Simirniakov

Dans la Russie de la fin du XIXe siècle, un propriétaire terrien est en prise avec les paysans sur ses terres. C’est dans ce contexte pré-révolutionnaire que Vincent Vanoli imagine Sirminiokov, un album politique et burlesque à L’Association.

Simirniakov, la terre comme richesse

Russie, fin XIXe siècle. Chez les Simirniakov, la terre est une affaire de famille. Fils, petit-fils et arrière-petit-fils de propriétaire terrien, il a construit sa fortune sur cet immense héritage.

Cette richesse, elle est avant tout produite par les moujiks, les paysans installés sur ses terres. S’ils semblent assez libres, ce sont des serfs (taillables et corvéables à merci, c’est-à-dire à la bonne volonté du seigneur).

Pour l’aider dans sa grande tache, Simir peut compter sur Oboïevski, son régisseur; interface entre lui et ses paysans.

Ça gronde dans les chaumières

A peine réveillé, Simirniakov grimpe sur Vladimir, son cheval parlant, pour inspecter ses terres. Du haut de son destrier, il toise ses moujiks à qui il répond souvent avec médisance. Il préfère laisser Oboïevski gérer le quotidien. Il semble heureux mais pourtant, il s’ennuie. Sa seule distraction, c’est de parcourir en long et en large son territoire.

Surtout que Nounourskine, Nounours, fait des siennes. Son fils aime la fête et aime boire. Une nuit de beuverie, il incendie l’isba d’un paysan. La révolte gronde après ce terrible événement. Que faire ? Simir décide de créer un syndicat de paysans…

Simirniakov : farce politique au pays des tsars

Dans la même veine que Rocco et la toison, Vincent Vanoli s’empare de l’histoire. D’une histoire moins connue, celle qui n’intéresse pas les grands médias. Pour Simirniakov, il lorgne vers la Russie tsariste de la fin du XIXe siècle. Ce grand pays impérialiste n’a pas encore effectué sa révolution industrielle, elle fonctionne donc encore sur un système seigneurial archaïque et rural.

Pour raconter son histoire, il imagine un riche propriétaire terrien, opulent et gras qui va être en prise avec ses moujiks. Dans cette Russie pré-révolutionnaire de 1917, il met en lumière ces rapports de force seigneur/serf avec une certaine malice. Il construit son récit comme une grande farce politique entre dramaturgie et humour, à l’image du merveilleux Ce qu’il faut de terre à l’homme de Martin Veyron, adapté d’une nouvelle de Tolstoï. D’ailleurs, Simirniakov est aussi un très bel hommage à la littérature russe.

De la modernité en marche

Simirniakov est aussi un prétexte pour parler de nos sociétés actuelles. Par ces relations de subordonnés unilatérales, il parle de la verticalité de la politique, tel la République en marche du président Macron.

« Simirniakov, crois-tu vraiment à la théorie du ruissellement ? Que si le riche est encore plus riche, alors un peu de cette richesse finit toujours par arriver au pauvre ? Ainsi le riche peut rester riche et le pauvre continuer d’être pauvre. »

Cette satyre politique est surtout portée par les moujiks, ces paysans russes, serfs au service du seigneur. Pour contrer la richesse de Simirniakov, quoi de mieux que l’intelligence et le pragmatisme des petites gens. Le bon sens paysan l’emporte sur la richesse. Ils n’hésitent pas à se moquer de lui par des dialogues et des répliques drôles. Il y glisse aussi du burlesque par Vladimir le cheval parlant, tel Jiminy Cricket, Kolia un simplet qui vole ou des chansons des Beatles entonnées par Simir. Cette ambiance rappelle aussi celle décrite dans L’ogre amoureux de Nicolas Dumontheuil.

De la force du dessin en noir et blanc

Pour ajouter à cette farce, Vincent Vanoli utilise des récitatifs concernant. Ils interpellent directement Simirniakov pour le faire réagir et l’interroger sur ses actes. Cette distance apporte elle aussi un brin d’humour à l’histoire.

Quant au dessin, il nous charme. Comme dans ses ouvrages précédents, l’auteur livre de magnifiques planches en noir et blanc. Le blanc est lumineux et les hachures pour le bois et les rivières apportent de la chaleur au récit. Les costumes et décors – les isbas – sont beaux chez Vanoli. Les pleines pages fourmillent de détails et permettent aux personnages de déambuler comme ils l’entendent, à l’image de celles inventées par le talentueux Fred.  Les personnages arborent des gros nez tordus ce qui donnent aussi cette ambiance humoristique.

Simirniakov : fable drôle et tendre de Vincent Vanoli, un bel hommage aux écrivains russes.

Article posté le mercredi 01 mai 2019 par Damien Canteau

Simirniakov de Vincent Vanoli (L'Association)
  • Simirniakov
  • Auteur : Vincent Vanoli
  • Éditeur : L’Association, collection Eperluette
  • Prix : 18€
  • Parution : 08 mars 2019
  • ISBN : 9782844147400

Résumé de l’éditeur : Dans la Russie prérévolutionnaire de la fin du XIXè siècle, Simirniakov, fils, petit fils, arrière petit fils de propriétaire terrien, affronte, avec l’aide du fidèle Oboïevski, intendant et régisseur du domaine, la désobéissance narquoise et grandissante de ses serfs. La situation s’envenime quand Nounourskine, son fils, incendie une isba lors d’une nuit d’ivresse. Las des responsabilités engendrées par son statut de chef de famille et l’administration de sa propriété, il doute, fuit, aspire à la solitude et la tranquillité d’une vie simple. Après avoir déposé sa famille à St Petersbourg, il assiste, déguisé, à une réunion de moujiks révolutionnaires organisée par un syndicat dont il a lui-même encouragé la création. Démasqué, Simirniakov cède son domaine aux moujiks et s’exile volontairement dans la cabane de son enfance. Inquiet de sa disparition, Oboeïvski tente d’organiser une battue avec les moujiks, qui désormais affranchis, refusent. C’est seul lui aussi qu’il s’enfonce dans le terrible hiver russe. D’un fait historique, l’abolition du servage en Russie qui conduira à la révolution de 1917, Vanoli a conçu ce conte qui oscille entre drame et burlesque, politique et trivialité. On y croise des chansons des Beatles et des moujiks volants, un cheval qui parle, et la modernité en marche. Du très bon Vanoli, expressionniste et glacé.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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