Fourmies la rouge

Après un précédent album en bleu et orange, Alex W Inker revient, cette fois en noir et rouge, sur les tragiques événements qui eurent lieu le 1er mai 1891 à Fourmies et dont l’origine est très souvent méconnue.

Avec « Fourmies la rouge » édité chez Sarbacane, l’auteur de « Apaches » rend hommage à sa région d’origine et aux ouvriers morts lors de cette manifestation ouvrière, il y a tout juste 130 ans.

Alex W Inker, « Je viens de Fourmies la rouge ».

Alex W Inker est originaire de Fourmies, cette ville du département du Nord dont on ne peut ignorer le passé ouvrier et syndical.

C’est l’industrie lainière qui dès le début du XIXe siècle s’installe dans cette petite ville. Fourmies, qui compte alors 2000 habitants, verra sa population multipliée par huit en quelques décennies.

En effet, les besoins en main-d’œuvre sont importants dans les grandes filatures détenues par de riches familles d’industriels. Hommes, femmes et enfants travailleront dans ces usines comme soigneuses, peigneuses, tisseurs ou bobineurs.

À cette époque, les enfants de 8 à 12 ans travaillaient 8 heures par jour, contre 12 heures pour ceux qui avaient entre 12 et 16 ans. La journée de travail pour un adulte pouvait atteindre 15 heures.

Des revendications salariales.

Dès la deuxième de couverture, Alex W Inker présente deux tracts qui expliquent parfaitement les points de vue de chacun des deux camps.

Le premier est émis par le parti ouvrier de la région de Fourmies. Il invite les ouvriers à manifester, en ce 1er mai 1891, pour faire part de leurs  revendications. Parmi celles-ci,  l’obtention de la journée de huit heures et la création de caisses de retraites pour les travailleurs.

Le deuxième tract présenté a une optique totalement différente. Il provient des industriels qui mettent en garde leurs ouvriers contre des théories révolutionnaires. Cela pourrait mener l’industrie locale à la ruine.

Un précédent aux Etats-Unis.

Le 1er mai 1886 à Chicago, un appel à la grève est lancé par des travailleurs depuis l’usine Mc Cormick, un fabricant de tracteurs. Ils veulent obtenir une journée de travail de huit heures. Après l’intervention des forces de police, on dénombrera un mort et des blessés.

Pour dénoncer les violences policières, un rassemblement pacifiste est organisé à Haymarket Square le 4 mai 1886. De nombreux morts seront à déplorer en raison d’une charge des policiers sur les manifestants. Mais une bombe sera également lancée par des membres du mouvement anarchiste sur les forces de l’ordre.

En 1889, pour rendre hommage aux syndicalistes de Chicago qui se sont battus pour obtenir les huit heures de travail par jour, l’Internationale socialiste décidera de faire du 1er mai la « Journée internationale des travailleurs ».

Fourmies devient « Fourmies la rouge ».

C’est le 1er mai 1891 que se déroule en France la première « Journée internationale des travailleurs« . Mais à Fourmies, la célébration qui se voulait pacifiste tourne au bain de sang après la charge d’un peloton de militaires. Cette fusillade fera neuf morts, dont un enfant et quatre femmes.

Le 8 mai 1891, Georges Clémenceau prononce un discours à la Chambre des députés. Il dénoncera cette tuerie et appellera à tenir compte de la classe ouvrière en disant :

 « Ce quatrième État, vous devez ou bien le recevoir par la violence, ou bien l’accueillir à bras ouverts. »

Un album pour rendre hommage.

Qui donc mieux qu’Alex W Inker était le plus à même pour parler de cette tragédie ? Dès l’introduction il nous précise :

« Deux fois par jour, quand j’allais à l’école, puis au collège, puis au lycée, je traversais la place où la fusillade a eu lieu »

L’histoire débute alors que sonnent les quatre coups de l’horloge de l’église. On découvre Maria , une jeune femme rousse, qui se prépare pour aller à l’usine. Elle habite avec ses enfants chez sa mère et a clairement décidé, en ce 1er mai 1891, de ne pas aller au « bagne » ou plutôt à l’usine. À la place, elle ira distribuer des tracts aux ouvriers qui travaillent dans les filatures.

En effet, si certains ouvriers ont fait le choix de ne pas travailler, au risque de perdre leur emploi, les autres ont dû se rendre à leur travail. En effet, le 1er mai  a été décrété jour comme les autres par les chefs d’établissements de la région. Maria va donc retrouver Louise, ouvrière comme elle amoureuse de Kléber, Emile un des enfants livré à lui-même, puisqu’il n’est pas encore en âge de travailler. Tous veulent aller manifester pour défendre les intérêts des travailleurs.

À la suite de l’emprisonnement de certains manifestants par un peloton de gendarmerie, les évènements vont prendre de l’ampleur. Des troupes militaires ont été réquisitionnées pour l’occasion. Elles seront à l’origine du bain de sang.

Un scénario proche de la réalité.

Comme pour son album précédent, Alex W Inker a choisi de laisser la part belle aux dessins. Les dialogues entre les personnages sont réduits à l’essentiel. Beaucoup de non-dits passent par les regards. Afin de mieux immerger le lecteur dans sa région, l’auteur a utilisé le patois du Nord. Il transforme la négation en « nin » et les sandwiches en briquets.

Le scénario est calqué sur la réalité des faits. Comment aurait-il pu en être autrement ? Maria est bien Maria Blondeau, le militant syndical est bien Hippolyte Culine, le secrétaire du Parti Ouvrier.

Les faits de cette journée sont racontés en suivant la chronologie des événements. Ils sont ponctués par des horloges qui nous indiquent les heures. Comme si le décompte avant la fusillade était en route !

En noir et rouge.

Après le vert et le rouge de « Servir le peuple », le bleu et le orange de « Un travail comme un autre » quelles étaient les deux couleurs qui pouvaient le mieux symboliser la dureté du travail et une fusillade ? Alex W Inker a donc judicieusement opté pour le rouge et le noir.

La couleur écarlate était bien évidemment la mieux adaptée pour dépeindre la couleur du sang. Mais également la couleur de la brique emblématique du Nord utilisée pour toutes les constructions, maisons ou usines.

La noirceur des conditions de travail, des fumées recrachées par les filatures, la dureté de la vie et la saleté ne pouvaient qu’être représentées par une couleur des plus sombres. Sombre comme l’était la vie de ces ouvriers !

Le lettrage utilisé habituellement par l’auteur est toujours des plus agréables à lire, c’est un véritable confort de lecture, page après page.

Un pari réussi.

Avec ce nouvel album « Fourmies la rouge », enchevêtrant Histoire et histoire, Alex W Inker a encore une fois représenté ce que j’aime le plus dans la bande dessinée. Quelle meilleure façon de connaître notre passé qu’en le personnalisant à travers des personnages ! D’autant plus ici qu’ils ont vraiment existé !

Si le pari de l’auteur était de rendre un hommage. Hommage à sa ville, aux événements qui s’y sont déroulés et aux martyrs qui sont morts pour défendre la cause ouvrière. Alors oui, ce pari est définitivement tenu mais surtout réussi.

Un magnifique album.

Article posté le jeudi 06 mai 2021 par Claire Karius

Fourmies la rouge de Alex W Inker (Sarbacane)
  • Fourmies la rouge
  • Scénariste : Alex W Inker
  • Dessinateur : Alex W Inker
  • Editeur : Sarbacane
  • Prix : 19,50 €
  • Parution : 05 mai 2021
  • ISBN : 9782377316465

Résumé de l’éditeur : Le 1er mai 1891, malgré les interdictions patronales, les ouvriers grévistes ont décidé de défiler dans la cité textile de Fourmies (Nord), pour réclamer la journée de huit heures. La veille, affolés, les industriels des filatures ont sommé le maire de la ville, Auguste Bernier – lui-même directeur d’une usine – d’exiger du préfet l’envoi de la troupe. Deux régiments d’infanterie de ligne, les 84e et 145e, cantonnés tout près à Avesnes-sur-Helpe et à Maubeuge, se mettent en position sur la place centrale de Fourmies, bordée par l’église, la mairie et la maison d’arrêt. En fin de journée, une foule revendicative déboule sur la place, un officier ordonne aux soldats de tirer… Neuf personnes meurent. Elles deviendront les martyrs de la cause socialiste naissante. En virtuose, Alex W. Inker, entraîne le lecteur au plus près des personnages, le plongeant en apnée au coeur des événements aux côtés de : Maria, la jeune et belle ouvrière aux cheveux de feu. Kléber, le jeune porte-drapeau amoureux de Louise. Louise, l’ouvrière gouailleuse. Émile, le gamin innocent pêcheur de grenouilles, Gavroche bravache et frondeur. Un soldat, l’idéaliste qui ne tirera pas et n’épaulera même pas son fusil Lebel. Un vieux soldat, le salaud qui achèvera les blessés à la baïonnette.

À propos de l'auteur de cet article

Claire Karius

Passionnée d'Histoire, Claire affectionne tout particulièrement les albums qui abordent cette thématique, mais pas seulement. Elle aime également les lectures qui savent l'émouvoir et lui donnent espoir en l'Homme et en la vie. Elle partage sa passion de la bande dessinée dans l'émission Bulles Zégomm sur Radio Tou'Caen et sur sa page Instagram @fillefan2bd.

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