Le roi des vagabonds

« La grève générale à vie » telle était la devise du Congrès international des vagabonds, organisme créé en 1927 à Stuttgart par Gregor Gog, Le roi des vagabonds, un rebelle épris de liberté. Patrick Spät et Bea Davies dévoilent son combat pour les droits des sans-abris dans cette très belle biographie éditée par Dargaud et Seuil. Passionnant.

Rêve de marine, rêve de liberté

1891. Schwerin an der Warthe, en Allemagne. Gregor Gog vit modestement avec sa mère. Son rêve, c’est de s’embarquer sur un bateau de marine marchande. Il se rend alors sur le port de Wilhelmshaven parce qu’il veut « courir le monde ».

En 1914, il est recruté par la marine nationale alors que la Première guerre mondiale éclate. Rapidement, Gregor se rend compte que le combat, les armes à feu et tuer des innocents, ce n’est pas pour lui. Il se rapproche alors de ces camarades d’infortune qui partagent des idéaux nouveaux qu’il ne connait pas.

Renvoyé de la marine militaire

Gregor découvre alors les univers de Tolstoï, Kropotkine ou Bakounine dont les mots résonne en lui : « Je ne suis vraiment libre que lorsque tous les êtres humains qui m’entourent, hommes et femmes, sont également libres ». Il embrasse alors ces idées révolutionnaires.

En 1918, alors que la guerre se termine, Gregor est condamné par la Cour martiale de Kiel et est renvoyé de l’armée. En captivité, il contracte une maladie rénale qui le fera souffrir toute sa vie.

Communauté de liberté

Alors que se met en place la République de Weimar, Gregor rejoint ses camarades Theodor, Karl, Johannes et Erich dans une communauté près de Stuttgart. Là, ils construisent une maison et deviennent libres-penseurs. Le jeune homme tombe amoureux de Anni avec laquelle il a Gregor Gog Jr.

Ce lieu est un brassage, un endroit de rencontres pour tous les marginaux d’Allemagne. Les idées bouillonnent et se confrontent.

Der Kunde, Le roi des vagabonds

Gregor décide alors de quitter la communauté pour la ville. Il veut écrire des articles et les publier pour faire bouger les choses et renverser le grand capital.

Il rencontre et fédère les vagabonds sur sa route. Juste avant l’arrivée au pouvoir des Nazis et juste après la crise de 1929, l’Allemagne compte 500 000 d’entre eux et six millions de chômeurs. Ces déclassés, il veut les représenter, en faire une force pour créer un monde nouveau.

En 1927, Gregor imagine alors la Confrérie internationale des vagabonds. Pour diffuser ses idées, il crée Der Kunde – le vagabond – un journal tiré à 1000 exemplaires et distribué aux sans-abris. A l’intérieur, on y trouve des bandes dessinées, des essais politiques, des gravures et autres dessins.

Le congrès des vagabonds

Mais le point ultime intervient le 21 mai 1929. Gregor met sur pied le Congrès des vagabonds à Stuttgart. Six cents sans-abris participent. Même la presse internationale est sur place pour couvrir l’événement.

« Grève générale à vie ! La grève jusqu’à la mort ! »

Voici le mot d’ordre énoncé par Gregor à la tribune. « Plutôt crever que de soutenir ce monde plus longtemps ! ». La liberté et l’autogestion sont alors mis en lumière.

Mais le rêve de Gregor Gog se fracasse lorsqu’il est arrêté par les Nazis en 1933. Après l’incendie du Reichstag, Hitler se fait attribuer les pleins pouvoirs. Des centaines d’opposants politiques sont envoyés dans des camps de détention. Tentant de s’échapper, le roi des vagabonds meurt dans la neige, emportant ses idéaux avec lui…

Le roi des vagabonds ou le rêve de liberté

Méconnue dans notre pays, l’histoire de Gregor Gog est toutefois fascinante et passionnante. Dans la veine des idées révolutionnaires russes, de celles de Proudhon ou Blanqui, le roi des vagabonds tente de mettre les siennes en œuvre. L’anticapitalisme, l’anarchisme et la libre-pensée sont au cœur de son utopie.

Pour découvrir cette destinée si singulière, Patrick Spät et Bea Davies dévoilent Le roi des vagabonds, une biographie dessinée de très grande qualité. Tout en étant didactique sans être indigeste, l’album prend le temps d’expliquer les théories révolutionnaires de Gregor Gog. Les deux auteurs ne s’appesantissent pas sur les autres grandes figures l’entourant, ils vont à l’essentiel, sans trop de fioriture, de manière linéaire et chronologique. La famille, sa mère et Anni sont assez vite mis de côté pour rendre compte du périple, de l’aventure de ce personnage historique important pour cette mouvance.

Une lecture enrichissante

En 160 pages, Bea Davies et Patrick Spät nous font découvrir une vie trépidante, une vie pour les autres, sans se mettre en avant, celle de vouloir redonner de la dignité aux déclassés.

Le roi des vagabonds, c’est une lecture enrichissante et prenante. La documentation est solide du côté du scénario de Spät. L’on peut comprendre que Gregor Gog est important dans l’histoire des luttes sociales puisqu’Annette Wieworka, historienne et directrice de recherche au CNRS, a écrit la préface de l’album. Un gage de sérieux dans la conception du Roi des vagabonds. Pour enrichir la curiosité des lecteurs, le duo d’auteurs a adossé un cahier en postface autour du libre-penseur.

Bea Davies, dont c’est le premier album dessiné, réalise de superbes planches en noir et blanc. Son trait semi-réaliste exécuté aux feutres est très vivant et saisissant. On pourrait y voir une filiation avec Edmond Baudoin.

Le roi des vagabonds : un périple passionnant d’un homme épris de liberté, défenseur des sans-grades et anticapitaliste. Un album fort et instructif.

Article posté le lundi 16 août 2021 par Damien Canteau

Le roi des vagabonds de Patrick Spät et Bea Davies (Dargaud / Seuil)
  • Le roi des vagabonds
  • Scénariste : Patrick Spät
  • Dessinatrice : Bea Davies
  • Traducteur : Alexandre Pateau
  • Editeurs : Dargaud / Seuil
  • Prix : 19 €
  • Parution : 04 juin 2021
  • ISBN : 9782205089011

Résumé de l’éditeur : Stuttgart, Pentecôte 1929 : La police érige des barrages routiers, on ne trouve plus un seul cadenas dans la ville. C’est que Gregor Gog (1891-1945), célèbre dans tout le pays comme le «roi des vagabonds », organise le « Congrès international du vagabond » et appelle à une «grève générale à vie». Deux ans plus tôt, l’ancien marin Gog avait fondé la « Confrérie des vagabonds » pour venir en aide aux sans-abris et les organiser politiquement. La même année, Gog publie ‘Der Kunde’, le premier journal de rue en Europe. Tout au long de sa vie, Gog a lutté contre l’exploitation, le fascisme et le racisme.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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