L’école emportée

Après un séisme, une école se trouve transférée dans un autre monde, avec ses professeurs, ses adultes et ses élèves. Autour, il n’y a plus rien. Cette terrifiante histoire est contée à hauteur d’enfant par Shô. Les éditions Glénat proposent de nouveau L’école emportée, la série manga du maître de l’horreur Kazuo Umezu. Surprenant !

De la dispute…

Shô, petit garçon de 10 ans, vit avec son père et sa mère. Les relations qu’il entretient avec cette dernière, sont pour le moins très conflictuelles. Alors qu’il voulait absolument acheter une voiture miniature pour jouer, il découvre une montre juste à côté dans la vitrine. Il en fait l’acquisition pour l’offrir à sa maman et ainsi apaiser les tensions.

Mais le sort en décide autrement. Il la fait tomber sur un passage piéton et elle est écrasée par des voitures.

En rentrant chez lui, les disputes reprennent de plus belles. Le lendemain, sa mère ne le réveille pas pour aller à l’école.

« Et si tu commençais à te prendre un peu en charge, au lieu de compter sur les autres ? Tu es en CM2, je te rappelle ! »

Furieux, la vaisselle vole dans la cuisine. « Là, tu es allée trop loin ! […] Vieille sorcière !! […] A partir d’aujourd’hui, t’es plus ma mère ! Je ne remettrai plus jamais les pieds ici !! ». Avec perte et fracas, Shô sort en trombe de la maison.

… A la disparition

Le petit garçon se met à courir dans les rues. Il a peur d’arriver en retard en classe. Il est rejoint par Shinichi, son camarade et ami. Sur le chemin, ce dernier est surpris par un bruit détonnant et un secousse. Arrivé devant l’école Yamato, il ne reste plus qu’un immense trou béant. L’école a disparu !

La population s’affole. Les gens courent dans tous les sens. La mère de Shô apprend la nouvelle et se rend devant l’établissement scolaire. Elle est dépitée et hurle son chagrin : il n’y a plus rien. Son fils est mort !

Mais où est l’école ?

A l’intérieur de l’école, tout se passe comme d’habitude. Les élèves sont réunis dans la grande salle pour écouter le discours quotidien du directeur. Ils rejoignent ensuite leur classe. Shô détecte un tremblement de terre. Tous se cachent sous les tables.

Le professeur regarde par la fenêtre. Il aperçoit un de ses collègues qui s’effondre dans la cour. Il se précipite ainsi que les autres enseignants. Shô part lui aussi aux nouvelles. Devant la grille de l’école, les professeurs sont bouche bée : il n’y a plus rien autour de l’établissement. Il ne reste qu’une masse de boue. Mais que s’est-il passé ? Où est la ville ? Et si l’école avait été projetée dans un monde inconnu ?

L’école emportée : première grande série du maître du manga d’horreur

C’est entre juin 1974 et mai 1975 que Kazuo Umezu  – il signe ce récit de Kazuo Umezz – publie pour L’école emportée. Ce formidable récit d’épouvante trouva sa place dans les pages de la revue Weekly Shônen Sunday des éditions Shôgakukan au Japon. En France, il fallut attendre 2004 pour sa publication en langue française.

Ce surprenant récit accrocheur, haletant et interrogatif fut écrit par le maître du manga d’horreur. Né en 1936 à Kôya au Japon, le mangaka débuta sa carrière à l’âge de 19 ans par des publications dans la filière des librairies de prêt à l’instar de son collègue Yoshiharu Tsuge. Il entra alors dans le cercle des auteurs du  Gekiga Kobo (« l’atelier d’histoires dramatiques »). Les récits des gekigas étant plus adultes que les productions de l’époque, faisant de la sociologie et la psychologie le cœur de leurs histoires. Sa première grande série fut alors L’école emportée.

L’école emportée, un récit  publié en 1972 et encore très actuel

Comme ses camarades mangakas de l’époque (Tsuge, Tatsumi, Kamimura, Kunosoki…), Kazuo Umezu est un enfant de la guerre. Les privations, la peur, la faim, les morts, la bombe nucléaire, la défaite et l’occupation américaine sont des marqueurs indélébiles dans sa vie. L’école emportée cache aussi en son sein ces bouleversement dans l’existence des Japonais.

Ainsi, le séisme, le trou béant et la dévastation autour de l’école est un écho à celle laissée après le largage des bombes nucléaires sur Hiroshima et Nagasaki. A l’image de Gen d’Hiroshima de Keiji Nakasawa, Umezu aborde en sous-texte cette déflagration dans la société nippone.

De l’inversion des rôles

Dans L’école emportée ce qui marque les lecteurs, c’est une inversion des rôles et du schéma adultes/enfants. Si ces derniers sont apeurés et pleurent à la vue de leur « disparition » dans leur école, beaucoup vont faire preuve d’une grande maturité, à l’image de Shô.

Les adultes se comportent étrangement et sombres dans une irrationalité confondante. Rien n’est logique dans leurs faits et gestes. Alors qu’ils devraient protéger les plus petits, ils usent et abusent de violence. La folie les guettent un par un.

Les suicides, irrépressible envie de retrouver ses parents ou l’accaparement des victuailles sont autant de phénomènes qui montrent la folie des êtres humains.

Un récit mâture à hauteur d’enfant

L’école emportée reçoit le prix Shōgakukan en 1975. Il faut souligner que le récit alterne entre les moments dans l’école – les moments « vrais » – avec les pensées de Shô. Le garçon de 10 ans va sans cesse se livrer aux lecteurs en s’adressant à sa maman. Il pense, il réfléchit à ses actes passés ou ceux futurs en parlant à sa mère. Si ses interrogations sont très « adultes » dans la manière dont il s’exprime, il reste des questionnements très enfantins parfois. Les causes et les conséquences de ses gestes sont intimement mis en lumière.

Sans trop en dévoiler, la suite de L’école emportée se basera sur une micro-société mise en place par les enfants. Ils se débarrassent rapidement des adultes et vont se comporter comme ces derniers auraient dû le faire. Les élèves plus vieux vont notamment protéger les plus petits. Ils mettront aussi en place une sorte de gouvernement avec des élections. Mais le naturel reviendra au galop et ils reproduiront les mêmes schémas que leurs aînés faits de violence et de guerre. En cela, le manga peut se rapprocher de Sa majesté des mouches, le roman de William Golding publié en 1954. Dans ce livre, des enfants s’échouent par accident sur une île déserte, y mettent en place une organisation sociale mais sombrent dans un état quasi animal au fil des pages.

L’école emportée : Un dessin daté ?

L’école emportée ne fut pas la série qui mit en lumière le travail de Kazuo Umezu en France. Il fallut attendre les années 2010 et les publications par Le lézard noir pour que le mangaka trouve son public dans notre pays. Après La maison aux insectes et Le vœu maudit, c’est Je suis ShingoPrix patrimoine au festival d’Angoulême en 2018 – qui fut la caisse de résonance. Les lecteurs découvrent alors le maître du manga d’horreur. Les éditions Glénat en profitent donc pour publier de nouveau L’école emportée, surfant sur la notoriété plus importante d’Umezu en France.

Si la série est encore très moderne, le dessin semble lui un peu daté. Le trait épais et les hachures pour amplifier gestes et émotions semblent parfois surjoués. Mais cela reste néanmoins hypnotique. La qualité des planches est merveilleuse.

Malgré ses presque 50 ans, L’école emportée est une œuvre importante de Kazuo Umezu à lire; un récit pionnier des mangas d’épouvante.

Article posté le jeudi 08 juillet 2021 par Damien Canteau

L'école emportée de Kazuo Umezu (Glénat)
  • L’école emportée, volume 1
  • Auteur : Kazuo Umezu
  • Traducteur : Anthony Prezman
  • Editeur : Glénat Manga
  • Prix : 10,75 €
  • Parution : 7 juillet 2021
  • ISBN : 9782344048214

Résumé de l’éditeur : Le retour du maître de l’horreur ! Le manga le plus célèbre de Kazuo Umezz narre la disparition brutale d’une école primaire et de tous ses occupants, mystérieusement projetés dans un monde désertique, dépourvu de vie, où le sable dispute à un ciel aux brumes obscures les limites incertaines de l’horizon noir. Complètement dépassés par la situation, les adultes chargés de la protection des enfants vont se révéler incapables d’assurer leur rôle. Certains laisseront libre cours à leur folie naissante, d’autres préfèreront le suicide. C’est dans ce monde que les enfants, désemparés, à court de repères tant familiaux que géographiques, se devront à eux seuls de s’accorder l’espoir d’une survie improbable. Découvrez ce chef-d’oeuvre du manga dans une nouvelle édition en six tomes, qui vous permettra d’apprécier d’art d’Umezz dans toute sa splendeur.

 

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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