La voix des bêtes la faim des hommes

La voix des bêtes la faim des hommes, c’est l’histoire de Brunehilde, guérisseuse et meneuse de loups. S’arrêtant dans un village dévasté par la faim et la maladie, elle tente de comprendre le mystère autour d’enfants tués dans d’atroces souffrances. Thomas Gilbert clôt ainsi son cycle sur la violence et l’injustice débuté avec Les filles de Salem et poursuivi avec Nos corps alchimiques. Effrayant et puissant !

Parcourir les routes du royaume

Quelque part dans les Causses du Quercy, vers l’an mille. Brunehilde croise la route de Paulin. La jeune femme est guérisseuse et meneuse de loups, tandis que le jeune homme est colporteur, herboriste et conteur.

Il lui propose de poursuivre leur chemin ensemble. Ils sont protégés par Loupiot, mi-chien, mi-loup, appartenant à Brunehilde.

Village maudit

Les deux compagnons de route arrivent alors dans un village. L’ambiance est lourde et le ciel gris. Il plane une atmosphère de fin de vie. Ce lieu est dévasté par la maladie et la famine.

Pourtant, Paulin et Brunehilde décident de s’y arrêter et d’y dormir la nuit. Le lendemain, le frère Martin de l’abbaye d’Aurillac s’avance vers le village. Il est venu sauver l’âme d’un nourrisson de deux mois, mort des suites d’une maladie.

Ce village semble maudit. Des enfants en bas âge ont été tué sauvagement…

La voix des bêtes la faim des hommes : de la violence des hommes

Si l’on avait un peu perdu en route Thomas Gilbert dans son précédent album, Nos corps alchimiques, force est de constater que l’auteur de Sauvage ou la sagesse des pierres est de retour avec un récit puissant et dérangeant.

Comme il le souligne dans sa postface, il referme son cycle de trois bandes dessinées sur la violence et l’injustice commencé avec le merveilleux Les filles de Salem. Il est en révolte contre tous les systèmes qui oppressent les plus faibles, les plus souffrants et les invisibles.

Dans La voix des bêtes la faim des hommes, il « s’attache aux animaux, à ceux et celles qui les comprennent et au sort qu’on leur réserve, à la part d’animalité enfouie en chacun.e de nous et à ce que nous en faisons, aux rapports de force entre l’Homme et la Nature. »

La magie, les croyances, la religion

En choisissant l’an mille et un village reculé du Quercy, Thomas Gilbert peut ainsi faire planer une atmosphère de fin de règne, d’humanité. Très documenté comme le montre la bibliographie en fin d’album – sans être trop historique – La voix des bêtes la faim des hommes plonge le lecteur dans un monde empli de croyances, de magie noire et de religiosité.

On est dans une forme très puissante d’évangélisation de terres encore résistantes. On passe ainsi du paganisme au christianisme qui s’impose à tous et dans toutes les strates de la société. Le catholicisme qui régit le corps et les âmes, qui régit le temps annuel et journalier. Cette puissance est incarnée par le frère Martin. Bien portant et se baffrant alors qu’en face de lui, il n’a que ventres vides et maladies.

La voix des bêtes la faim des hommes : l’homme est un loup pour l’homme

Au milieu de ce bourbier, il y a Brunehilde. Meneuse de loups et guérisseuse. Elle incarne, aux yeux des autres, la magie noire et les croyances ancestrales encore très ancrées dans ces contrées reculées. Elle exerce l’attirance mais aussi la répulsion. Sa force de communication envers les loups subjugue mais fait également très peur.

En ce sens, la jeune femme est à rapprocher de Pluie et Ongle, les héroïnes de l’album Ils brûlent, signé Aniss El Hamouri. La magie et le rejet sont constitutifs de leur vie. Brunehilde concentre la haine de certains villageois parce que femme et proche des animaux. Animaux qui seraient tapis dans l’ombre pour tuer des enfants. Pourtant, elle veut les aider en retrouvant « cet être » incarnant tous leurs malheurs.

Le scénario complexe de La voix des bêtes la faim des hommes de Thomas Gilbert est porté par un dessin toujours aussi envoutant.

Article posté le mercredi 05 juillet 2023 par Damien Canteau

La voix des bêtes, la faim des hommes de Thomas Gibert (Dargaud)
  • La voix des bêtes, la faim des hommes
  • Auteur : Thomas Gilbert
  • Editeur : Dargaud
  • Prix : 22 €
  • Parution : 26 mai 2023
  • ISBN : 9782205206166

Résumé de l’éditeur : Brunehilde est meneuse de loups. Elle vit à la fin du Moyen Âge, cette période incertaine où le christianisme combat intensément pour gagner les populations, essentiellement rurales. Nomade, considérée comme une sorcière, elle doit se méfier des brigands, des bêtes, des esclavagistes, de l’accueil des villageois, parfois. Quand elle arrive dans cette vallée forestière du Sud-Ouest de la France, elle découvre une situation terrible : des gens sont atrocement tués dans les bois, mutilés, et le village est persuadé qu’un démon ou un loup-garou sévit. Première suspecte, Brunehilde, aidée de Paulin, un vague commerçant itinérant croisé en route, est vite obligée de mener l’enquête sur ces meurtres.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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