Chumbo, c’est le nouvel album de Matthias Lehmann, une plongée de 70 ans dans le Brésil moderne du XXe siècle à travers une famille de cinq enfants. Impressionnant !
Wallace, homme d’affaires détestable
Belo Horizonte, dans la région du Minas Gerais, Brésil, 1937. Comme à son habitude Oswaldo Wallace est désagréable avec tout le monde. Ce très riche propriétaire de mines habite dans une vaste demeure de la ville.
Mais ce jour-là, comme souvent, il part dans sa maison secondaire à cœur des montagnes avec Maria-Augusta sa femme et ses trois enfants. Oswaldo est hautain, arrogant et sarcastique avec tout le monde, y compris Hélcio son chauffeur.
Les mines Wallace presque en grève
Seto Lagoas. Oswaldo possède donc cette maison de campagne tout près de ses mines. Il peut ainsi venir inspecter le travail des ses salariés.
Wallace se rend sur son exploitation mais constate, amer, qu’une grève est proche d’être déclenchée. Il faut souligner que les mineurs attendent leur salaire depuis trois mois ! Rebendoleng, leader de la fronde, tente de rassembler tous les ouvriers pour lutter.
Rebendoleng, le gêneur
Wallace promet à Vasconcelos, son bras droit, de s’occuper de Rebendoleng et de le faire taire en le licenciant. Mais les enfants d’Oswlado, Ramires et Sévérino sont amis avec ceux de Rebendoleng, Iara et Zezinho. Une amitié que déplait à leurs parents respectifs.
C’était sans compter sur les mœurs du propriétaire de mines. Il n’hésite jamais à tromper son épouse avec d’autres femmes et hommes.
Mais toujours avec arrogance et paternalisme, il ne permet pas à sa femme de découvrir l’extérieur. Maria-Augusta est une épouse qui ne manque de rien mais ne peut s’émanciper de son mari.
Succéder à Oswaldo
Quant à la succession d’Oswaldo, elle est délicate. Les mines connaissent des difficultés financières et la famille s’appauvrit.
Ses enfants, Sévérino et Ramirès, même s’ils ont travaillé avec leur père, ne vont pas faire les mêmes choix. Le premier réactionnaire marche dans les pas de son géniteur, profitant au passage de l’argent et de ses réseaux, tandis que l’autre, communiste, n’en veut pas et s’y oppose…
Chumbo, immense fresque familiale brésilienne
Chumbo, ce sont 368 pages impressionnantes de Matthias Lehmann. Nous avions déjà été agréablement surpris par les précédentes publications par l’auteur né en 1978 (La favorite, Personne ne sait que je vais mourir, Agora, La vengeance du croc-en-jambe…). Il poursuit dans cette veine de récit de l’intime, d’histoires d’hommes et de femmes.
Sauf que pour Chumbo, il imagine une grande fresque familiale brésilienne. Sa mère est brésilienne et c’est aussi une manière de rendre hommage à ce pays. Un tour de force prodigieux et saisissant.
Une famille pour parler de la société brésilienne
En choisissant la famille dysfonctionnelle Wallace, Matthias Lehmann peut parler de la société brésilienne. Comme il le souligne, l’auteur aborde ainsi l’Histoire de ce pays d’Amérique du Sud, traversé par des bouleversements politiques fréquents.
« Ce qui m’intéresse, et qui était déjà présent dans La favorite, c’est le déterminisme social, montrer comment des personnages sont amenés malgré eux à aller dans une certaine direction du fait de lignes tracées par la société, la tradition et des rapports de classe. »
La famille Wallace est prospère puis est déclassée par une ruine financière. Ainsi, Sévérino tente de s’émanciper de la cellule familiale, à l’image de sa mère qui n’a jamais pu le faire.
Maria-Augusta, symbole du patriarcat
Chumbo est donc un album d’une très grande richesse par ses thématiques. Sur fond historique précis, Matthias Lehmann aborde également la place des femmes dans la société brésilienne.
On découvre les conditions de vie des domestiques des Wallace qui forcément ne sont pas celles de Maria-Augusta, la femme d’Oswaldo. Si elle ne peut se plaindre de ses conditions matérielles, elle ne pourra jamais s’affranchir de son époux. Cette femme de la grande bourgeoisie ne pourra jamais accéder à son rêve d’écrire. En somme, les femmes de ménage sont à relier à cette épouse étouffée par la mégalomanie de son mari et de l’étiquette.
Sans oublier le racisme diffus dans toute le couche de la société. Notamment chez Oswaldo, qui traite ses employés avec irrespect.
Chumbo et l’histoire du Brésil
L’album de Matthias Lehmann se fonde sur un travail historique précis. Chumbo balaie 70 ans de l’Histoire du Brésil. On y découvre les différents présidents souvent libéraux, souvent autoritaires. Un récit national émaillé de nombreuses prises de pouvoir dictatorial et de tentatives de réformes progressistes.
La CIA n’est jamais loin pour renverser des gouvernements trop émancipateurs. Getulio Vargas, Costa e Silva ou Joao Figueiredo imposent alors un régime dictatorial. Sans oublier le fantôme du Portugal qui plane toujours au-dessus du pays depuis son indépendance.
La force du dessin
S’il a voulu rendre ses hachures plus dynamiques et surtout plus lisibles, force est de constater que Chumbo bénéficie de tout le talent graphique de Matthias Lehmann. Il n’a pas changé son trait, fait de hachures pour le plus grand bonheur de ses lecteurs.
Ce noir si profond lui permet de réaliser des planches spectaculaires incroyables. Pour cet album dont il lui a fallu trois ans pour en venir à bout, l’auteur des Larmes d’Ézéchiel lorgne du côté de Robert Crumb pour animer ses personnages. En cela, Matthias Lehmann est un très grand dessinateur !
Chumbo, dont la traduction est « plomb », nous emmène dans une histoire familiale pour parler du Brésil. Un album à rapprocher de ceux de Marcello Quintanilha afin de comprendre au mieux ce très grand pays sud-américain.
- Chumbo
- Auteur : Matthias Lehmann
- Editeur : Casterman
- Prix : 29,95 €
- Sortie : 30 août 2023
- ISBN: 9782203215481
Résumé de l’éditeur : Dans la région du Minas Gerais, l’opulent patriarche Oswaldo Wallace dirige ses mines avec autorité. Ses deux fils, Severino et Ramires, n’ont qu’un an d’écart, mais tout les oppose : le premier, engagé à gauche, deviendra journaliste puis écrivain, tandis que le second soutient les militaires qui vont exercer un pouvoir autoritaire pendant les « années de plomb » – « chumbo », en portugais. S’inspirant de son histoire familiale, Matthias Lehmann réalise avec ce roman graphique une grande saga, où personnages et destins se croisent et se recroisent. À travers ses pages aux compositions inventives, qui empruntent à la caricature comme à la publicité ou au graphisme brésilien, l’auteur mêle aux histoires intimes la grande Histoire d’un pays fascinant.
À propos de l'auteur de cet article
Damien Canteau
Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.
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