Un matin de ce printemps-là

Huit. Ils étaient huit hommes condamnés à mort par le régime autoritaire de Corée du Sud, le 9 avril 1975. Après le bouleversant Mémoires d’un frêne, Park Kun-woong poursuit son travail historique autour de l’Histoire de son pays avec Un matin de ce printemps-là, un manhwa poignant, un témoignage pour réhabiliter ces dix-huit innocents.

La Corée du Sud, un pays méconnu

De la Corée du Sud, les Français connaissent les Jeux olympiques de Séoul en 1992, ceux de PyeongChang en 2018 ou encore la firme Samsung. A part cela, très peu de choses. Ce pays asiatique est méconnu de nos compatriotes, contrairement à la Chine ou au Japon.

Parfois arrivent jusqu’à nous des manhwas – des mangas sud-coréens qui nous permettent de comprendre la Corée. C’est ainsi que les éditions Atrabile ont publié le merveilleux Parfum des hommes (autour d’un scandale sanitaire dans les usines Samsung) ou Rue de l’échiquier, Mémoires d’un frêne signé Park Kun-woong. Cet album mettait en lumière l’histoire sombre du Massacre de la Ligue Bodo en 1950.

Aujourd’hui, ce même mangaka revient sur un épisode tragique de l’histoire de la Corée du Sud : l’exécution de 18 hommes innocents par le régime autoritaire de Park Chung-hee. Un matin de ce printemps-là fait œuvre de mémoire; un manga d’utilité publique.

8 hommes, 8 exécutions, 8 innocents

Entre 1962 et 1975, le président Park Chung-hee impose un régime autoritaire dictatorial fort sur la Corée du Sud. Il voue une haine terrible aux communistes, notamment ceux de Corée du Nord. Quant à ceux qui seraient sur son territoire, il en fera la chasse.

C’est ainsi que les membres du Comité pour le rétablissement du Parti révolutionnaire populaire (parti créé en Corée du Nord) sont pourchassés.

Pour montrer sa force, faire peur à sa population et envoyer un message fort au régime de Pyongyang, le pouvoir central décide d’arrêter 8 hommes qui seraient communistes et agiraient comme espion pour le Nord.

En un jour, ils sont tous arrêtés chez eux ou sur leur lieu de travail, sont emprisonnés, font l’objet d’un procès fantoche et sont exécutés. Aucun ne comprend, leurs familles ne comprennent pas et l’on pend des innocents. Il faudra attendre 2002 pour qu’une commission d’enquête les réhabilitent en expliquant que cette affaire fut montée de toutes pièces par les services secrets.

Un matin de ce printemps-là, ils furent arrêtés

Dans Un matin de ce printemps-là, Park Kun-woong reprend ses habits de journaliste pour conter ces histoires d’homme exécutés pour rien.

Par de courts chapitres, le mangaka raconte les arrestations, l’emprisonnement et le procès de chacun d’eux. Pour donner du corps et de l’humanité à ces récits, il a décidé de donner la parole aux proches des victimes. Les femmes et les enfants donnent leur version des faits. C’est simple, c’est fort et c’est bouleversant.

Modus operandis identiques

Les histoires se ressemblent dans Un matin de ce printemps-là : les pères ou maris ne comprennent pas ce qui leur arrive, cela va très vite, ils sont jeté en prison, sont maltraités, subissent des sévices, mangent peu, ne peuvent pas recevoir de visite, ne peuvent pas recevoir de courrier, ne peuvent pas se défendre lors leur procès et sont tous pendus le 9 avril 1975. Tout cela en très peu de temps.

Les femmes et les enfants sont sidérés, ne peuvent avoir de relations même épistolaires avec leur père ou mari. En plus de perdre un être aimé, ils sont aussi rejetés par les autres enfants, les habitants de leur quartier et la société en général. Rien ne leur est épargné. Pire, leur deuil est confisqué.

Il faisait nuit quand nous sommes arrivés au crématorium de Byeokje et nous avons attendu encore longtemps. Ils nous ont emmené dans une chambre où reposait le corps de mon père qu’un linceul dissimulait entièrement à notre vue. Je me suis précipitée pour voir le visage de mon père. Mais un homme grand et costaud m’a retenue. Mais l’homme, en pleurs lui aussi, ne m’a pas lâchée. Ils se fichaient totalement de la morale et des liens familiaux, ce qu’ils voulaient c’était de nous empêcher jusqu’au bout de voir le corps supplicié de mon père. Ma mère a perdu connaissance plusieurs fois. Finalement, je n’ai même pas eu droit à une dernière image de mon père. (La fille de Song Sang-jin)

Un matin de ce printemps-là :  un manwha pour rendre justice

Le trait de Park Kun-woog est d’un noir profond, épais et hachuré. Plus surprenant, il ne dessine aucun visage, ceux des bourreaux, des juges comme des victimes ou des proches des victimes. Comme si, au fil des ans, l’Histoire s’était effacée, les femmes et les hommes aussi.

Un matin de ce printemps-là : un pan important de l’Histoire de la Corée du Sud, un drame incompréhensible, un manga pour rendre justice. Poignant !

Article posté le lundi 29 novembre 2021 par Damien Canteau

Un matin de ce printemps-là de Park Kun-woong (Rue de l'échiquier BD)
  • Un matin de ce printemps-là
  • Auteur : Park Kun-woong
  • Editeur : Rue de l’échiquier BD
  • Parution : 28 octobre 2021
  • Prix : 24.90€
  • ISBN : 9782374252957

Résumé de l’éditeur : Le 9 avril 1975, à l’aube, dix-huit heures après avoir été condamnés à mort, huit hommes sont exécutés dans la prison centrale de Séoul. Leur crime ? Être sympathisants communistes et avoir prétendument espionné pour le compte de la Corée du Nord, l’ennemi honni. Mais personne ou presque n’est dupe du simulacre de procès dont viennent d’être victimes ces huit innocents. Dans la Corée du Sud répressive et autoritaire du dictateur Park Chung-hee, alors que la contestation populaire gronde, ils ont été choisis au hasard, comme boucs émissaires, pour frapper les esprits. Faire peur. En 2002, une commission d’enquête menée par le tribunal de Séoul a conclu que cette affaire avait, en réalité, été montée de toutes pièces par les services secrets coréens.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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