Entretien avec Nicolaï Pinheiro, dessinateur d’Un avion sans elle

Un avion sans elle est l’adaptation du roman de Michel Bussi par Fred Duval et Nicolaï Pinheiro. Ce dernier, dessinateur sur l’album, a répondu à quelques questions sur son travail sur cette belle déclinaison. Un entretien chaleureux et sympathique.

« J’ai été à la fois emballé par la puissance de l’intrigue et j’ai bien senti que c’était un projet très ambitieux. »

Nicolaï Pinheiro, Un avion sans elle est un projet solide, fondé sur le roman de Michel Bussi. Comment es-tu arrivé sur ce projet ?

Le projet existait avant moi. Il est né de la collaboration et de l’amitié entre Fred Duval, le scénariste, et Michel Bussi, le romancier. Ils avaient déjà travaillé ensemble sur Nymphéas noirs.

Fred a fait le travail d’adaptation sous le regard bienveillant de Michel. Ils avaient tous les deux envie de faire l’adaptation d’Un avion sans elle. Ils se sont ensuite mis en recherche d’un dessinateur début 2019.

Emem (dessinateur de Renaissance, ndlr) met entre les mains de Fred mon dernier album en date, Lapa la nuit. Il a aimé et m’a contacté. J’ai pris le temps de la réflexion car le projet était massif. Je voulais aussi bien comprendre dans quoi je m’embarquais.

J’ai aussi pris le temps de lire le roman. J’ai été à la fois emballé par la puissance de l’intrigue et j’ai bien senti que c’était un projet très ambitieux. J’y suis alors allé.

Est-ce que cela voulait dire que tu n’étais pas sûr de toi ?

Non, c’était plutôt de l’excitation que de la peur. Mais c’est normal pour un auteur de bande dessinée d’appréhender de nouveaux projets et pour un dessinateur de se demander si « je suis le bon dessinateur pour ça ? ». Éventuellement, « est-ce que je serais à la hauteur ? ».

Avais-tu lu les adaptations en bande dessinée des histoires de Michel Bussi ?

J’ai lu Nymphéas noirs qui venait de sortir à ce moment-là et qui connaissait un joli succès en librairie.

As-tu donné des indications lorsque tu as reçu le scénario ? Y a-t-il eu des échanges entre Fred et toi ?

Fred est un professionnel aguerri avec une méthode de travail qui a fait ses preuves. Comme le projet était important, il y avait une triple entité : l’éditeur – Cédric IllandFred et le regard à distance de Michel. Quand j’ai vu cela, je me suis dit qu’il fallait que je me cantonne à mon rôle de dessinateur.

Après le synopsis et le scénario, il y a eu le casting des personnages puis pendant la confection du story-board, naturellement, j’ai proposé des choses, des modifications, assez ponctuellement, notamment pour la bonne compréhension de la lecture.

Quel a été l’apport de Michel Bussi ?

Il fut très chouette. D’abord, c’est un amateur enthousiaste de bandes dessinées. Il nous a fait part de ses commentaires d’écrivain pour indiquer l’esprit d’une scène ou d’un personnage.

En lisant le roman, on voit que Fred Duval a été très fidèle. De ton côté, tu n’as pas suivi les couleurs décrites par Michel Bussi ; une façon de bien d’approprier l’histoire. Était-ce plus simple de faire ainsi ?

Comme c’est une histoire où la génétique est importante, il fallait forcément que tous les Vitral aient les yeux bleus. Ça, je n’ai pas pu m’en affranchir. En revanche, par exemple, le carnet de Granduc, dans livre, il n’est pas rouge et moi je l’ai fait en rouge. Il est important d’avoir une marge de liberté pour ce genre de choses.

Malvina n’est pas habillée de la même façon, dans le roman et dans la bande dessinée, pourquoi ?

Ça, c’est Fred qui a insisté. Lors du casting des personnages, elle n’était pas comme cela au début. Elle nous a donné du fil à retordre car c’est un rôle important dans l’histoire. Il y avait une version où elle avait le look d’une fille de pensionnat du XIXe siècle, habillée en noir, avec un col et des petites chaussures ; un style gothique. Et l’autre un peu punkette rose bonbon. Il a insisté et a bien fait pour que l’on garde la seconde.

« C’est un parti-pris de confiance mutuelle. »

Comment as-tu appréhendé ton rôle puisque dans tes précédentes publications, tu faisais tout ? Dans Jules Verne (scénario, dessin, couleurs), Lapa la nuit (scénario et dessin) et pour Un avion sans elle, uniquement le dessin. Tu devais donc travailler avec un scénariste et tu n’étais plus seul aux commandes.

Je le prends différemment quand je suis auteur complet. Je suis parti du principe que j’allais mettre mon savoir-faire de dessinateur au service du scénario de Fred. C’est un parti-pris de confiance mutuelle.

Comment as-tu travaillé avec lui ?

Il y a d’abord eu un synopsis très détaillé qui nous a permis d’avoir un canevas et cela permettait de savoir sur quoi nous partions. Par la suite, j’ai reçu le scénario par groupe de 30/40 pages. Je faisais ensuite le story-board de ces pages. Il y avait beaucoup d’allers-retours entre nous, par mail, parce que c’était le confinement. Nous échangions sur l’attitude des personnages, sur le découpage. Une fois que l’on était arrivés à une version qui convenait à tout le monde, je me mettais à la réalisation du dessin.

« C’était un vrai défi pour moi. La caractérisation et l’expression des visages des personnages, c’est ce que je préfère quand je dessine. »

Était-ce délicat d’animer une galerie d’autant de personnages, avec une personnalité forte à chaque fois ?

C’était un vrai défi pour moi. La caractérisation et l’expression des visages des personnages, c’est ce que je préfère quand je dessine.

En plus, l’autre grand défi technique, c’est que les personnages vieillissaient. Il faut éviter de dessiner un vieillissement trop artificiel.

Tu as donc fait des recherches en ce sens ?

Oui, notamment Granduc, qui vieillit quasiment d’année en année dans l’album. En plus, son vieillissement est porteur de sens. Il est usé par la vie et par cette enquête.

Te bases-tu sur de la documentation pour les décors, les avions ?

Pour les personnages, c’est de l’ordre de l’inspiration – un vieil oncle à moi, un acteur que j’aime bien, des amis… – alors que pour les décors, il y a eu de la documentation, surtout pour Dieppe. Je m’y suis donc déplacé, une journée, avec Fred. J’ai vu tous les lieux importants de l’histoire.

Les avions et les revolvers, je n’ai pas trop l’habitude d’en dessiner, donc je me fie à la documentation sur internet.

L’avion en tant qu’objet, ce n’est pas si complexe que ça finalement mais la scène du crash était difficile à réaliser. En plus, il y a une tempête de neige, c’est la nuit et ça ouvre l’histoire. Là, j’ai suivi les très bons conseils de mon éditeur, Cédric, qui m’a proposé de commencer l’album à la page 10, puis quand j’avais bien tout en main, de m’y attaquer.

Comment réalises-tu tes planches ?

L’album a été réalisé entièrement en numérique. Dans le passé, pour les précédents, j’utilisais du papier et les couleurs en numérique. Pour ma future bande dessinée, je reviens à une technique mixte.

« Le cinéma est une grosse influence chez moi. »

Il fallait du dynamisme dans ton découpage, puisque l’intrigue le veut. T’inspires-tu de scènes de films pour réaliser tes planches ?

Le cinéma est une grosse influence chez moi. Fred aussi. On a voulu beaucoup de mouvements lorsque l’on a fait le découpage.

Penchons-nous sur certaines planches. Que peux-tu nous dire de la planche 5, celle du crash ? Comment l’as-tu imaginée ?

Cette scène, elle est partie d’une idée très forte de Fred, celle du dézoom. On part des yeux bleus du bébé et on finit par une contre-plongée sur la carcasse de l’avion. C’était un truc vertigineux.

On n’a pas tous en tête, l’image d’un avion qui se disloque. Donc, on a le choix de chercher dans des scènes de films ou sur internet mais cela ne correspond jamais vraiment à ce que l’on veut. Cette séquence, c’est donc un mélange de documentation et d’imagination.

Une tempête de neige, c’est pratique, ça donne tout de suite une ambiance glaciale, un peu terrifiante.

Un avion sans elle de Michel Bussi, Fred Duval et Nicolai Pinheiro (Glénat)

Page 27, celle avec Malvina enfant qui suce son pouce et Malvina adulte.

Il y a l’aspect rond de Malvina enfant et l’aspect anguleux, rude de Malvina adulte. Il me semble que je suis parti de ça. Il y a les deux yeux de la même personne à 18 ans d’écart. Dans le scénario de Fred, il y avait écrit : « transition sur le regard mort de Malvina ». Il y avait donc quelque chose d’existentiel dans ce regard un peu vide et désespéré.

Pour la dernière case, on savait avant que je commence à dessiner que c’était une case importante de l’album. J’ai passé beaucoup de temps dessus parce qu’il y a beaucoup d’informations.

Quelle casquette apprécies-tu dans ton travail : être seulement dessinateur ? Auteur complet ? Est-ce que tu pourrais être scénariste pour quelqu’un d’autre ?

Oui, c’est quelque chose que je pourrais envisager mais pour l’instant, je n’en suis pas là. Le dessin est quelque chose de plus fluide chez moi. J’adore écrire mais c’est un travail qui peut être plus laborieux chez moi.

Actuellement, je suis auteur complet sur la bande dessinée que je réalise et qui sera éditée chez Sarbacane.

Entretien réalisé par Damien Canteau et Claire Karius, le samedi 30 octobre 2021 à Saint-Malo.
Article posté le dimanche 05 décembre 2021 par Damien Canteau

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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