Tananarive

Si on voulait trouver un lien qui aurait pu réunir le duo Vallée/Eacersall autour d’un projet de bande-dessinée, nous aurions spontanément imaginé à un bon polar noir agrémenté comme il se doit de grandes gueules. Il n’a qu’à se réimprégner du fabuleux et récemment primé GoST 111 scénarisé par Mark Eacersall et Henri Scala. Ou de la splendide série Il était une fois en France dessinée par Sylvain Vallée dont on ne compte plus les récompenses. Pour leur association inédite, les personnages au tempérament fort sont toujours présents. Mais dans Tananarive, même si l’histoire évolue sous forme d’enquête, elle est surtout un road trip teinté de tendresse, d’authenticité et de poésie.

RACONTE-MOI UNE HISTOIRE PAPY

« Raconte-moi l’histoire de l’opium ». Dès les premières lignes, dès la première planche, le décor est planté. Deux hommes à l’âge bien avancé sont assis face à face dans un salon désordonné où respirent les souvenirs de voyages exotiques à travers les statuettes et autres masques tribaux. Le barbu élancé bien en lumière dans son fauteuil c’est Joseph Seigneur. Le maître des lieux raconte – probablement pour la centième fois – à son ami et voisin, Amédée Petit-Jean, l’une de ses innombrables anecdotes de baroudeur.

On comprend instantanément ce que Jo représente pour son acolyte. La vie d’Amédée semble tellement monotone qu’il voue une admiration sans faille à son vieil ami. Ecouter les nombreuses péripéties à travers le monde de Jo devient presque une thérapie pour ce notaire retraité qui n’a pas quitté son département en trente ans. Et ce n’est pas Françoise, son épouse méfiante et pas du tout impressionnée par le passé tumultueux de Jo, qui freinera l’enthousiasme du sédentaire.

TANANARIVE, LA CAPITALE DES ARDENNES

Jusqu’à ce matin dramatique où tout va basculer. Quand Jo partira pour ce qui sera son dernier voyage. Celui où l’on ne revient pas. Un vrai coup de massue pour Amédée dont la morosité exacerbera sa nature hypocondriaque. Le temps aurait pu faire son œuvre si le Maire de la ville n’avait pas éveillé un doute dans l’esprit d’Amédée. Jo ne serait pas né à Tananarive comme il le clamait fièrement, mais bien en France. dans les Ardennes.

A ce moment précis commenceront les investigations d’Amédée. Officiellement, dans l’optique de s’occuper de la succession de son ami, mais véritablement pour découvrir l’autre facette de Joseph Seigneur. Équipé d’un poussiéreux album de Pinpin, de son vieil imper à la Columbo, de sa Triumph souffrante et de son mal de dos persistant, il sera temps pour Amédée d’aller vivre sa propre aventure. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle sera palpitante.

C’EST BEAU DE VIEILLIR

Quelle belle histoire imaginée par Mark Eacersall ! D’abord écrite pour un film qui n’a pas pu voir le jour, c’est le neuvième art qui a eu le chance de s’emparer de cette aventure drôle, au rythme effréné, portée par deux personnages au charisme incontestable. Le co-scénariste de GoST 111 nous offre un savoureux buddy movie en mettant un point d’orgue à mettre en lumière la vieillesse dans tout ce qui la définit. Du corps meurtri à une fougue retrouvée, de la nostalgie à la sagesse. Tous ces ingrédients s’inscrivent sur les visages et les mots de ces deux héros les rendant si attachants.

UN CASTING EN OR

Quand on devient vieux, nos traits physiques expriment toute notre vie passée. Il n’y a pas plus expressif que le visage d’une personne âgée. Comme à son habitude, Sylvain Vallée excelle dans cette intention de rendre « vivants » ses personnages. M. Jo (non, pas le célèbre ferrailleur) et Amédée sont détaillés sur tous les angles. Qu’ils soient tristes, énervés, étonnés, sceptiques, rêveurs ou joyeux, toutes leurs émotions sont fabuleusement inscrites dans leurs regards. Mais il serait réducteur de ne prêter attention qu’à nos deux héros tant il y a pléthore de rencontres à découvrir dans le périple du notaire. La liste est longue mais le dessinateur de Katanga donne à chacune d’entre elles une vraie présence qui sert au rythme de l’histoire (même si elle peut être brève comme ce petit garçon déguisé en pirate).

Tananarive est une superbe comédie dramatique. Grâce au talentueux binôme qui l’a créée et à la très belle colorisation de Delf, nous sommes nous aussi montés avec Amédée dans cet ascenseur émotionnel. Et de la même façon qu’il aimait réécouter les multiples péripéties de son ami Jo, nous relirons encore cette histoire comme si c’était la première fois.

Article posté le samedi 25 septembre 2021 par Mikey Martin

Tananarive (Glénat), le joli road-trip mélancolique de Vallée et Eacersall décrypté par Comixtrip, le site BD de référence
  • Tananarive
  • Scénario : Mark Eacersall
  • Dessins : Sylvain Vallée
  • Couleurs : Delf
  • Éditeur : Glénat
  • Prix : 19,50 €
  • Parution : 08 septembre 2021
  • ISBN : 978-2344038390

Résumé de l’éditeur : Au soir d’une vie rangée et précautionneuse, un notaire en retraite va partir à l’aventure pour la première fois de son existence. Petite aventure, mais véritable odyssée pour lui. Lancé aussi vite que ses vieux os le lui permettent sur les traces d’un hypothétique héritier, au volant d’un coupé qui n’avait jamais quitté le garage et accompagné d’un curieux passager, il va découvrir qu’il n’est jamais trop tard pour en apprendre sur les autres…
… et sur soi-même.

À propos de l'auteur de cet article

Mikey Martin

Mikey, dont les géniteurs ont tout de suite compris qu'il était sensé (!) a toujours été bercé par la bande dessinée. Passionné par le talent de ces scénaristes, dessinateur.ice.s ou coloristes, il n'a qu'une envie, vous parler de leurs créations. Et quand il a la chance de les rencontrer, il vous dit tout !

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