La présence de Didier Alcante et Steven Dupré au festival Quai des Bulles 2023 à Saint-Malo était la parfaite occasion de rencontrer ces deux auteurs chevronnés afin qu’ils nous parlent de leur incroyable projet : adapter en bande dessinée chez Glénat le roman de Ken Follett Les Piliers de la Terre.
Ce roman traduit en plus de 20 langues et vendu à plus de 10 millions d’exemplaires fera l’objet d’une série en six volumes dont les auteurs nous ont raconté l’origine et la création pour Comixtrip.
Qui est à l’origine de ce projet d’adaptation du roman Les Piliers de la Terre ?
Didier Alcante : En fait, c’est moi. À l’origine, il y a le roman de Ken Follet qui est sorti en 1989 et c’est devenu mon roman préféré. Je l’ai lu dix ans plus tard, en 1998, j’ai adoré. Mais à l’époque, je n’étais pas encore bande dessinée mais je me suis dit que cette histoire ferait vraiment un bon album. Elle était destinée à être adaptée en bande dessinée. C’est quelque chose que j’ai toujours gardé en tête.
Donc des années plus tard, j’ai commencé à en parler à des éditeurs et finalement en 2018, j’ai trouvé la bonne personne. À savoir Jean Paciulli, le directeur général des éditions Glénat, qui est avait eu la même idée que moi, adapter Les Piliers de la Terre en bande dessinée.
Disposiez-vous déjà droits sur ce roman ?
Didier Alcante : Glénat avait déjà essayé d’avoir les droits. Donc là, j’ai contacté le Follett Office, c’est-à-dire le le Bureau qui gère les droits des livres de Ken Follett. Je leur ai fait une belle lettre de candidature en expliquant pourquoi j’étais passionné par ce roman, pourquoi je voulais l’adapter en bande dessinée et ce que j’en ferais. J’ai insisté sur le fait que je voulais vraiment, par respect, être fidèle à l’œuvre parce que je trouve que c’est une œuvre phénoménale.
Et donc voilà, c’est ce qui a tout lancé. En mars 2018, le Follett Office a “accroché”, puis il y a eu de longues négociations pour que Glénat puisse obtenir les droits. Droits qu’on a finalement obtenus en décembre 2019. Le COVID a tout mis en pause, mais l’album est là maintenant et c’est le principal.
“Excellent, terrific et wonderful”.
Ken Follett est-il intervenu à un moment ?
Didier Alcante : Ken Follett est à la tête d’une entreprise de 25 personnes qui s’occupent de gérer ses affaires. C’est un best-seller. Il a eu son droit de regard sur l’album, il l’a lu quand on lui a envoyé les planches quasiment finies. Et il a eu des mots très élogieux. Il a dit que c’était “excellent, terrific et wonderful”. Il était très positif. Il a même fait des posts sur les réseaux sociaux. C’est notre premier fan.
Est-ce que travailler sur une telle adaptation vous a apporté une certaine pression ?
Didier Alcante : Non, une fois qu’on a eu les droits, Ken Follet nous a vraiment fait confiance, donc on lui a envoyé l’album quasiment fini. Mais oui, c’était une pression parce Les Piliers de la Terre ont été adaptés en série télé, en jeu de plateau, en jeu vidéo et en comédie musicale. Mais le roman n’avait jamais été adapté en bande dessinée.
D’ailleurs, aucun roman de Ken Follet n’a jamais été adapté en bande dessinée, donc c’est une grande première et ça, on en est très fiers. C’est vrai que c’est une responsabilité, une bonne pression mais c’est surtout de la passion.
C’est très motivant. Si on est pas motivés pour adapter Les Piliers de la Terre, alors je ne sais pas quand on peut être motivés. Moi, j’ai tellement adoré ce roman.
« Ses planches d’essais ont mis tout le monde d’accord très rapidement »
Pourquoi avez-vous décidé de travailler ensemble sur cette adaptation des Piliers de la Terre
Steven Dupré : On a déjà travaillé cinq fois ensemble donc on se connaît assez bien déjà. Mais, c’est un poste sur mon Facebook qui a attiré l’attention de Didier. Il s’est dit que ça pouvait être intéressant de me demander de faire quelques planches d’essai pour Les Piliers de la Terre. Donc je les ai faites, ce sont les trois premières de l’album. Il y avait d’autres candidats bien sûr. Mais j’ai eu de la chance. Encore une fois.
Didier Alcante : Trois dessinateurs ont fait des essais, dont Steven. Ses planches d’essais ont mis tout le monde d’accord très rapidement. Ça marche très bien, on voit directement des centaines de personnes sur la première planche. Donc c’était la bonne personne à la bonne place.
Bien sûr, c’est l’éditeur qui a le dernier mot, mais ici j’ai quand même pesé dans cette décision. Les trois essais de Steven étaient sans conteste les meilleurs. Donc il y a pas eu vraiment de discussion. Elle a juste duré deux secondes.
Comment travaille-t-on ensemble en sachant qu’on est partis sur un travail de longue haleine. Doit-on poser certaines bases ?
Didier Alcante : En parlant avec l’éditeur on était arrivés à l’idée de faire six tomes d’environ 80 planches. Donc, partant de là, j’ai bien relu tout le roman en prenant des notes, en mettant des post-it, en surlignant certains passages. Et donc j’ai fait un plan des six tomes, ça c’est la première chose que j’ai faite.
Ensuite, je me suis vraiment attaqué à ce qu’on appelle le découpage, c’est-à-dire décrire vraiment mot par mot, case par case, tout ce que Steven allait devoir dessiner. J’ai donné ce découpage à Steven pour qu’il commence à faire les crayonnés et les storyboards.
« On se connaît bien et notre manière de travailler est assez fluide. »
Comment avez-vous apprécié les retours de Steven ?
Didier Alcante : En général, on lui disait que c’était bien ainsi. Il est arrivé de lui demander de faire des petits changements, un peu plus ceci, un peu moins cela. Mais très rarement. Puis Steven est passé à l’encrage. Il y a une troisième personne qui travaille avec nous, c’est Jean-Paul Fernandez, notre coloriste.
C’est une manière assez classique de procéder et comme Steven l’a dit, c’est notre cinquième album ensemble. Notre premier album date de 2005, donc ça remonte. On se connaît bien et notre manière de travailler est assez fluide.
C’est donc plus simple de travailler avec quelqu’un qu’on connaît déjà, sur un grand projet comme Les Piliers de la terre
Didier Alcante : Oui c’est clair. Steven partait avec cet avantage. Comme on a déjà travaillé ensemble, on sait qu’on peut faire du bon boulot. C’est forcément plus rassurant que de partir avec quelqu’un avec qui on n’a jamais travaillé.
« Il est super bien écrit, les événements s’enchaînent vraiment de façon logique et inattendue à la fois »
Dans cette adaptation des Piliers de la Terre, pourquoi avez-vous décidé d’être pleinement fidèles au roman d’origine ?
Didier Alcante : Je suis vraiment fan du roman. Il est super bien écrit, les événements s’enchaînent vraiment de façon logique et inattendue à la fois. Donc je trouve que ce serait complètement stupide de ma part de vouloir changer quelque chose. J’ai toujours voulu rester vraiment fidèle au roman.
C’est vrai que, quand on change de médium, en passant du roman à la bande dessinée, il y a forcément des adaptations à faire. Donc parfois, je laisse tomber certaines scènes parce que je n’ai pas la place dans l’album pour les montrer. J’ai également fusionné certaines séquences ou j’ai rajouté une scène ou deux, mais pas beaucoup.
La série avait pris plus de libertés je trouve, parce qu’il y a des contraintes en télé qui n’existent pas en bande dessinée. Mais alors, on perd certaines choses parce que c’est quand même intéressant de voir un personnage quand il est enfant, puis de le voir grandir. Donc oui, globalement j’ai essayé de rester le plus fidèle possible au roman.
« Il y a des descriptions des personnages dans le roman, donc je les ai suivies surtout pour les personnages principaux. »
Steven, au niveau des personnages, aviez-vous des détails à respecter pour les dessiner ?
Steven Dupré : Il y a des descriptions des personnages dans le roman, donc je les ai suivies surtout pour les personnages principaux. Pour les personnages secondaires, je suis libre de faire ce que je veux.
Dès mes premiers croquis, c’était bon. J’ai juste fait des corrections pour le personnage de Earl Bartholomew parce qu’il ressemblait trop à Donald Sutherland, qui jouait ce personnage dans la série. Donc, on l’a modifié un peu.
On est restés fidèles à la description des personnages qu’on trouve dans le roman. Bien sûr, on a toujours des manières différentes de respecter les descriptions et parfois, ça peut diverger.
En même temps, tous les lecteurs ont dans leur tête une image des personnages qui ne sera pas la même que celle que j’ai dessinée.
Dans la série, Ken Follett tient un rôle secondaire, celui d’un marchand. Allez-vous, vous-aussi, lui attribuer un rôle dans cette adaptation graphique ?
Steven Dupré : On n’a pas encore pensé à ça.
Didier Alcante : Mais on va sûrement le faire, je pense. Le clin d’œil est trop tentant.
D’autant plus que Ken Follett a signé la préface de votre album, ce qui marque véritablement son enthousiasme à l’égard de votre travail.
Didier Alcante : Je me suis déjà dit qu’on le mettrait. Je trouve qu’on ne peut pas rater ça. On ne lui donnera peut être pas un grand rôle, mais ne fusse que sur une case, peut être en train de lire un parchemin ou d’écrire un parchemin. Ce serait un peu comique comme clin d’œil à son métier d’écrivain. Et moi aussi, j’aimerais bien avoir un petit rôle de de figurant !
« On voulait vraiment créer un un Moyen-Âge réaliste. »
Pouvez-vous nous parler de l’aide que vous avez reçue pour asseoir une véracité historique dans votre album ?
Didier Alcante : Nous avons été aidés par un historien médiéviste de l’Université de Namur, parce qu’on voulait vraiment créer un un Moyen-Âge réaliste. Alors, de temps en temps, quand Steven ou moi, qui ne sommes pas des historiens, avions des questions, nous nous adressions à cet historien, Nicolas Ruffini-Ronzani.
Et pour le remercier, Steven l’a dessiné sur une case. C’est assez comique d’ailleurs, parce que c’est le personnage qui sert le plat de poissons au Roi. Les poissons dont ce dernier va faire une indigestion et finir par en mourir. Donc, on ne le voit que sur une case, mais quelque part, il a un rôle très important dans l’histoire.
« Kingsbridge est un endroit fictif, mais pour nous maintenant il existe. »
Steven, comment travaille-t-on sur de tels décors, surtout quand il s’agit de dessiner une cathédrale ?
Steven Dupré : J’ai travaillé sur un modèle de cathédrale. C’est Quentin Swysen, le fils de Didier, ingénieur architecte, qui nous a créé un modèle en 3D, afin de m’aider à la dessiner sous tous les angles possibles, ainsi que le cloître et les alentours avec le village. Donc ça m’a beaucoup aidé pour rester constant dans ma façon de mettre en images cet endroit. Kingsbridge est un endroit fictif, mais pour nous maintenant il existe.
Cette cathédrale ressemble-t-elle à une cathédrale existante ?
Steven Dupré : Quentin a pris des éléments de différentes cathédrales, des éléments typiques de l’époque. Des éléments pas trop compliqués non plus, parce que Kingsbridge n’est pas un prieuré très riche. La cathédrale est déjà en déclin quand le prieur Philippe y arrive.
« Après le sixième tome des Piliers de la Terre, je prends ma retraite ! »
Avez-vous déjà envisagé de travailler sur les autres romans qui suivent Les Piliers de la Terre ?
Steven Dupré : Après le sixième tome des Piliers de la Terre, je prends ma retraite !
Didier Alcante : C’est vrai qu’il y a plusieurs suites et une préquelle aux Piliers de la Terre. D’ailleurs, le dernier roman de Ken Follett est sorti il y a peu de temps. C’est aussi une suite qui se passe toujours à Kingsbridge, mais cette fois-ci au 19e siècle. Mais je crois qu’on a déjà assez de travail juste avec Les Piliers de la Terre, six albums. Donc on verra, mais pour l’instant on va se concentrer sur ce roman-là.
« Je suis assez optimiste sur le fait que notre album sera traduit en d’autres langues. »
Le roman a été traduit en de très nombreuses langues, qu’en est-il pour votre bande dessinée ?
Didier Alcante : Alors c’est un peu plus compliqué. Effectivement, il y a beaucoup de demandes. Des éditeurs étrangers se sont adressés à nous ou à Glénat. Mais pour l’instant, Glénat n’a les droits que sur la version française. Des discussions sont en cours entre Glénat et le le Follett Office pour essayer d’obtenir les droits sur les traductions étrangères également.
Ce serait nettement plus simple de traduire notre album plutôt qu’un éditeur étranger refasse tout le boulot. Mais je suis assez optimiste sur le fait que notre album sera traduit en d’autres langues. Ken Follett est très enthousiaste, donc je pense que ça va se faire, mais ça c’est hors de notre compétence.
Ce premier tome des Piliers de la Terre existe en trois éditions, quelles sont leurs différences ?
Didier Alcante : L’édition la plus courante a été tirée à 60 000 exemplaires. Un très beau tirage. Ensuite, il y a l’édition FNAC qui est une édition avec une couverture alternative, également en couleur. Mais il y a en plus un cahier graphique en bonus dedans. Celle-là est tirée à 3 000 exemplaires.
Enfin, il y a une troisième édition avec une autre couverture, qui est une version en noir et blanc, grand format, avec également un cahier graphique différent de celui de l’édition FNAC. Cette dernière version a aussi été tirée à 3 000 exemplaires.
Ce qui fait donc un total de 66 000 exemplaires pour le tirage de ce premier tome.
« Ce sera, c’est vrai, un cadeau idéal. »
Savez-vous comment se sont passées les premières ventes de cette nouvelle bande dessinée ?
Didier Alcante : On vient d’en parler avec notre éditeur qui nous a dit que ça démarrait vraiment bien. D’autant plus, qu’ il reste toute la période jusqu’à Noël. Ce sera, c’est vrai, un cadeau idéal parce que tout le monde connaît dans son entourage quelqu’un qui a lu Les Piliers de la Terre et qui l’a bien aimé. Tout le monde n’a peut-être pas nécessairement envie de le relire, mais par contre la bande dessinée permet de voir enfin, à quoi ressemble cette cathédrale, à quoi ressemblent les personnages.
On peut ainsi redécouvrir le roman de manière plus accessible parce qu’une bande dessinée reste quand même plus facile à lire et à appréhender qu’un roman. Surtout que celui de Ken Follett fait quand même plus de mille pages. Je pense qu’on ne vise pas que les anciens lecteurs du roman. On espère que de nouveaux lecteurs, qui ne connaissent pas du tout l’histoire, vont la découvrir en bande dessinée grâce au dessin de de Steven.
C’est un cadeau accessible même pour les non-lecteurs de bande dessinée.
Didier Alcante : Je le pense aussi. Déjà, ce premier tome – Le Rêveur de cathédrales – est un bel objet. Honnêtement, parce que quand on voit la couverture, elle est splendide ! C’est un livre épais, avec du bon papier. Et même si on ne le lit pas, on peut le mettre fièrement dans sa bibliothèque !
Merci beaucoup à Didier Alcante et Steven Dupré d’avoir bien voulu nous consacrer du temps afin de nous parler de ce formidable projet et de la sortie de ce premier tome des Piliers de le Terre, Le Rêveur de cathédrales.
Entretien réalisé au festival Quai des Bulles de Saint-Malo le samedi 28 octobre 2023.
Crédit Photos : Merci à Clémentine Sanchez
- Les Piliers de la Terre
- Scénariste : Didier Alcante
- Dessinateur : Steven Dupré
- Coloriste : Jean-Paul Fernandez
- Adapté de : Ken Follett
- Editeur : Glénat
- Prix : 19 €
- Parution : 18 octobre 2023
- Pages : 104 pages
- ISBN : 9782344043271
Résumé de l’éditeur : Au temps des bâtisseurs de cathédrales : redécouvrez la fresque monumentale de Ken Follett dans une saga épique en bande dessinée.Angleterre, XIIe siècle. Dans un royaume en perdition, morcelé par la guerre et affaibli par la famine, Tom, modeste maître bâtisseur, rêve de construire, un jour, la plus grandiose des cathédrales… Après avoir perdu son épouse et son nouveau-né durant un hiver des plus rudes, il échappe de peu à une mort certaine grâce à la troublante Ellen. Cette jeune femme rebelle et solitaire, vivant repliée dans la forêt avec son fils Jack, deviendra sa compagne. Ensemble, ils prendront la route, bravant le froid et la misère. Pendant ce temps, le nourrisson abandonné est recueilli par une communauté de moines en proie à une véritable crise religieuse…Didier Alcante (La Bombe, XIII Mystery) et Steven Dupré (Kaamelott, aux éditions Casterman) inaugurent avec ce premier album une adaptation magistrale du célébrissime roman historique de Ken Follett, prévue pour se décliner en une série ambitieuse de six volumes ! Il n’en faudra pas moins pour se (re)plonger dans l’univers de cette saga médiévale épique consacrée aux premiers bâtisseurs de cathédrales. Une histoire aux multiples rebondissements déjà déclinée en série télévisée sous la houlette de Ridley Scott, en jeu vidéo, et même en comédie musicale ! Il ne manquait qu’au Neuvième Art de s’emparer de la destinée de ces personnages tant aimés du grand public : le prieur Philip, la jeune chatelaine Aliena, l’archidiacre Waleran ou encore l’infâme William… Admirateur inconditionnel de Ken Follett, Didier Alcante adapte avec passion et une redoutable efficacité cette épopée monumentale au langage de la bande dessinée, que Steven Dupré enrichit grâce à sa science de la mise en scène et sa générosité dans les détails. L’album se fonde aussi sur un travail documentaire extrêmement précis et rigoureux supervisé par le Docteur en Histoire de l’Université de Namur Nicolas Ruffini-Ronzani.Un premier tome à la hauteur du chantier colossal que représente cette adaptation littéraire, qui a reçu l’approbation enthousiaste de Ken Follett lui-même, auteur d’une préface inédite exceptionnelle pour l’occasion.
À propos de l'auteur de cet article
Claire Karius
Passionnée d'Histoire, j'affectionne tout particulièrement les albums qui abordent cette thématique. Mais pas seulement ! Je partage ma passion de la bande dessinée dans l'émission Bulles Zégomm sur Radio Tou'Caen et sur ma page Instagram @fillefan2bd.
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