Lulu, garçon de huit ans, rêve d’embrasser Yoyo, son voisin de dix ans. Sous la chaleur de l’été 1997, Quentin Zuttion met en scène cette douce aspiration dans Toutes les princesses meurent après minuit, un huis-clos où la famille joue un rôle prépondérant. Impossibilité et volupté.
Lady Di, princesse des princesses
En ce 31 août 1997, toute la France est en émoi. Lady Di, ex-épouse du prince Charles de Grande-Bretagne, est tuée dans un accident de voiture, pont de l’Alma à Paris. Princesse des princesses, elle succombe à ses blessures après que le véhicule a percuté un pilier de l’édifice.
De princesses, il en est aussi question dans la famille de Lulu. La mère écoute la radio annonçant la triste nouvelle venant de la capitale, tandis que son fils, d’une main non-experte, porte à sa bouche un rouge à lèvres.
Camille, princesse fragile
Lulu glisse alors le tube dans sa poche et déjeune avec sa maman. Le garçon de huit ans se demande où est son père. Il n’est pas rentré de la nuit. Encore.
Lulu décide alors d’aller chercher sa sœur. Par le trou de la serrure, il découvre la jeune fille et un homme tout juste sorti de l’adolescence. Freed from Desire résonne dans la chambre.
Prince et princesse
Lulu est excité. Yoyo, son voisin, vient s’amuser avec lui aujourd’hui. Le petit garçon attend avec impatience son copain. Lui ce qu’il aime c’est jouer avec des poupées, au prince et à la princesse.
« Cet aprèm, y a Yoyo qui vient à la maison. C’est avec lui que je vais grandir. »
Le blondinet plus âgé de deux ans que Lulu a apporté un revolver à billes factice. Après avoir tiré sur Lulu, Yoyo lui demande de le viser…
Toutes les princesses meurent après minuit : amour ecnore et toujours
Lorsque Quentin Zuttion parle d’amour, le lecteur sait qu’il va basculer dans un récit où les sentiments amoureux sont cabossés, rarement linéaires et que parfois ils font mal. Auteur que Comixtrip suit depuis plusieurs années, il revient avec une autofiction, entre réel et fantasme.
S’il avoue avoir volé son premier baisé au vrai Yoyo dans la vie, l’auteur de La dame blanche a néanmoins apporté des éléments pour donner plus de chaire à son intrigue. Il décline alors l’amour sous toutes ses formes : maternel, fraternel, fantasme et premiers émois homosexuels.
Huis-clos de l’amour
Après nous avoir bouleversé avec Sous le lit, récit autobiographique autour de la peur du Sida, déstabilisé avec Appelez-moi Nathan, album sur la transidentité et ému avec Barbouillé, un livre jeunesse sur les violences intra-familiales sur les enfants, il revient avec Toutes les princesses meurent après minuit. Il sait y faire pour nous bousculer, Quentin Zuttion. Ses héros souffrent dans leur chaire, leur identité, vont à contre-courant des idées préconçues, juste pour être aimés.
« Parce que je veux qu’on aille mieux ! Ce sont des livres de soulagement. On a craché la merde mais on va essayer d’en faire un truc bien et dire que l’on est pas tout seul. », voilà ce que l’artiste nous avait confié lors d’une interview à Saint-Malo. Oui, ses personnages principaux en prennent plein la tête mais il y a du positif dans ses récits. C’est encore le cas dans Toutes les princesses meurent après minuit. La mère et la sœur de Lulu sont attentives et l’aiment. On apprécie la relation entre l’adolescente et le petit garçon de huit ans. Ils se chamaillent mais la première protège le second. Il y a un réconfort qui fait du bien. Pas de jugement, juste de l’amour filial.
Toutes les princesses meurent après minuit : violence interne
Tout n’est pas simple pour Lulu. Il aimerait que Yoyo soit son prince. Il y met les formes pour séduire son amoureux secret. Il porte un tee-shirt jaune sur la tête pour avoir les cheveux longs et blonds. Il lui parle indirectement en lui posant des questions. Il brûle de poser un bisou sur ses lèvres. Brûlure délicate au fond de son ventre pour lui avouer ses sentiments. Il veut grandir à ses côtés, avec lui.
Mais un petit garçon de huit ans n’est pas qu’amour. Il transpire en lui de la violence. Il noie ses Barbie, ses Ken, ses Ariel la petite sirène. Il met en scène ses propres difficultés pour s’exprimer, verbaliser à travers des histoires de princesses qui finissent mal. Être une princesse, ce n’est pas de tout repos, telle Lady Di rejetée par son ex-mari et harcelée nuit et jour par des photographes avides de paparazzades.
Toutes les princesses meurent après minuit : fin de l’innocence ?
Comme le petit théâtre de la vie (unité de lieu et unité de temps du théâtre classique), Quentin Zuttion met en scène des personnages absolument pas manichéens. Ils ont tous des failles. Comme dans la vraie vie, ils luttent contre, parfois n’y peuvent rien mais tentent d’avancer malgré les obstacles.
Dans cette histoire sur 24 heures, l’auteur de Chromatopsie déroule le fil ténu de cinq vies qui s’entrecroisent. Il décrit la fin de l’innocence. La fin d’un couple (mère et père), la fin d’une histoire d’amour forcée (Camille et son petit ami) et la fin d’un amour secret (Lulu). Mais la mère, Camille et Lulu sont au début d’une nouvelle histoire, plus belle et plus lumineuse. Ils s’acceptent tels qu’ils sont, avec leurs forces et leurs faiblesses.
Pastels incandescentes
Une touche de couleur rouge dans un short, la peau brûlée de Camille, le jaune de la chevelure tee-shirt ou le blanc immaculée d’une robe de mariée, tout est souligné avoir force dans les couleurs de Quentin Zuttion. Avec des pastels de craies grasses, il donne de l’intensité à son récit. Le ciel du jour est zébré de rose, bleu et jaune, tandis que celui de la nuit est d’un violet soutenu et le centre du soleil suffocant est blanc. On se perd dans le bleu des yeux de Yoyo et ceux de Lulu portent en eux le sourire et parfois la tristesse. Les traits de personnages sont simples et ultra-lisibles.
Toutes les princesses meurent après minuit : un très beau récit tout en nuance sur l’impossibilité d’aimer simplement.
- Toutes les princesses meurent après minuit
- Auteur : Quentin Zuttion
- Editeur : Le Lombard
- Parution : 26 août 2022
- Prix : 19,99 €
- ISBN : 9782808205801
Résumé de l’éditeur : 31 août 1997 au matin, dans un pavillon de banlieue, une mère de famille repasse le linge quand la télévision lui apprend la nouvelle : Lady Di est morte cette nuit. Au même moment dans la salle de bain, Lulu, son fils de 8 ans, se tartine la bouche de rouge à lèvre et s’imagine embrasser son petit voisin. De son côté, Cam, en pleine adolescence, cache son petit copain dans sa chambre sous le refrain de la musique du moment. Quant au père, il rentre seulement à la maison, lui n’a pas dormi ici. De l’éveil du désir aux passions fanées, le portrait amoureux de cette famille s’esquisse à travers cette journée ensoleillée qui va changer leur vie…
À propos de l'auteur de cet article
Damien Canteau
Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.
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