Jean Cocteau & Jean Marais, Les choses sérieuses

Après Derrière le rideau Simone Signoret et Yves Montand, la nouvelle collection Dyade de chez Steinkis, consacrée aux couples célèbres à travers l’Histoire, sort un deuxième album. Avec Les choses sérieuses de la scénariste Isabelle Bauthian et la dessinatrice Maurane Mazars, ce sont deux hommes qui sont cette fois mis en avant : Jean Cocteau et Jean Marais.

La période de l’avant-guerre et l’Occupation

Après la période de la Guerre froide, c’est celle allant de 1937 à 1945 qui sert de toile de fond à ce nouveau récit, pour mieux comprendre l’histoire d’amour entre ces deux artistes, pendant la période trouble de l’Occupation allemande en France et plus précisément à Paris.

 

Quand Jean Cocteau (1889-1963) fait la connaissance de Jean Marais (1913-1998), le premier est déjà un professionnel reconnu dans de nombreux domaines artistiques, tels que la poésie, le cinéma, la peinture, le dessin alors que le second est un acteur débutant. Vingt-quatre ans séparent les deux Jean qui se rencontrent à l’occasion d’une audition, Marais se présentant pour obtenir un rôle dans la pièce Œdipe Roi écrite par Cocteau. Ce face-à-face marque le début de ce que l’acteur, bien connu pour ses rôles dans des films de cape et d’épée, appelle sa deuxième naissance.

« Cet angle était intéressant avec leur couple. En tant que couple, ils étaient passionnants. Un des premiers couples ouvertement homosexuels en France. Un couple exceptionnel sous de nombreux aspects. » Maurane Mazars

Un Paris culturel, pas toujours très engagé

Si cet album décrit parfaitement la vie de Jean Cocteau et Jean Marais, il fait également la part belle à toutes les personnalités qui gravitent autour d’eux. Tous sont représentatifs de la richesse de l’art et la culture pendant  cette période.

Et le premier à apparaître dans cet album est Max Jacob (1876-1944). Le poète était un proche de Cocteau, qui va le présenter à Marais dès 1937. Ils évoluent dans le même cercle et bien souvent Jacob échangera avec Marais au sujet des différentes addictions de Cocteau.

Description de cette image, également commentée ci-après

Converti au catholicisme, Max Jacob fera partie de ceux que la notoriété n’aura pas protégé de l’antisémitisme. Celui-ci sera arrêté par la police française en mars 1944 et mourra au camp de Drancy. Il a d’ailleurs été reproché à certain artistes de l’époque, comme Picasso, Guitry ou Cocteau, de ne pas avoir assez œuvré pour obtenir sa libération.

Un Salut à Breker contestable et contesté

En effet, Jean Cocteau est ami avec le sculpteur allemand Jean Breker (1900-1991). Mais pourquoi reprocher à Cocteau cette amitié de longue date et cette admiration pour son travail ? Parce que Breker était proche du IIIe Reich et d’Hitler, travaillant pour sa grandeur, comme le firent également l’architecte Albert Speer (1905-1981)ou la cinéaste Leni Riefenstahl (1902-2003). Tous figuraient comme artistes officiel du régime nazi.

Hitler entre Speer et Breker

Avec ce Salut publié en mai 1942 dans la revue Comoedia, le poète encense le sculpteur et son travail. Ce qui lui sera reproché par la suite, celui-ci prétextant qu’il avait préféré mettre en avant son amitié.

« Marais s’est engagé, il a tabassé un journaliste collaborateur, mais c’était à un moment où ce n’était plus très risqué. Était-ce de l’opportunisme ?Cocteau avait des liens avec des artiste nazis comme Arno Breker, mais il a également signé une pétition contre l’antisémitisme. » Maurane Mazars

Un album hommage mais réaliste

Avec cet album, les autrices se sont attachées à raconter la vie de ce couple pendant la guerre.  Mais elles ont été sans concession, montrant bien ce que Cocteau et Marais étaient prêts à faire ce qu’il fallait pour continuer à faire vivre leur art, même dans cette période troublée.

En effet, Cocteau refusait “de se laisser distraire des choses sérieuses par la frivolité de la guerre” ! C’est ainsi qu’on découvre que malgré leur homosexualité, pourtant bannie par le IIIe Reich et le Régime de Vichy (juillet 1940 – août 1944), les deux hommes ont pu continuer à vivre normalement, en étant relativement protégés, cela grâce à leur évidente notoriété.

Un travail de recherche intégré au dessin

Pour retracer ces deux vies, Isabelle Bauthian (scénariste de Versipelle et Dragons et Poisons) s’est appuyée sur de très nombreux articles de presse (nauséabonds, il va de soi puisque émanant de la presse autorisée), que Maurane Mazars (autrice de Tanz) a parfaitement su intégrer au fil de ses dessins.

« Isabelle a fait une grande partie de ses recherches via la presse de l’époque. Elle a une affection particulière pour la presse et dans les documents qu’elle m’a fournis, il y avait des dizaines de pages provenant de RetroNews (site de presse de la BnF). » Maurane Mazars

Si vous voulez en savoir plus sur la collaboration entre Isabelle Bauthian et Maurane Mazars, n’hésitez pas à lire l’interview que la dessinatrice avait accordée à Comixtrip à Angoulême pendant le FIBD 2023.

Avec Jean Cocteau et Jean Marais, Les choses sérieuses vous aller pouvoir entrer dans l’intimité de ces deux personnages célèbres, à travers le prisme de l’Histoire, mais également celui de l’Art.

Cet album, avec cette fin, permet de montrer une nuance sur Cocteau et son positionnement pendant la guerre. Il n’était pas collabo. C’était beaucoup plus complexe que ça. En revanche, dire que la guerre est quelque chose de frivole et que l’art est quelque chose de sérieux, confirme que Cocteau était quelqu’un d’extrêmement privilégié. » Maurane Mazars

La collection Dyade de chez Steinkis a, encore une fois, parfaitement bien réussi son pari, d’allier couples célèbres et Histoire.

Article posté le lundi 27 février 2023 par Claire Karius

Les choses sérieuses d'Isabelle Bauthian et Maurane Mazars chez Steinkis
  • Les choses sérieuses, Jean Cocteau & Jean Marais
  • Scénariste : Isabelle Bauthian
  • Dessinatrice : Maurane Mazars
  • Éditeur : Steinkis
  • Collection : Dyade
  • Prix : 20,00 €
  • Parution : 16 février 2023
  • ISBN : 9782368465844

Résumé de l’éditeur : Paris, 1937. Jean Cocteau, artiste génial, connu et reconnu, fait la rencontre d’un jeune aspirant comédien, Jean Marais. Souvent réduite, avec un brin de condescendance, à une relation de pygmalion et de muse, la relation des deux hommes s’avère bien plus profonde. Face à la guerre qui menace puis éclate. Cocteau refuse de se « laisser distraire à aucun prix des choses sérieuses par la frivolité dramatique de la guerre ». Ce n’est alors pas l’intellectuel privilégié qui fait le choix de l’engagement mais le jeune premier qui réagit avec ses tripes, son courage et son intelligence…

À propos de l'auteur de cet article

Claire Karius

Passionnée d'Histoire, j'affectionne tout particulièrement les albums qui abordent cette thématique. Mais pas seulement ! Je partage ma passion de la bande dessinée dans l'émission Bulles Zégomm sur Radio Tou'Caen et sur ma page Instagram @fillefan2bd.

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