Vingt décembre

Edmond est un génie ! Il a découvert comment féconder les fleurs de vanille. Mais voilà, ce jeune garçon de 12 ans est esclave. Appollo et Tehem relatent sa vie dans Vingt décembre. Une très bel angle pour évoquer l’abolition de l’esclavage sur l’Île de la Réunion au XIXe siècle.

De la fleur à la gousse

Île de la Réunion au XIXe siècle. Toute l’île bruisse de l’exploit d’Edmond. Ce jeune garçon de 12 ans a découvert le procédé de fécondation de la fleur de vanille.

“C’est simple. Il faut ouvrir la fleur pour dégager la corolle. On retrousse la corolle pour trouver le pistil. Avec l’aiguille, vous appuyez sur la languette qui est sous le pistil. Et vous refermez en appuyant bien pour faire toucher le pistil et l’étamine. Et voilà ! La vanille est féconde. Dans 6 jours, il y aura une gousse.”

Tous les propriétaires terriens veulent leur démonstration pour comprendre. Alors Edmond va de maison en maison pour expliquer. Mais ce garçon n’est pas un garçon comme les autres. Il est esclave chez les Bellier-Beaumont.

Un sort un peu plus enviable que les autres

Cette découverte est importante pour l’économie esclavagiste de l’île. Elle fait rapidement la fortune des propriétaires de plantations.

Edmond est un peu mieux traité que ses autres camarades esclaves. En ayant défini le processus, “il a droit à sa propre case.” Il faut souligner que s’il ne sait ni lire, ni écrire, le jeune homme connaît le nom latin de toutes les plantes de l’île. Il est brillant !

La fin de l’esclavage, un processus long et semé d’obstacles

Sur l’île de la Réunion, les rumeurs sont légion. Loin de là, en métropole, le gouvernement français décide d’abolir l’esclavage. Victor Schoelcher, alors sous-secrétaire d’État à la marine et aux colonies, porte ce texte d’une grande importance historique.

Le 27 avril 1848 est un jour nouveau pour les esclaves de toutes les colonies françaises. Ils sont libres.

Joseph Sarda-Garriga est alors nommé commissaire général de la République à la Réunion. Il a pour mission de mettre en application la loi de Victor Schoelcher. Il débarque le 14 octobre et décide que le 20 décembre entrerait en vigueur l’abolition de l’esclavage sur l’île.

Edmond et 62 000 de ses camarades esclaves deviennent alors de vrais citoyens français. Deux dessinateurs – Antoine Louis Roussin et Adolphe Martial Potémont – documentent alors cette période de bouleversements…

Vingt décembre, pour une histoire de la Réunion

Pour évoquer l’histoire méconnue du grand public d’Edmond Albius et de l’abolition de l’esclavage sur l’Île de la Réunion, qui de mieux que deux auteurs réunionnais. Deux auteurs – Appollo et Tehem – ayant déjà publié de très beaux albums sur leur île de cœur. Ensemble, Chroniques du léopard – autour de la résistance à la Réunion – et seul pour Tehem avec Piments zoizos autour des enfants réunionnais placés par la DDAS dans des familles de la Creuse.

Le duo relate leurs chroniques de l’abolition à travers les yeux de personnages réels ou fictifs. Edmond Albius, Antoine Louis Roussin et Adolphe Martial Potémont sont les témoins du délicat passage entre l’esclavagisme et la citoyenneté de tous. Sans oublier, Joseph Sarda-Garriga, artisan de la mise en place de la loi Schoelcher.

Vingt décembre, une date, un nom

Ainsi, Appollo se glisse dans les pas des historiens de l’île. Comme le souligne le scénariste de L’île Bourbon 1730, il existe peu d’œuvres de fiction sur l’esclavage et encore moins à La Réunion. Pour cela, Appollo s’appuie sur ces quatre personnages ayant bien existé.

“Albius est une figure populaire à La Réunion, mais sa vie est mal connue”, souligne-t-il. Edmond Albius apparaît sur les registres de recensement des esclaves en 1844. Il a alors 15 ans. Il appartient à la sœur de Bellier-Beaumont. Edmond est le découvreur du procédé de fécondation de la vanille. Il devient alors citoyen libre quatre ans plus tard. Les documents sur sa vie sont rares. Seule une gravure de Roussin dans Album de La Réunion existe. Edmond meurt en 1880. Il est baptisé par un “nom de liberté” Albius, sans doute par référence à la couleur blanche de la fleur de vanille. Il souhaite que lui soit accolé Vingt décembre comme patronyme. Un bel hommage à la date de l’abolition.

Roussin et Potémont comme témoins

“Roussin est une institution à La Réunion” confie Tehem. Antoine Louis Roussin est professeur de dessin. Il a 29 ans lors des événements relatés dans Vingt décembre. Peintre et lithographe, il dessine le seul portrait d’Edmond Albius dans Album de La Réunion. Avec Adolphe Martial Potémont, il crée La lanterne magique, une publication illustrée.

Potémont a 19 ans lorsqu’il arrive sur l’île. Peintre et graveur français, il a travaillé sur Souvenirs de l’île Bourbon.

Roussin et Potémont sont donc des témoins importants de la période de bascule entre l’esclavagisme et la liberté. Le duo crée ainsi La lanterne magique, ce que Tehem appelle la première bande dessinée réunionnaise.

De Aux Archives…

Tehem et Appollo se sont donc mués en historiens pour réaliser Vingt décembre. Pour donner corps à leur intrigue, ils ont bénéficié d’une résidence aux archives départementales de La Réunion pendant la période du Covid.

Ils ont ainsi pu donner plus de chair à leurs personnages réels et fictifs. Ils en ont d’ailleurs tiré un livre Aux archives édité par Centre du monde.

… A vingt décembre

A travers Vingt décembre, Appollo et Tehem voulaient répondre à leur questionnement : Que s’est-il passé le jour de l’abolition ? Comment ont réagi les esclaves, leurs propriétaires ? “Qu’est-ce que cela fait, dans la vie quotidienne, de passer du statut de “bien meuble” à celui d’individu libre ?”

Et l’on peut dire qu’ils ont bien atteint leur but. Leur album est passionnant et accrocheur. Il restitue bien l’atmosphère bouillonnante de la mise en œuvre de la loi de Schoelcher. En cela, Joseph Sarda-Garriga est une figure importante. Un homme politique ayant fait face aux résistances des propriétaires.

A l’image de L’île Bourbon 1730, Chroniques du léopard et Piments zoizos, Vingt décembre est une vision importante de l’Histoire de La Réunion. Ces trois albums sont un corpus essentiel pour comprendre les enjeux historiques de l’île. En espérant que Tehem et Appollo poursuivent, ensemble ou séparément, cette œuvre de transmission de la mémoire. C’est capital pour constituer les souvenirs historiques de l’Histoire de la France.

Article posté le dimanche 24 mars 2024 par Damien Canteau

Vingt décembre - chroniques de l'abolition d'Appollo et Tehem (éditions Dargaud)
  • Vingt décembre – Chroniques de l’abolition
  • Scénariste : Appollo
  • Dessinateur : Tehem
  • Éditeur : Dargaud
  • Prix : 21,50 €
  • Pagination : 160 pages
  • Parution : 05 janvier 2024
  • ISBN : 9782205200935

Résumé de l’éditeur : Edmond Albius est un jeune esclave génial : il a découvert le procédé de fécondation de la vanille, et son propriétaire exploite ce savoir-faire qui le rend riche sur l’île Bourbon. Mais voici que l’Histoire frémit en cette année 1848, on entend qu’en France, il y aurait une révolution, et sur l’île Maurice voisine, ils auraient libéré tous les noirs. Et si l’abolition de l’esclavage était sur le point d’arriver sur l’île de La Réunion ? Très documenté, ce récit romanesque relève à la fois de la chronique de l’époque (relaté du strict point de vue des esclaves et des affranchis) et de l’histoire d’amour, à un moment où l’histoire bascule.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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