-retours.

Je ne cherchais pas la version la plus exhaustive, mais de trouver le meilleur du roman, la version la plus efficace. C’était dur de tailler dedans, car il n’y a pas de gras

As-tu rencontré des difficultés à travailler en  “animalier” ?

Je préfère parler de Challenge que de difficulté, ça n’était pas facile mais c’était excitant!
C’était ancré au fond de moi. Je suis nourri par le monde et les documentaires animaliers. Quand j’étais gamin, j’étais fasciné par les Fables de La Fontaine, j’ai grandi avec Disney, visité pas mal de zoos…

Comment as-tu choisi le gorille pour Silver, un lionceau pour Jim et un babouin pour Flint ?

Comme je connais assez bien les espèces animales, je n’ai pas eu à ouvrir un livre pour trouver quelles espèces utiliser. La démarche ne s’est pas faite comme ça. J’ai trouvé les espèces très rapidement en survolant mes références propres.

Jim Hawkins de Sébastien Vastra (Ankama)

N’y a-t-il pas un risque de choisir un animal d’après les émotions qu’on leur colle « culturellement parlant » ?

Je n’ai pas le sentiment d’avoir exploité la facilité. Je n’ai pas de renard malin, si ce n’est dans ma séquence d’introduction du tome 1, où je casse la caricature en faisant une mise-en-abîme du personnage flamboyant et romantique. Je n’ai pas pris les animaux systématiquement à contrepied.

Jim le héros devait être un personnage charismatique. Le félin est parfait pour ça. C’est un animal dans l’action, la vivacité, qui inspire le respect et la fascination mélangée. Il avait tous les attributs du héros.

Pour Silver, le gorille incarne la sagesse et la puissance. Il n’a pas besoin de s’énerver pour inspirer la crainte. Quand tu observes un gorille, il est très sûr de lui. Tu ne peux pas faire plus charismatique. En même temps, on sait qu’il peut montrer une puissance incroyable. Je ne pouvais pas mieux trouver.

N’y a-t-il vraiment aucune difficulté à dessiner des chimères (corps humains et têtes d’animaux) ?

Effectivement, comme tu le relèves dans ta chronique sur le dernier tome de Jim Hawkins, certains animaux se prêtent plus facilement à l’anthropomorphisme que d’autres, comme les mammifères.

Les singes arrivent en priorité dans ce transfert. Ce sont les animaux les plus proches de nous, qui ont aussi la plus grande variété d’expressions, de mimiques et grimaces possibles. Il suffit de regarder un reportage sur les singes pour être fasciné par leur expression. À se demander si ce ne sont pas des expressions humaines, si on fait un focus sur leur regard. Ce n’est pas un hasard si Silver le gorille, Flint, le mandrill et Ben le babouin sont des personnages principaux.

Bien sûr, il y a des animaux, comme les oiseaux qui sont limités, car ils ont un bec. On peut jouer sur la déformation du bec, mais c’est beaucoup moins facile. Je l’ai fait uniquement sur le capitaine Smolet qui est un serpentaire, un rapace. Ça lui allait bien, car il est assez martial, peu expressif. Anderson, le pélican, un des bras droits de Silver, a un rôle assez secondaire. Son éventail d’expressions est lui aussi assez limité.

Les poissons ont posés plus de difficulté. Je me suis demandé s’il fallait les intégrer. Ils n’ont pas de bras, On n’a pas l’habitude de les voir sur un corps humain. Sur le personnage de Shark Fat, par exemple, son  corps est une ogive. Coller une ogive sur un corps humain est moins naturel.

Regardes-tu beaucoup les maîtres des dessinateurs animaliers (Guarnido, par exemple) ?

Je suis un fan d’animation, de Pixar, de Disney. Dans ces studios, des artistes animaliers sont légion. En bande dessinée, Masbou dans les années 1990 ou même Trondheim et Sfar me plaisent. C’était bien avant Guarnido. Il a certainement une influence sur mon travail, mais moins que d’autres artistes. Des dessinateurs comme Olivier Vatine, Thierry Segur, Enrico Marini, ou Didier Cassegrain ont eu plus d’influence sur mon travail.

 

Jim Hawkins de Sébastien Vastra (Ankama)

Les expressions sont un tout petit peu exagérées. L’acting est travaillé, comme dans l’animation. Tu es passé par là ?

Tu ne peux pas me faire plus plaisir. Ça revient souvent. Malheureusement, c’est ma grande frustration. J’ai raté le concours d’entrée de l’école des Gobelins dans les années 1990. Je suis flatté d’avoir des avis positifs ou des likes de grands noms de l’animation.

La couleur prend beaucoup de place narrative. Quand arrive-t-elle dans le processus de création ?

J’attache une grande importance à la couleur. Mon intérêt pour la bande dessinée s’est manifesté quand j’ai découvert des albums où la couleur était à tomber par terre. Dans les années 1980, je lisais de la bande dessinée, mais mon coup de cœur, s’est produit en 1992, avec La légende des contrées oubliées. Thierry Segur y montre une telle maîtrise de la couleur, en plus de la mise-en-scène et du dessin que je n’en revenais pas.

Pendant des années, la couleur était le parent pauvre de la BD, car ça coûtait trop cher aux éditeurs. Même dans un Blueberry des années 1980, ou La quête de L’oiseau du temps, la couleur était choquante…

Sur Jim Hawkins, j’ai fais ma couleur seul sur le tome 1. Cela m’a pris 4 mois et demi et le résultat n’était pas optimal, à cause de mon écran mal calibré.

Sur le tome 2, par manque de temps, j’ai trouvé une coloriste. Cela a pris du temps pour qu’elle s’adapte à ma manière de travailler. Après cela a fonctionné tout seul. Je lui indique les ambiances que je désire (séquence de nuit, suivant l’heure de la journée). On se comprend très bien et vite. Elle est aussi pointilleuse que moi et fait un super travail.

Je retouche toujours derrière. Il y a eu quelques séquences (4-5 pages du T3) où j’ai refait les couleurs.

Jim Hawkins de Sébastien Vastra (Ankama)

Tu oses des compositions de pages vraiment originales, pourquoi ?

C’est ce que je préfère dans la bande dessinée. Tout mon plaisir est dans le storyboard. C’est l’essentiel, la manière dont on raconte son histoire. Que ce soit le plus lisible possible, mais aussi que la composition de chaque planche optimise ce que tu dois raconter.

En tant que lecteur, je m’ennuie très vite si je n’ai pas ça au bout de 2-3 planches. J’essaie de faire en sorte que les personnages ne soient jamais cadrés de la même taille.

En terme de rythme, il faut que chaque personnage de ta planche apparaisse comme des notes de musique. Si en bande dessinée tu les fais de la même taille, tu vas vite t’embêter (excepté si tu te fais de la BD d’humour où ce n’est pas les mêmes intentions). Dans la bande dessinée d’aventure, mon rôle va être d’embarquer mon lecteur dans mon histoire. Si je rate cette mise-en-scène, je rate tout…

Je fais partie de ces auteurs qui aiment faire de grands décors, balader la caméra dans l’espace. Par exemple, j’aime avoir une progression vers un personnage avec un texte off. Petit à petit, je vais m’approcher jusqu’à mon personnage comme si la caméra était sur un drone.

Ce sont des effets que le lecteur ne perçoit pas, si le travail est bien fait. La mise-en-scène permet au lecteur de prendre du plaisir de lecture.

Chaque planche va être orchestrée autour d’un ou 2 cases. C’est une pierre angulaire.

Jim Hawkins de Sébastien Vastra (Ankama)

Tu arrives au bout de ta série. Que ressens-tu ? De la fierté ? Du blues ?

C’est un peu tout ça mélangé, satisfaction, délivrance, joie et blues. Ça m’a pris tellement de temps que j’avais hâte de finir, comme un alpiniste qui a vaincu l’Everest.

Faire de la bande dessinée, pour moi, ce n’est pas une balade du dimanche au bord de la mer, c’est risquer la dégringolade. Jim Hawkins est un vieux projet né en 1998, il y a 23 ans.

Je n’exclus pas l’idée de revenir avec ses personnages un jour. Si la série avait fait un carton monstre, j’aurais fait des spin-off sur les personnages. Il y a une belle galerie de personnages qui me plaisent. Pourquoi pas un de ces jours faire un one-shot…

Merci Sébastien Vastra,

Entretien réalisé le lundi 10 mai 2021

Jim Hawkins de Sébastien Vastra (Ankama)

Article posté le jeudi 20 mai 2021 par jacques

À propos de l'auteur de cet article

jacques

Designer Digital, je lis et collectionne les BD depuis belle lurette. Ex Rédacteur en chef d’Un Amour de BD, j’aime partager ma passion pour ce média, et faire découvrir les pépites que je croise. Passionné par la narration sous toutes ses formes, je suis persuadé qu’une bonne BD a autant de qualités qu’un autre produit culturel (film, livre, disque…) et me fais fort de vous l’expliquer.

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