Les femmes du lien

Qualifiées d’essentielles lors du premier confinement, Les femmes du lien – aides à domicile, aide-soignantes, éducatrices, auxiliaires de vie ou assistantes familiales – sont pourtant retombées dans l’oubli. Le photographe Vincent Jarousseau leur rend hommage dans ce très beau roman-photos ; elles, les anonymes créant le ciment de cette France d’en-bas. Émouvant et lumineux !

Les femmes du lien : premières de cordée

Les femmes du lien sont essentielles à notre pays. Anonymes, mal considérées et mal payées, elles effectuent des métiers créant le ciment de la France. Jusqu’au premier confinement, à part le député de la France insoumise François Ruffin, personne ne se souciait de leur sort, de leurs conditions de travail indignes et de leurs faibles rémunération.

Mais le COVID-19 est passé par-là, plongeant notre pays dans un statut quo inédit. Seuls les métiers « essentiels » pouvaient continuer à « œuvrer » pour le pays. Parmi ces « petites mains courageuses », trois millions de travailleuses, soit une femme active sur 4, se rendaient chez les malades à domicile, essayaient de soulager les maux des plus précaires ou accueillaient les patients à l’hôpital. Marie-Basile, Valérie, Angélique, Marie-Claude, Rachel, Julie, Séverine et Marie-Eve sont les essentielles. Vincent Jarousseau, photographe et documentariste, leur rend hommage en les faisant sortir de cet anonymat. Ces huit femmes incarnent les femmes du lien. Portraits.

Qui sont les femmes du lien ?

Après L’illusion nationale & Les racines de la colère, sur la France des déclassés dont certains sont attirés par le vote Rassemblement national, Vincent Jarousseau retourne dans le Nord de la France pour rencontrer ces femmes du lien. Il suit également certaines d’entre elles en région parisienne.

  • Valérie est technicienne d’intervention sociale et familiale (TISF). Mais que se cache derrière ce long nom de métier ? Elles sont 8 000 en France à se rendre dans les foyers pour accompagner des familles qui en ont besoin. Travailleuses sociales, elles sont le maillon essentiel de la protection de l’enfance. Valérie se rend chez Céline et Jean-Noël à Glageon. Elle tente de redonner un cadre perdu, aide pour le budget, pour les papiers, essaie de recréer un lien dans ce clan qui se fissure. Elle intervient aussi chez Nathalie à Fourmies. Le travail est important dans cette région désindustrialisée, très peuplée et précaire.
  • Marie-Basile est aide à domicile. Tous les jours, elle part tôt de Stains, laissant sa fille à son amie qui l’héberge, pour se rendre chez Florenza à Paris. Elle lui fait la toilette, ses courses, le ménage, mais surtout elle l’écoute. C’est le seul lien dans la journée de la veille dame.

Assistante maternelle, aide-soignante et éducatrice spécialisée : de la force des convictions

  • Angélique est assistante maternelle. Mariée et mère de deux enfants, elle travaille à Aulnoye-Aymeries. Son mari agriculteur, elle a décidé de garder des enfants en bas âge. Ce n’est jamais simple car elle est rémunérée au contrat qui vont et viennent. En plus de ceux dont elle s’occupent dans la journée, elle est habilité à garder des enfants après l’école.
  • Marie-Claude est aide-soignante à Livry-Gargan. Elle travaille dans le centre de médecine physique et de réadaptation de Bobigny. Elle jongle entre son métier et sa vie privée. Son mari est également aide-soignant. Pas simple de se voir lorsque les horaires sont décalés. Elle lave, fait manger et habille les patients.
  • Rachel est accompagnante éducative et sociale à Hirson dans l’Aisne. Elle débute, à cinquante ans, une nouvelle carrière dans un EHPAD. Embauchée en CDD, sa situation est parfois plus précaire que les patients dont elle s’occupe.
  • Educatrice spécialisée, Julie exerce à Saint-Denis. C’est dans une association que Julie travaille. Avec ses collègues, elle tente de gérer au mieux les dossiers de plus en plus nombreux depuis le COVID. Elle accompagne des jeunes majeurs ou non dans leurs démarches administratives ou de recherche de travail.

Marie-Eve, une vie au service des enfants placés

Avant de vous parler de mon coup de cœur, celui qui m’a le plus ému, arrêtons-nous un instant sur Séverine, auxiliaire de vie sociale. Née à Fourmies (la rouge), elle exerce à Wignehies dans le Nord. Tous les jours, elle se rend au domicile de personnes dépendantes. Depuis 22 ans, elle sillonne les routes de la région pour soulager au mieux ces patient.es. Elle effectue 400 km par semaine. Elle leur discute avec eux ou les lave.

« Vous êtes ma réussite. Je suis très fière de ce que vous êtes devenus. Chacun de mes enfants est différents, mais il n’y a pas de différence entre mes enfants et les trois enfants que j’ai élevée, Kévin, Laëtitia et Christopher. »

Ces mots ce sont ceux de Marie-Eve, assistante familiale, à quelques mois de la retraite. A Dompierre-sur-Helpe, elle a consacré sa vie à ses enfants biologiques et à ceux placés par des décisions de justice. Abandonnée par sa mère, elle a décidé de rendre aux plus fragiles cet amour qu’elle n’a jamais eu.

« Assistante familiale, c’est un métier qui demande juste d’aimer, d’être une bonne maman, de s’occuper des enfants. C’est la base. Il faut vraiment aimer pour se lancer dedans. Ce que je n’ai pas eu, je l’ai donné tout ma vie d’adulte à mes enfants et aux enfants accueillis chez moi. C’est une vraie fierté. »

Les femmes du lien, la vraie vie des travailleuses essentielles

Si Vincent Jarousseau ne donne que leur prénom, on a l’impression de les connaître. Dans nos entourages, on connaît des personnes comme ces Femmes du lien. Elles sont courageuses, elles ont ça dans leur sang d’aider l’autre. Mal payées, souvent avec des contrats courts, mal considérées, elles ont été les grandes absentes du Ségur de la santé (sauf les aides-soignantes). Ce dispositif gouvernemental était sensé revaloriser les salaires de ces femmes de l’ombre. Rien. Une aberration !

Vincent Jarousseau, grâce à des démarches pour rencontrer ces femmes, a eu du temps pour recueillir leurs témoignages précieux, les suivre et les photographier dans leur quotidien de travail. Les premiers clichés de présentation, souvent ces femmes ont sent dans leurs yeux de la mélancolie. Les gros plans sont saisissants.

Pour chaque portrait, le documentariste a fait appel à Thierry Chavant. Le dessinateur de Sarkozy – Kadhafi, Des billets et des bombes a mis en image le passé de chacune de ces femmes. En quelques planches, il a réussi à remettre dans le contexte leur vie et pourquoi aujourd’hui elles exercent de merveilleux métiers.

Si Les femmes du lien prennent soin des autres, on pourrait se demander qui prend soin d’elles. Volontaires et ayant un grand sens de l’humain, elles sont là pour soulager les maux des plus faibles d’entre nous. Cet album donne espoir, il est lumineux, essentiel pour comprendre ces femmes de l’ombre.

« Que feront-on sans vous » clament la plupart des personnes aidées. Oui ! Que ferait-on sans elle…

Article posté le dimanche 02 octobre 2022 par Damien Canteau

Les femmes du lien de Vincent Jarousseau et Thierry Chavant (Les arènes BD)
  • Les femmes du lien. La vraie vie des travailleuses essentielles
  • Auteurs : Vincent Jarousseau (photos) et Thierry Chavant (Dessins)
  • Editeur : Les Arènes BD
  • Parution : 22 septembre 2022
  • Prix : 24,90€
  • ISBN : 9791037505835

Résumé de l’éditeur : Valérie est technicienne d’intervention sociale et familiale ; Marie-Basile, aide à domicile ; Angélique, assistante maternelle ; Marie-Claude, aide-soignante ; Rachel, accompagnante éducative et sociale ; Julie, éducatrice spécialisée ; Séverine, auxiliaire de vie sociale ; Marie-Ève, assistante familiale. Huit femmes parmi les trois millions de travailleuses  » essentielles  » que la crise sanitaire a mises en lumière. Pendant deux ans, Vincent Jarousseau a cheminé à leurs côtés. Il restitue ici leurs propos. Pour rendre compte de leurs conditions de travail et de vie, faire ressentir la complexité et la diversité des expériences, et adopter le point de vue de celles qui créent du lien dans nos sociétés.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une trentaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée) et co-responsable du prix Jeunesse de cette structure. Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip. Damien modère des rencontres avec des autrices et auteurs BD et donne des cours dans le Master BD et participe au projet Prism-BD.

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