Avec Kaya, Birdking, ou encore Dark Knights of Steel, ces derniers mois les comics sont revenus en force aux mondes de fantasy. Will Morris répond à l’appel à travers Gospel, et y va de main forte. Ecriture, traduction, et couleur, l’artiste accepte cependant de céder la traduction française à Cédric Calas. L’oeuvre qui s’ouvre sur un premier chapitre offre à son audience des premières pages d’une grande maîtrise. A travers une course-poursuite effréné entre la protagoniste et un sanglier géant, Morris découpe brillamment son récit. Cette ouverture annonce la couleur, à savoir une volonté de grande réflexion sur la façon de narrer son récit.
A la Croisée des mondes
Le récit est celui de Matilde et Pitt, amis dont le lien se fragilise avec l’évolution de la religion. Elle, se fait main armée de l’Église Catholique romaine. Lui préfère suivre l’évolution protestante menée par Cromwell. Néanmoins, ils doivent rapidement partir retrouver un artefact qui permettrait de se débarrasser des forces malines autour d’eux. Morris ajoute à son récit, au décor historique et des accents de fantasy. Ceux-ci surgissent ici et là, au-détour d’une case, ponctuant habillement les aventures de Matilde et Pitt. Des créatures et personnages archétypes, l’auteur sait ce qu’il fait et ne va jamais trop loin. Autrement dit, le mélange est savamment fait, le lecteur ne se retrouvant jamais sorti du récit.
Néanmoins, si l’on appréciera de prime abord les deux personnages principaux, au design simple mais plaisant, on pourra facilement ressentir un certain goût de déception une fois que l’on aura fini de lire leurs aventures. Autant leurs vies que le décor qui les entoure ne semblera jamais traitée d’une manière qui aurait permis qu’on comprenne mieux les enjeux et les tenants et aboutissants de ces dits-enjeux sur les personnages.
D’un côté, la situation en Angleterre n’est jamais suffisamment remis en contexte. Un élément rendant compliqué l’attache que l’on peut avoir pour Matilde, réfractaire au changement de la société. On admettra néanmoins qu’il est plaisant de suivre un personnage aux mœurs ambiguës. De l’autre côté, c’est l’évolution des personnages et certains rebondissements qui sont parfois trop brusques, et sans d’explications réussissant à bien convaincre. Pour autant, il faut concéder à l’auteur que son histoire triomphe dans sa volonté de nous conter une histoire qui embarque facilement son lecteur, tout en l’immergeant dans une ambiance médiévale réussie.
Beau fourreau pour belle épée
Morris fait donc le choix de contextualiser son récit dans une époque historique précise, à savoir l’Angleterre de 1538 troublée par le protestant Cromwell. En faisant cela, l’auteur se plait à jouer avec les codes de l’époque médiéval. Gospel se fait ainsi une œuvre dans lequel l’auteur apporte une attention particulière à sa narration. La bande dessinée l’annonce dès son ouverture, son récit sera composé en différents chapitres à la manière d’un récit littéraire. L’objet se rapproche de l’époque qu’il narre en accompagnant les pages de chapitre avec une illustration d’enluminure. L’édition française d’Urban Comics pousse le vice pour notre plus grand plaisir, en reprenant ses enluminures pour en faire sa couverture et ajoute du relief dans un encadrement similis doré ainsi qu’au niveau du nom de l’auteur.
Couper et découper
Cependant, Morris ne se contente pas de cela dans l’importance qu’il porte à sa manière de travailler son récit. Quand son héroïne Matilde tranche d’une main experte l’adversité avec son épée, Morris, lui, découpe ses planches avec la même habilité. L’exemple illustrant le plus cette aisance de l’auteur sont les scènes d’actions et de combat. Celles-ci sont réalisées d’une telle clarté que nous finirions par croire à un don divin qui lui aurait été accordé. Néanmoins, cette simplicité continue dans les scènes calmes, où le sens de lecture se comprend en un clin d’œil. Pour conclure, on remarquera également l’impact qu’à ce découpage aux nombreuses cases sur les moments de beaux calmes qui prennent la forme de pages pleines.
Enfin, à la manière d’un Furiosa au cinéma, Morris livre une réflexion méta, interrogeant l’importance de la narration. Il agit de la sorte notamment à l’aide de deux personnages, notamment Pitt. L’ouverture dont nous parlions est un parfait exemple de cela. Elle se joue du lecteur en interrompant le récit justement par le pouvoir du conte. Une fois ce tour de magie opéré, l’auteur usera ce postulat pour conclure son récit avec une interrogation à propos l’importance de la fiction dans nos vies. En refermant l’album, le lecteur finira facilement par s’interroger sur son rapport avec la fiction qu’il consomme.
- Gospel
- Auteur : Will Morris
- Traduction : Cédric Calas
- Éditeur : Urban Comics
- Collection : Grand format Urban
- Prix : 21€
- Sortie : 28 juin 2024
- Pagination : 176 pages
- ISBN : 9791026829195
Résumé de l’éditeur : Alors que le roi Henri VIII plonge son royaume dans la tourmente, Matilde, une jeune femme aspirant à devenir une grande héroïne, attend avec impatience que l’aventure frappe à sa porte. Malheureusement pour elle, c’est le Diable qui le fait. Poussés à l’action par cette infernale apparition, Matilde et le conteur Pitt partiront en quête de réponse dans ce monde plein de dangers et de magie, et participeront à écrire la petite et la grande Histoire du royaume d’Angleterre.
À propos de l'auteur de cet article
Hippolyte Girier
Il est né en même temps que le Printemps, il ne jure que par le Hawkeye de Matt Fraction et le Grand Vide de Léa Murawiec. Il croit dur comme fer à la prise de pouvoir artistique de Zoé Thorogood, autant qu'il renie l'existence de roman graphique. Bref, cet article vous est offert avec plaisir, mais surtout par Hippolyte Girier.
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