Luz : « Je suis fier d’être un dessinateur de chiottes »

L’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo fête ses 1.000 numéros. Entretien avec Luz (Renald Luzier), l’un de ses dessinateurs, qui a passé toute sa jeunesse à Tours.

Pourquoi Charlie hebdo sort-il ce livre aujourd’hui?

On a oublié tous les moments historiques: les 10 ans, le 500e numéro… En voyant le numéro 1000 arriver, on s’est dit qu’il fallait tenir au moins jusque là, malgré la crise, malgré nos difficultées… Et que si on arrivait jusque là, on marquerait le coup! Avec le numéro 1000, on est devenu un journal à quatre chiffre, ce que la première version de Charlie Hebdo n’avait pas réussi à faire.

Le premier Charlie Hebdo, c’est la période 1969-1981. Vous êtes arrivé dans l’équipe lors de la relance du titre, en 1992…
Oui. C’est le moment ou j’ai décidé de monter à Paris. J’étais arrivé un peu avant dans l’équipe de La Grosse Bertha, qui était un peu le brouillon de Charlie Hebdo. Il y a eu une scission entre les gens qui voulaient faire un journal politique, et ceux qui voulaient faire un journal d’humour.  Moi, j’ai suivi Cavanna, Willem, Wolinski, Cabu, Val, ceux qui voulaient faire un journal politique. Mais je n’étais pas présent à la réunion ou cela s’est décidé. J’ai appris par la radio que je le journal dans lequel j’allais travailler allait s’appeller Charlie Hebdo. Je suis resté scotché: pour moi, Charlie Hebdo, ça faisait partie de l’histoire du dessin. C’était un journal qu’on ne trouvait que dans les brocantes. Et tout d’un coup, ils nous incombait d’être des dépoussiéreurs, de montrer que l’esprit Charlie subsistait, même à notre époque.

Comment avez-vous commencé dans le dessin?
Comme tous les dessinateurs, je me suis essayé à la BD. J’ai fait des petits fanzine à Tours, qui s’appelaient Hiroshima, Sans Interdits… J’avais envie de parler de choses sociales, de la vie en société. Après le Lycée, j’ai été en fac de Droit. Et la, je me suis retrouvé confronté à la politique. C’était un milieu très à droite, très politisé. Moi qui était plutôt à gauche, sans être vraiment engagé politiquement, je me suis retrouvé face à tous ces types qui avaient des opinions très tranchés. J’ai commencé à m’énerver sur eux, à les dessiner pour mes copains. Je faisais déjà cela au lycée, pour me moquer des profs. Sauf que là je me moquais des élèves. J’ai aussi commencé à lire les journaux, pour pouvoir contre-argumenter les gens de droite que j’avais en face de moi. Et quand la Grosse Bertha est apparue dans les kiosques, je me suis dis «C’est pour moi, il faut absolument que je les rencontre». Je suis monté à Paris, pour comprendre comment ça marchait. J’ai été très bien accueilli par l’équipe. J’y suis retourné régulièrement. Je louais des hôtels de passe pas loin du journal, à 50 francs la nuit, puis je revenais à Tours avec des étoiles plein la tête. Et je leur envoyais des dessins par fax chaque semaine. Parfois, certains étaient publiés. Et puis, fin 91, il a fallu que je fasse des choix dans ma vie. Soit je continuais dans le dessin, soit je continuais les études. J’ai eu une grosse crise d’angoisse pendant une semaine. Et c’est cette semaine-là que la Grosse Bertha a publié neuf de mes dessins.

Aujourd’hui, quand vous regardez les 1000 Unes, ça vous fait quoi?
C’est 20 ans de travail, 20 ans de travail d’équipe surtout. On retrouve des dessins de gens que j’aimais beaucoup, qui ont disparu. Et je vois mon parcours graphique, aussi. ces 20 ans, c’est toute ma vie d’auteur.
Ce qui est marrant, aussi, c’est que je redécouvre les dessins qu’on a fait, que je redécouvre l’actualité qui nous a engloutie pendant des années, qui nous a aussi parfois fortement angoissée, notamment les périodes ou le Front National était très importants. On redécouvre des choses qui nous ont faconné, qui ont faconné notre vision politique. Ca m’a pas mal touché.

Dans ce livre, on a 20 ans d’histoire de France. Charlie Hebdo a eu un impact, sur ces 20 années?
C’est vrai, c’est un manuel d’histoire contemporaine. On traverse l’histoire de France, la guerre du Kosovo, les différentes guerres de golf, et parfois des couvertures un peu bizarre, un peu incompréhensibles aujourd’hui, sur les guerres politiques intestines. Il y a aussi des Unes dont on se souvient très bien. Je me souviens de celle contre les lois Debré sur les étrangers, qui a été une de mes premières grande fierté, parce qu’elle s’est propagée dans les manifs. Là, j’ai vu que le travail qu’on faisait servait à quelque chose. Je me suis vu comme un écrivain public: on propose des dessins, les gens se servent dans ces dessins pour exprimer leurs opinions. Je trouvais ça assez beau, ce côté dessinateur public. Au fil du temps, on a aussi accompagné certaines luttes, qu’on retrouve sur ces couvertures.

Le dessin de presse a évolué, en 20 ans? Est-il toujours aussi libre?
Côté liberté, on a jamais été trop emmerdé. Il y a une chose qui a changé, de notre côté: on avait beaucoup de procès, souvent dus à l’extrême droite catholique. Aujourd’hui, on est moins attaqués à ce niveau là. Il y a eu juste la grosse histoire des caricatures de Mahomet qui nous a mis sous les feux de l’actualité, et qui a éclairé l’ensemble du travail des dessinateurs de presse d’une manière surprenante: d’un coup, les dessinateurs pouvaient être soit des dangereux terroristes, soit des chevaliers blanc de la démocratie et de la liberté d’expression. Ce qui est aussi absurde d’un côté que de l’autre. Nous, depuis des années, on est contre les religieux de tout poil. On n’a jamais baissé les bras, on a toujours été assez virulent.
Mais je pense qu’on a toujours la même liberté de ton. La seule chose qui change, c’est qu’il y a de moins en moins de dessins de presse dans les journaux, et de moins en moins de journaux tout court. La presse se retouve sur le web. Mais est ce qu’il y aura des dessins sur internet payés? Ce n’est pas sûr. Des dessinateurs de presse se retrouvent sur internet, mais ils ne sont pas payé. Du coup, ils sont moins impliqué dans le journal, dans l’idée d’être dans un journal, de participer à la rédaction, d’être un acteur à part entière de l’organe de presse. C’est ça qui disparaît un peu: le dessinateur est de moins en moins l’un des acteurs des polémiques de presse. C’est peut-être inévitable. La presse papier est en voie de dinosaurisation. J’espère qu’il y aura un livre pour la 2000e couverture de Charlie Hebdo. Mais est-ce que dans 20 ans, il y aura toujours des journaux papiers? Ce n’est pas sûr. Ca sera sur internet, ça sera différent… Mais en tout cas, l’envie de faire chier le pouvoir avec quelques traits de crayons existera toujours.

Par rapport aux autres médias, le dessin permet de faire passer des différemment?

Bien sûr. C’est un regard en biais. Et en même temps, un dessin est quelque chose qu’on conserve. Souvent, on le conserve dans les chiottes, d’ailleurs. Nous sommes les derniers auteurs qui font rire avec la politique et qui restent dans les chiottes. Hors, de tout temps, quoi qu’il arrive, l’homme devra aller dans les chiottes. Le jour ou il y aura internet et la télévision dans les chiottes, peut être que l’on sera dépassé. Mais pour l’instant, on a un pouvoir sur les autres médias. Je revendique d’être un dessinateur de chiottes, et j’en suis très fier.

La recette du dessin de presse qui marche, c’est quoi?
Il n’y a pas de recette. Un bon dessin d’abord, une bonne idée ensuite, peut-être. Il ne faut jamais oublier qu’on est d’abord dessinateur. Un bon dessin, c’est quelque chose qui ne peut pas se raconter, qui ne peut être que vu. Et une bonne caricature politique, c’est une caricature qui montre quelqu’un qui est très proche de nous. Notre boulot, c’est de faire un travail de sape par rapport aux conseillers en communication. Les  politiques travaillent leur image de manière incroyable. Notre boulot, c’est de bousiller leur image, de mettre les rois à nus, politiquement à poil. De démaquiller ces gens qui ont été repeints par la communication.

Malgré les changements de personnes au fil des ans, l’esprit Charlie Hebdo subsiste?

Il n’ y a pas vraiment de nouvelle équipe. Il y a juste un type qui est passé de l’autre côté de la barrière, de l’autre côté de la force. Mais finalement, Val était un bon rédacteur en chef, parce que c’était un très mauvais rédacteur en chef: il n’était jamais là, il adorait passer à la télévision, il nous foutait une paix royale. Maintenant qu’il est à France Inter, il parait qu’il bosse, c’est nouveau pour lui. Mais nous, on a toujours géré le journal entre nous. Il n’y a pas eu de véritable changement. A part l’affaire Siné, aussi, qui a fait que certains lecteurs se sont sentis obligé de choisir leur camp, alors que je pense que satiriquement il n’y avait pas vraiment de camp à choisir. Et économiquement, je pense que ce n’est pas possible de payer deux journaux chaque semaine, donc je pense qu’on a perdu des lecteurs à cause de ça. Après, on a déménagé la semaine dernière. Maintenant on est dans de nouveaux locaux, dans un quartier plus populaire, on revient avec de la crasse sous les pompes, et c’est pas plus mal. Moi, ça me rapproche de chez moi. et comme c’est un quartier ou il y a assez peu de distraction autour, on est vraiment obligé de bosser !

Il y a régulièrement des petits journaux satiriques qui essaient de se lancer en France. Pourquoi? C’est propre à notre pays?
C’est propre à la France, et c’est grâce à l’organisation juridique: en France, quand un journal écrit une connerie, c’est le journal qui est responsable, et pas le distributeur. Ailleurs, c’est le distributeur qui va être attaqué le premier. Du coup, il y a souvent une espèce de censure en amont. Par exemple, le distributeur belge n’avait pas voulu distribuer le numéro avec la couverture qui disait « Le roi des cons est mort ».
Mais la vraie raison, c’est que la chose publique est quelque chose qui intéresse les français. Même si on a une vie politique assez fade, le fait d’en parler, de se confronter sur des idées politique, c’est très français. Dans les années 30, il y avait des journaux politiques qui se bagarraient par les dessins, entre extrême droite et extrême gauche. Aujourd’hui, il n’y a plus vraiment de journaux de droite avec des dessinateurs. Mais Charlie Hebdo a toujours été un étalon des gueulards éclairés. Ce n’est pas un journal de ronchons, ou de la provocation gratuite. Ca reste un journal qui a une vocation politique très forte. C’est l’un des derniers feux qui fait bouillir la marmite politique. Evidemment, c’est vraiment important qu’il y ait d’autre journaux, c’est pas plus mal que l’on ait de la concurrence, parce que ça nous pousse au cul, ça nous oblige à nous remettre en cause, et bienvenu à tous ceux qui tiennent le coup. S’il y a d’autres journaux qui viennent nous aider à mordre les couilles de Sarkozy, ils sont les bienvenus.

Article posté le lundi 17 octobre 2011 par Thierry Soulard

Biographie

Luz est né en 1972 à Joué-les-Tours. « J’ai fait toutes les périodes difficiles à Tours : l’enfance, l’adolescence… C’est pour ça que dès que j’ai eu l’occasion, je me suis barré ! », explique t-il. Il commence à faire des caricatures de ses profs au Collège Corneille et au lycée Balzac. À 19 ans, ses dessins sont publiés dans La Grosse Bertha. « En 1992, il y a eu une scission entre les gens qui voulaient faire un journal politique, et ceux qui voulaient faire un journal d’humour. Moi, j’ai suivi ceux qui voulaient faire un journal politique. » Charlie Hebdo, titre mythique de la décennie 70, renaît.

À propos de l'auteur de cet article

Thierry Soulard

Thierry Soulard est journaliste indépendant, et passionné par les relations entre l'art et les nouvelles technologies. Il a travaillé notamment pour Ouest-France et pour La Nouvelle République du Centre-Ouest, et à vécu en Chine et en Malaisie. De temps en temps il écrit aussi des fictions (et il arrive même qu'elles soient publiés dans Lanfeust Mag, ou dans des anthologies comme "Tombé les voiles", éditions Le Grimoire).

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