My Capricorn Friend

Yuya Matsuda est un lycéen comme les autres. Il s’amuse avec ses copains et évite les problèmes. Comme les autres, lorsqu’un camarade se fait martyriser, il détourne le regard.  Jusqu’à ce que son balcon l’informe qu’il va y avoir un mort. La formidable collection Moonlight de Delcourt/Tonkam frappe encore avec My Capricorn Friend un manga émouvant aux frontières de la mort. 

Le vent qui racontait des histoires

La maison de Yuya Matsuda se situe au pied d’une colline. Si bien que le vent balaye en continu la façade du premier étage. Tous les matins, Yuya jette par dessus la rampe de son balcon toutes les feuilles mortes déposées là pendant la nuit. Les feuilles, mais aussi des pétales de cerisiers en plein automne, un album photo des années 2000, des magazines, du linge, parfois des pulls à quatre manches. Un jour, Yuya a même retrouvé un chien accroché à sa rambarde.

Et le matin du 25 septembre, il retrouve un morceau de journal datant du 2 octobre suivant. Dans ce journal, un article relate le suicide d’un adolescent après qu’il ait avoué le meurtre d’un de ces camarades de classe.

Le soir du 25 septembre, au détour d’une ruelle, Yuya croise Naoto Wakatsuki. Naoto était harcelé par Akira Kaneshiro. Kaneshiro à la mauvaise réputation. Kaneshiro qui est retrouvé mort le matin du 26 septembre.

My Capricorn Friend

My Capricorn Friend nous plonge dans une histoire glaçante. L’histoire de la violence ordinaire. Celle dont on ne parle pas pour ne pas être le prochain. Celle qui s’immisce dans les interstices du quotidien. On détourne le regard comme si cela pouvait la faire disparaître. Comme si cela pouvait nous l’épargner. Le harcèlement, « c’est la faute à pas de chance« .

C’est ce que Yuya se répète en boucle : « Si Kaneshiro s’en est prit à Naoto, c’est la faute à pas de chance ». « Heureusement que ce n’est pas tombé sur moi ».  C’est cette indifférence volontaire que Yuya ne supporte plus. Il sait qu’intervenir va lui apporter des problèmes, mais il sait aussi que s’il n’intervient pas, il le regrettera toute sa vie. Alors ce soir du 25 septembre, il fait ce geste qu’il aurait dû faire des mois plus tôt. Il tend la main.

Culpabilité en résonance

De qui est-ce la faute ? Du harceleur ? Des témoins qui se taisent ? Des adultes, professeurs et parents, qui décident de ne rien faire ? Des intervenants extérieurs qui savent bien que cela à lieu partout, tout le temps, mais sans jamais prendre la mesure du problème ?

La culpabilité, elle, plane partout et nulle part à la fois. Elle tord le ventre de Naoto, elle racle la gorge de Yuya. Elle grandit à mesure que l’inacceptable approche. C’est cela que souligne My Capricorn Friend. Dans la fiction comme dans la réalité, la culpabilité est toujours dans le mauvais camp. Et l’action, la prévention, souvent en retard.

Une pincée de fiction

C’est un trait commun aux mangas édités dans la collection Moonlight, chez Delcourt/Tonkam. Une tranche de vie limpide et simple, saupoudrée d’un peu de science fiction. Un poil de surréalisme qui change notre perspective. My Capricorn Friend ne fait pas exception.

Cette science fiction s’intègre au récit avec une immense douceur. Notamment car elle fait référence à des phénomènes qui nous dépassent. Des mécanismes quantiques que notre esprit ne peut pas saisir dans leur ensemble. Tel l’humain qui saisit la puissance de l’océan et l’immensité de la montagne. Le phénomène est là, simplement. Il était là avant l’homme, il sera là après lui.

Et ce tour de magie scénaristique rend la violence des humains encore plus glaçante. La violence à laquelle ils sont confrontés, mais aussi la violence de leurs sentiments.

C’est le deuxième point commun aux ouvrages de la collection Moonlight. Les personnages, toujours, sont proches de la mort. Sans qu’elle soit taboue, elle réside dans l’esprit des personnages comme une option valable à la suite de leurs aventures. Le but des récits édités dans la collection Moonlight est que ces personnages reprennent goût à la vie. Mais cela n’arrive pas toujours.

Traits communs

Cette part de fantastique apporte une touche d’originalité très agréable. Comme un écho lointain à une science fiction plus poussée, plus franche et dérangeante.

Cela me fait dire que l’auteur, Otsuichi, a bien d’autres idées à développer. Mais aussi à explorer bien plus en profondeur.

Otsuichi semble également très attaché à la métaphore et à la symbolique des petits détails. C’est un autre point commun avec Sugaru Miaki, auteur de Parasites Amoureux et Derrière le ciel gris, également dans la collection Moonlight.

Cette histoire de l’étrange est soutenue par un style souple et doux. Il ne se prend pas la tête avec les décors tout en nous offrant de magnifiques planches de paysages poétiques et aériennes.
Le dessin des personnages leur sied à merveille et nous les rend tout de suite sympathiques.

One Shot au clair de Lune

Il y a une multitude de raisons pour lesquelles My Capricorn Friend est mélancolique, doux, tendre et triste. Il est surtout beau et étrange. A titre personnel, j’aime la collection Moonlight pour tout ce qu’elle propose. My Capricorn Friend est un one-shot qui remplit la promesse de la collection avec brio. C’est un manga poignant que je conseille fortement.

Pour rappel : le numéro d’urgence si vous êtes victime ou témoin de harcèlement : 3020.

Article posté le dimanche 14 novembre 2021 par Marie Lonni

My Capricorn Friend - Otsuichi - Miyokawa - Delcourt/Tonkam
  • My Capricorn Friend
  • Scénariste : Otsuichi
  • Dessinateur : Masaru Miyokawa
  • Traducteur : Sakoto Fujimoto
  • Editeur : Delcourt/Tonkam collection Moonlight
  • Prix : 7,99 €
  • Parution : 27 octobre 2021
  • ISBN : 9782413040569

Résumé de l’éditeur : Tout commence par la découverte du cadavre de Kaneshiro, un odieux lycéen qui harcèle perpétuellement ses camarades. Les soupçons se tournent rapidement vers Wakatsuki, un étudiant qui est introuvable depuis ce meurtre. Matsuda, un camarade de Wakatsuki, va alors le prendre sous son aile pour le cacher, d’autant plus qu’il est persuadé que Wakatsuki n’est pas réellement coupable du meurtre…

À propos de l'auteur de cet article

Marie Lonni

"C'est fou ce qu'on peut raconter avec un dessin". Voilà comment les arts graphiques ont englouti Marie. Depuis, elle revient de temps en temps nous parler de ses lectures, surtout quand ils viennent du pays du soleil levant. En espérant vous faire découvrir des petites pépites à savourer ou à dévorer tout cru !

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