Morgane Schmitt-Giordano & Diane Ranville : L’interview dans La Valise

Lors de leur passage sur Poitiers à la librairie Bulles d’Encre dans le cadre de leur tournée de dédicaces de leur premier album BD La Valise, Diane Ranville et Morgane Schmitt-Giordano ont répondu à nos questions sur l’album qu’elles signent avec Gabriel Amalric aux éditions Akileos ! Un chouette entretien.

« La BD on avait commencé à en faire quand on avait 19 ans. »

Diane et Morgane, vous avez fait des études de cinéma, alors pourquoi la BD ?

Morgane : On faisait des fanzines au lycée, des fanzines manga. On a fait la Japan Expo avec notre petit fanzine, et après j’ai fait du droit, alors que Diane a fait des études littéraires. A un moment je me suis dit que j’allais tenter une formation en école d’art. J’hésitais entre la BD et l’animation et on m’a répondu que la BD ce n’était pas une vie donc j’ai fait de l’animation. Du coup, c’est ce que j’ai fait et comme j’adore le cinéma aussi ça tombait plutôt bien. Mais c’est vrai que quand on est sorties d’études on avait toujours des projets de BD qui traînaient un peu dans les cartons en parallèle des projets d’animations et ce ne sont pas les mêmes moyens qu’il faut pour faire de l’animation donc les projets de BD sont sortis plus vite.

Diane : En fait ce qu’on a envie c’est de raconter des histoires et c’est vrai que quand tu fais ta BD tu es maître à bord, l’animation c’est tout de suite lourd, il faut des grosses équipes, une production… La BD on avait commencé à en faire quand on avait 19 ans. On s’était aperçues qu’on ne savait pas faire [rires], on n’avait pas l’expérience encore donc il fallait faire des études. On est allées à Paris, dans des écoles d’animations où Morgane a rencontré Gabriel, absent aujourd’hui, mais qui est le co-auteur de La Valise et qui est l’homme des couleurs. Moi j’ai fait une L3 en cinéma mais plus pour prendre toutes les options scénarios, et obtenir quelques compétences supplémentaires. Et j’ai aussi un master d’édition pour coller à tout ça.

Comment est né votre collectif Blend Awake ?

Diane : Alors Blend Awake n’est plus vraiment d’actualité, mais ce fut un « forum » de jeux de rôles avec un univers qui porte justement ce nom et c’est aussi le nom du fanzine à l’époque. Et comment c’est né…

Morgane : On était sur un autre forum de jeux de rôles avec des vieux de la vieille du forum qui n’étaient vraiment pas sympas. Alors du coup on leur a dit « votre principe c’est nul, on va créer le nôtre où chacun peut faire ce qu’il veut dedans et on sera des Maitres du Jeu sympas » et on a réinventé ce concept.

Diane : Oui en vrai c’était comme ça, c’était une sorte de mutinerie, tout le monde est parti du forum pour aller dans l’autre.

Morgane : On avait envie de faire un univers d’écriture où il y avait une base solide, un concept et derrière tous les gens pouvaient y participer s’ils étaient en mesure d’écrire des pans d’univers concrets et bien construits. C’était un univers collaboratif, toute proposition était la bienvenue.

Diane : On avait dessiné une carte du monde en partie vide et tout le monde pouvait créer ses propres pays, ses propres peuples, etc… et donc enrichir l’univers.

« ce qui était chouette c’est que c’était très libre et hybride »

Et donc ça a donné naissance à des fanzines ?

Diane : Oui, il y a eu des fanzines après un certain nombre d’années d’existence du forum. On a pris les meilleures histoires et ensuite on les a re-scénarisé, retravaillé. On a un premier tome qui est plus un recueil, un deuxième tome où les histoires commencent à faire sens les unes avec les autres et un troisième tome qui est beaucoup plus construit où l’on a commencé à avoir un vrai scénario cohérent, forcément on est plus contentes du troisième tome [rires].

Morgane : Oui les histoires ressemblaient enfin à quelque chose.

Diane : Forcément, mais ce qui était chouette c’est que c’était très libre et hybride donc c’est de l’écriture roman avec des illustrations et des passages en BD. Et avec en plus des ex-libris qui se baladent avec des enveloppes à l’intérieur, rajoutées à la main. Heureusement on était une équipe de 15-20 personnes, bon il fallait coordonner tout le monde pour tout ce qui était écriture et dessin et après on mettait tous la main à la pâte pour tout ce qui était kraft. Do It Yourself !

Morgane : Mais maintenant notre collectif c’est The Neb Studio.

The Neb Studio donc plutôt pour la BD ?

Diane : Blend Awake désignait trop de choses, le forum, les fanzines et puis ça voulait rien dire, c’était un peu trop le foutoir donc on voulait tout effacer et recommencer. The Neb ça désigne vraiment le côté plus pro. Pour l’instant ça ne désigne que 4 personnes (Diane, Morgane, Gabriel et JAF), et peut-être que les autres viendront nous rejoindre quand ils auront fini leurs études.

« Le gros avantage c’est qu’on a tous des références variées »

Qu’est-ce qui vous a inspirées pour l’univers de la Valise ?

Diane : On a de nombreuses influences pour ça, notamment Dorian Grey, Miyazaki, les films noirs des années 50, Hitchcock, Metropolis, Maléfique, Cocteau, Under The Skin (la bande-son surtout qui est très badass, envoûtante, mais aussi dérangeante), Les Trois Brigands surtout pour les Ombres.

Morgane : L’idée des Trois Brigands c’est surtout que pour le court-métrage on voulait faire un rendu comme ça avec des couleurs plaquées.

Diane : C’est resté un petit peu dans le rendu qui est pas mal découpé et très net comme ça, même si ça a quand même pas mal évolué vers autre chose. Le gros avantage c’est qu’on a tous des références variées, par exemple Gabriel a ses inspirations dans le jeu vidéo (notamment Dishonored), Morgane est très cinéma et moi plutôt littérature du XIXe siècle. Tout ça se rencontre très bien. Ce travail d’équipe apporte une grande richesse.

Qu’est ce qui symbolise le Dux et le Mur dans ses influences ?

Diane : En fait ces influences là sont plutôt pour Cléophée qui est quand même le personnage principal. Pour le Dux et le Mur il y a  le côté Bioshock ou Gotham, des villes comme ça un peu sombres. Après il y a évidemment tout ce qui est dictature du XXe siècle que ce soit Staline ou Hitler. Plus Staline et un côté Romain quand ça dérive vers la tyrannie. Il y a des gardes qu’on appelle les Prétoriens (ce n’est pas dit dans la BD mais on les appelle comme ça) qui ont des crêtes sur la tête. Dans leurs costumes ou dans l’architecture il y a une volonté d’évoquer quelque chose d’un peu Romain.

« Cléophée a un très grand pouvoir mais chacun à notre échelle on a aussi un peu de pouvoir »

Est-ce qu’il y a une certaine leçon à retenir ?

Diane : On n’aime pas trop l’idée qu’il y ait une leçon mais plutôt une réflexion sur le pouvoir, ce qu’il faut en faire, ce qu’on a le droit de faire ou pas, sur le temps des Immortels, le temps des Humains et comment on réagit avec ça. Le personnage de Cléophée est pas mal égoïste dans son comportement. Elle est amenée à prendre position, mais elle ne veut pas être dans un camp ou dans l’autre.

Morgane : En fait ça serait plutôt la responsabilité individuelle.

Diane : Finalement c’est comme Spider-Man, un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. Cléophée a un très grand pouvoir mais chacun à notre échelle on a aussi un peu de pouvoir et il ne faut pas ne rien en faire.

Morgane : C’est aussi le fait que certains ont le pouvoir mais n’en font rien du tout.

La fin laisse plus ou moins supposer une suite, est-ce en projet ?

Morgane : Sur La Valise il n’y aura pas de suite, par contre l’univers et notamment les choses évoquées dans le carnet, tout le monde qu’il y a autour, oui. On parlait justement de Blend Awake et du forum, à partir de là on avait jetées les bases pour un univers qui s’appellera peut être un jour Syberian où on aimerait bien placer d’autres histoires avec un peu le même genre de mélange fantastique dystopique que La Valise. On a déjà 2-3 projets sur ça mais ça sera pas forcément sur la même période ni la même zone de la carte.

Quelles idées du coup sont en projet ?

Diane : Une idée qu’on a signée chez Akileos, c’est Millennials. Ce sont de jeunes magiciens qui viennent de finir la Sorbonne magique, leur Poudlard post-bac, et découvrent le monde du travail. Donc forcément grosse désillusion sur la vie active qui n’est pas si magique finalement. Il y a notamment le personnage de Logan qui a eu un accident et qui justement pousse la réflexion sur sa vie et qu’il faut en faire quelque chose d’autre de plus intéressant.

Morgane : Là, contrairement à Syberian où on rejoint plus les univers, dans Millennials on rejoint plus les thématiques. Notamment l’immortalité du point de vue des mortels.

Diane : Et puis dans La Valise il y a un côté très solitaire. Dans Millennials ce sera une équipe, en coloc, plus générationnelle. Et là en revanche on sera dans un monde réaliste, un Paris un peu magique avec pas mal d’underground, des souvenirs de notre époque étudiante.

« C’est normalement prévu pour les environs de 2019 »

Donc avec des lieux connus de Paris ?

Morgane : Oui ce coup-ci carrément.

Diane : Notamment la petite ceinture, la ligne de chemin de fer abandonnée qui fait tout le tour de Paris, les catacombes, la Défense, certains quartiers… On a prévu une petite séance de repérage pour déterminer les lieux qu’on aura besoin dans le scénario. C’est normalement prévu pour les environs de 2019.

Morgane : Il y aura une quatrième personne sur le projet, JAF, qui nous a filé un très gros coup de main sur La Valise vers la fin, au niveau du rendu c’était compliqué et elle a fait un gros travail de contouring et de choses comme ça. A partir de la moitié des planches elle a fait le silhouettage et elle va dessiner sur le prochain projet ce qui est pas mal car elle a un dessin beaucoup plus costaud que le mien.

 « le contexte est un prétexte »

Comment vous qualifieriez l’album en quelques mots ?

Diane : Film noir, fantastique, fable politique…

Morgane : Et aussi ça ne parle pas de Nazis ! Beaucoup de gens m’ont dit que ça parlait de nazis, mais ce n’est pas le cas, ça parle de Cléophée.

Diane : C’est vrai qu’il y a une grosse partie dédiée à la dictature et à l’intra-muros mais pour nous c’est plus une toile de fond, un prétexte pour développer une sorte de mythologie autour de ce personnage. Les autres sont plus des icônes.

Morgane : C’est ça, c’est un prétexte le contexte.

Ça parle aussi un peu d’actualité j’imagine ?

Diane : Oui, bien sûr avec les gens obligés de migrer de l’enceinte du mur. C’est aussi pour ça qu’on dit que ce ne sont pas des nazis parce que ça peut être le mur de Berlin, le mur de Trump, les barbelés à la frontière de l’Europe… A partir du moment où des gens se replient sur eux-mêmes, et qu’ils ont l’idée d’être tous unis tous similaires avec personne qui dépasse… Le concept en lui-même est un peu universel.

Morgane : C’est pour ça qu’il faut qu’on soit responsable comme Cléophée car on a la chance d’être relativement riches et immortels par rapport à beaucoup d’autres gens.

« Beaucoup de gens ont du mal à la comprendre justement parce qu’elle est hermétique. »

A propos de Cléophée, qu’est-ce qu’on pourrait dire sur sa personnalité ?

Diane : C’est un personnage très solitaire, elle habite toute seule dans son grand manoir avec son chat et son hibou. Enfin le chat est le hibou, qui lui-même est la clé, qui est une partie de Cléophée.

Morgane : Comme quoi elle est vraiment très seule.

Diane : Oui, et puis elle n’a pas de confidents, du coup dans un second temps on a rajouté les incantations pour permettre aux lecteurs de comprendre un peu plus le personnage. Ça permet d’expliquer un peu plus qui elle est. Beaucoup de gens ont du mal à la comprendre justement parce qu’elle est hermétique. Mais bon nous on l’aime beaucoup on partage sa vie depuis 2 ans.

« il faut penser à lire le carnet de la fin »

Ah oui donc c’est un projet de longue date ?

Morgane : En fait, il y a le court-métrage qu’on a réalisé avant, qui est disponible sur Vimeo. Après il s’est passé environ 1 an le temps de monter le dossier et de trouver un éditeur, de faire la pré-production et après on a mis un an avec Gabriel à bosser sur les planches.

Diane : En gros deux ans de travail si on condense sauf que le court-métrage date de fin 2013. Donc ça fait pas mal d’années qu’on connait ce personnage.

Morgane : Surtout il faut penser à lire le carnet de la fin ! Ce n’est pas un bonus, ça fait vraiment partie de l’album. Ça apporte beaucoup à la narration.

Diane : Il y a plein de petits indices à l’intérieur.

Vous pouvez suivre les auteurs sur Instagram (Morgane et Gabriel) ou Twitter (Morgane, Diane et The Neb Studio) et retrouver les infos de l’album sur la-valise.fr.

Entretien réalisé le vendredi 23 février 2018 à Poitiers
Article posté le samedi 17 mars 2018 par Damien Duarte

La valise, publié aux éditions Akileos décrypté sur Comixtrip, le site BD de référence
  • La Valise
  • Auteurs : Gabriel Amalric, Morgane Schmitt Giordano et Diane Ranville
  • Editeur : Akileos
  • Parution : 8 janvier 2018
  • Prix : 17 €
  • ISBN : 9782355743269

Résumé de l’éditeur : Les frontières de la Cité sont fermées. Les Ombres au service du Dux écrasent à loisir ceux qui s’opposent au régime, et les habitants doivent plier ou mourir.
Cléophée, passeuse et sorcière, profite de la situation et utilise sa Valise extraordinaire pour aider ceux qui le souhaitent à quitter la ville… contre rétribution. Pour chaque âme passant le Mur, Cléophée prélèvera sept années de vie. Dans son manoir surplombant la vallée, Cléophée joue double-jeu auprès du régime du dictateur tout en nourrissant sa magie de la vie prélevée aux fugitifs. Mais un soir, un membre de la résistance vient à sa rencontre avec une requête inusuelle : les aider à franchir la frontière dans l’autre sens, pour pénétrer dans la Cité.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Duarte

Passionné par l'univers de la bande dessinée depuis toujours, ses plus grands héros sont divers et variés comme Ric Hochet, Spider-Man, Batman, Astérix...

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