Not all robots

Il serait comment l’avenir, si les robots prenaient l’ascendant sur leurs créateurs ? Dans Not All Robots, paru chez Delcourt, Mark Russell et Mike Deodato Jr. nous en donnent un aperçu. Mais il n’est pas certain que cela nous plaise.

Not all robots, pour le meilleur et pour le pire…

Lorsque l’homme a créé la machine, il souhaitait se rendre la vie plus belle. Et pendant des décennies, ça a plutôt bien fonctionné. La machine au service de l’homme… Tant que le contrat était respecté, tout allait bien.

Mais en 2056, les hommes vivent oisifs dans des villes-bulles. Toutes les tâches, tous les métiers -sauf coiffeur- sont réalisés par des robots. Et désormais, même dans les talkshows, humains et robots débattent du bénéfice de l’obsolescence humaine.

« Tout le monde sait que les humains sont émotifs et incohérents et, disons-le, paresseux… C’est pourquoi le conseil a dû assigner un robot à chaque foyer humain. Ils n’étaient pas capables de fonctionner sinon. »

L’équilibre entre être humain et machine n’est plus aussi évident à définir. Et il faut bien l’admettre, l’humanité a du plomb dans l’aile…

Not all robots, le meilleur des mondes ?

Mais contre toute attente, beaucoup se complaisent dans ce statut d’assisté absolu.

C’est le cas de Donny Walter, un père de famille placide et débonnaire.

« Seigneur, merci pour notre vie paisible dans la bulle d’Atlanta. Merci pour ces globules de protéines. Enfin, nous remercions Razorball, notre dombot, sans qui ce festin n’aurait pas été possible. »

Pourtant chez les Walter, il est minoritaire. Et tous les soirs, les sujets de disputes tournent autour des machines. Manifestement, le taciturne robot écarlate ne fait pas l’unanimité.

Mais ce dernier n’est pas non plus satisfait de son sort. Car même lui perçoit l’ironie qui réside dans le fait de travailler dans l’usine Mandroids qui prépare la nouvelle génération de robots. Avec leurs visages humains, ils s’intégreront plus facilement dans la société et remplaceront à jamais les modèles obsolètes.

Visiblement, de part et d’autre, les mécontents grondent. Et ce n’est pas près de s’arranger car le taux de bugs conduisant des robots à se retourner contre des humains ne cesse de monter…

La moindre étincelle pourrait mettre le feu aux poudres.

Des robots et des hommes.

On avait découvert Mark Russell avec l’iconoclaste Retour du Messie. Et cette fois-ci, bien loin de la religion et des super-héros, on le retrouve avec plaisir dans une dystopie aussi grinçante qu’un robot mal huilé.

Immédiatement, le thème abordé et la possibilité que la création robotique prenne le pas sur son créateur rappelle le maître du genre, Isaac Asimov et ses lois de la robotique.

Et pourtant, avec beaucoup de personnalité, Mark Russell parvient à s’éloigner de ce pesant héritage et crée une œuvre personnelle qui explore bon nombre de thématiques modernes.

Une vision personnelle.

Ainsi, en prenant soin de toujours glisser des pointes d’humour qui sont sa marque de fabrique, le talentueux scénariste élabore une histoire aussi dynamique qu’efficace. Consumérisme, pression sociale, rôle du travail, place de l’humain dans les nouvelles technologies… Les thèmes abordés sont nombreux. Mais dans une cohérence qui n’est pas sans rappeler la série Black Mirror, ils sont tous liés.

Et finalement ils nous amènent à nous interroger sur notre propre humanité par un inquiétant questionnement qui commencerait par « Et si… ».

Un futur plus vrai que nature.

À ce titre, l’exceptionnel travail réalisé par Mike Deodato Jr. contribue à nous immerger dans cet univers, bien plus proche de nous qu’on ne voudrait l’admettre. Son style fin et précis, proche du photoréalisme, associé à la formidable colorisation de Lee Loughridge (Campus) donne vie à ce monde dystopique. La caractérisation des humains est à ce point soignée qu’on jurerait reconnaître Michael Douglas dans Chute libre sous les traits du père de famille. Et les robots ne sont pas en reste.

Pourtant, le défi était de taille. En effet, donner des émotions à des machines semble relever de l’impossible. Hé bien le talentueux artiste y parvient en travaillant les attitudes et le langage corporel. Au bout de quelques pages, la magie opère et on se retrouve au milieu du conflit qui oppose humains et robots. Et en même temps, un sentiment d’angoisse commence à se faire ressentir.

#NotTAllRobots.

Et c’est sans aucun doute ce que recherche le duo d’artistes. Le but assumé de Not all robots est bel et bien de dénoncer les travers de la société actuelle en imaginant ce qu’elle deviendra si elle continue sur la voie qu’elle s’est tracée. Ainsi, comment ne pas repérer que le titre est un pastiche du hashtag #NotAllMen, cette réponse hors-sujet apportée quand des violences faites aux femmes sont dénoncées. Mark Russell s’en explique d’ailleurs longuement dans une postface éclairante. L’auteur souhaite dénoncer la servitude volontaire dans laquelle l’Homme s’est enfermé depuis des siècles. Ainsi, il rappelle aux défenseurs d’une société patriarcale inégalitaire que la roue finit toujours par tourner et que les prédateurs d’un jour pourraient bien devenir les proies du lendemain.

Article posté le dimanche 26 mars 2023 par Victor Benelbaz

Not all robots de Mark Russell et Mike Deodato Jr. (Delcourt)
  • Not all robots
  • Auteur : Mark Russell
  • Dessinateur : Mike Deodato Jr. et Rahzzah
  • Coloriste : Lee Loughridge
  • Traducteur : Anne Capuron
  • Editeur : Delcourt
  • Collection : Contrebande
  • Prix : 16.95 €
  • Parution : 01 février 2023
  • ISBN : 9782413047926

Résumé de l’album :  En 2056, les robots ont remplacé les êtres humains sur le marché du travail. La coexistence est difficile entre les robots et les dix milliards de terriens. Chaque famille humaine dispose d’un robot dont elle dépend entièrement. Le robot des Walter, Razorball, passe – de façon assez inquiétante – tout son temps libre dans le garage à construire des machines conçues pour tuer sa famille d’accueil…

À propos de l'auteur de cet article

Victor Benelbaz

Tombé dans la marmite de la bande dessinée depuis tout petit, Victor est un vrai amateur éclairé. Comics ou récits jeunesse sont les deux genres préférés de ce professeur de français.

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