La Fanzinothèque : lieu unique, lieu magique

Après Monthoiron et Angoulême, Comixtrip poursuit son été culturel. Haut lieu de la culture alternative poitevine et française, Le confort moderne accueille en son sein la Fanzinothèque. Avec plus de 50 000 documents archivés, conservés et mis en lumière, ce endroit est unique en Europe. Visite de ce bel endroit entre musique et bande dessinée.

Le confort moderne : 30 ans de culture alternative

En 1977 est fondée l’association à but non-lucratif L’oreille hardie, qui crée huit ans plus tard Le confort moderne. Ce lieu important de la contre-culture poitevine ouvre ses portes en 1989, rue du Faubourg du Pont-Neuf. Dans ce grand ensemble sont réunis des salles de concert et des lieux d’exposition.

En 30 ans de nombreux artistes nationaux et internationaux ont donné des concerts dans ses locaux  : des Ogres de Barback aux Garçons Bouchers, en passant par Youssoupha, Zebda, Blonde Redhead, Primus, Gojira, Jay-Jay Johnson, les Wampas ou Mickey 3D. En cette fin d’année, Hollysiz, Ultra Vomi et Jeanne Added y poseront leurs instruments pour de bons moments en perspective.

Si la programmation et l’organisation au quotidien sont gérées par L’oreille hardie, les locaux appartiennent à la ville de Poitiers. Si le Confort moderne doit sa renommée à ses concerts (4 à 5 par semaine), il accueille aussi en son sein des lieux d’exposition dédiés à l’art contemporain, un restaurant, des appartements pour les résidences d’artiste, des salles de répétitions mais aussi Transat le disquaire et surtout la Fanzinothèque.

La fanzinothèque : lieu unique en Europe

Après la fin des travaux de rénovation du Confort moderne en 2017, tout ce petit monde a retrouvé les lieux historiques. Les locaux ont été mis au norme, entièrement repensés pour plus d’efficacité et surtout plus grands. Ainsi après un passage Grand rue à Poitiers, la Fanzinothèque a découvert des lieux réaménagés et plus fonctionnels faisant face au Confort moderne. Une grande cour protégée par un préau permet d’aller et venir entre les deux lieux les plus importants du Confort.

Pour nous guider dans la Fanzinothèque, le tour du propriétaire est effectué par Marie Bourgoin, la documentaliste. Si elle a fait partie dès le début de l’aventure il y a 30 ans, de bénévole, elle est devenue permanente. La ville de Poitiers et l’Etat financent en grande partie le Confort moderne. Ainsi pour la Fanzinothèque, quatre salariés plus un emploi aidé sont pris en charge par la ville. La professionnalisation des emplois a mis du temps mais aujourd’hui cela en fait un lieu unique. Aucune autre fanzinothèque en France bénéficie de ce confort de travail.

Si Marie et ses collègues ont découvert il y a peu qu’il existait une fanzinothèque amateur en 1974 à Poitiers, il faudra attendre la création de l’Oreille hardie pour que le lieu se pérennise.

En France, des bénévoles font vivre quelques lieux autour du fanzinat : à Paris, à Toulouse depuis 1995 (les Musicophages) ou Disparate à Bordeaux (librairie associative qui gère le Zinefest qui se déroule début juillet). En dehors de nos frontières, La petite fanzinothèque belge met en avant les productions sur internet et gère un espace à Saint-Josse (10 000 documents). Avec 50 000 documents, l’on peut donc dire que la Fanzinothèque de Poitiers est la seule ayant cette importance en Europe.

Conserver et faire la promotion des fanzines

Le but de la Fanzinothèque, comme le souligne Marie Bourgoin, est de conserver et de faire la promotion des fanzines et de la culture qui en découle.

Le mot fanzine est une contraction des substantifs fan et magazine. Ils sont intimement liés au développement des contre-cultures à partir des années 70, notamment des musiques alternatives (punk, rock, hard rock…) mais aussi de l’essor de la bande dessinée. Ainsi de nombreux fanzines allient les deux : BD et Musique.

« Les fanzines peuvent être définis comme des publications amateurs, non officielles et non commerciales qui ont une conscience politique et peuvent constituer un réseau de communication important pour les cultures alternatives.  » (Teal Triggs – Fanzines, la révolution du DIY)

En effet, il n’est pas compliqué de se lancer dans le fanzinat : des feuilles, des crayons, de l’imagination et un bon photocopieur. A faible tirage et fait de manière artisanale, c’est avant tout gratifiant de pouvoir parler de ce que l’on aime dans sa vie, ses passions. En choisissant ce médium, il est aussi facile de diffuser des idées politiques que l’on veut promouvoir (l’écologie, la radicalité de l’extrême gauche…).

En voulant conserver ces fanzines, on conserve aussi ces idées, cette culture qui n’est pas mainstream (grand public). Ce devoir de mémoire est donc très important et les salariés de la Fanzinothèque y veillent.

Les fanzines BD conservés

Avec des étalages plus importants depuis la réhabilitation, la Fanzinothèque peut dévoiler ses trésors aux usagers. Moyennant un adhésion de 10€ par an (qui donne aussi des avantages dans tout le Confort moderne), ils peuvent lire, consulter et emprunter des fanzines (jusqu’à trois documents par mois). Comme pour une bibliothèque classique, on peut venir juste lire sans être adhérent.

La somme importante de documents plus ou moins rares permet aussi à des étudiants ou des chercheurs de profiter de la consultation mais aussi de l’expertise de Marie Bourgoin notamment. Ainsi, avec les « 40 ans » de la musique alternative, des chercheurs se sont rendus à la Fanzinothèque. En ce qui concerne la bande dessinée, des thèses ont été soutenues depuis peu sur de nombreux sujets liés au fanzinat.

Des Etats-Unis à l’Europe

Classés par ordre alphabétique et par grandes zones géographiques, les fanzines sont ainsi exposés sur les étagères bois, souvent protégés par des plastiques. Les USA-Canada sont ainsi un grand fond pour la Fanzinothèque : RAW de Art Spiegelman et Françoise Mouly mais aussi les fanzines de Rotringo ou de Siris (tous deux amis et qui nous en avait parlé lors de notre entretien). Viennent ensuite l’Afrique (il y en a peu à cause des contraintes techniques : papier ou photocopieur), l’Asie, l’Amérique du Sud, l’Europe du Nord ou encore la Belgique, pays de la bande dessinée.

Bien sûr, les fanzines les plus nombreux sur les rayonnages sont ceux édités en France. Des plus modestes aux plus élaborés, il y en a pour tout les goûts. Ainsi, Coq Hardi, qui existe depuis 1982 est encore publié de nos jours, y trouve une place de choix. Marie Bourgoin fait un focus sur ces coups de cœur ou ceux qui ont une valeur historique : Chacal puant, Sapristi, Hop !, Flag ou Abus dangereux.

Le fond est essentiellement constitué de dons de particuliers, souhaitant faire de la place ou sachant très bien qu’ils seront conservés méticuleusement. Chaque titre est lu puis dépouillé pour rédiger une fiche (le donateur, le titre, la date, les articles, les auteurs…). Chaque mois, la Fanzinothèque reçoit une centaine de nouveaux documents. Parfois, elle achète des lots mais cela reste rare.

Si les fanzines sont les plus nombreux, la Fanzinothèque conserve aussi des publications de micro-éditeurs. Des petites structures que Comixtrip connait bien pour régulièrement chroniquer leurs ouvrages : Atrabile, Flblb, Le lézard noir ou L’employé du moi, entre autres.

Des activités annexes

La Fanzinothèque n’est pas qu’un lieu de consultation et d’emprunt, elle développe d’autres activités annexes.

  • Tout d’abord, un catalogue en ligne de 3 000 fanzines est consultable à distance (https://fanzinotheque.centredoc.fr/). En partenariat avec la Maison des Sciences de l’homme et de la société, unité de l’université de Poitiers, chaque mois, sont numérisés entre 50 et 60 documents. Parmi eux, des très rares, des fragiles et ceux qui ont une valeur historique forte.
  • Le labo : l’atelier d’impression qui permet d’imprimer différents objets, soient des commandes, soient des co-productions avec des artistes (sérigraphie, affiches, flyer…). Ce lieu peut recevoir du public pour des ateliers ou être loué.
  • Un espace dédié à la vente où les visiteurs peuvent acheter les productions de la Fanzinothèque : fanzines et objets micro-édités
  • Des expositions à venir visiter ou à louer. Ainsi deux sont l’œuvre du Ruppert & Mulot (auteurs de bandes dessinées : Olympia et Les week-ends de Ruppert & Mulot) dont la Fanzinothèque gère la régie.
  • Des ateliers de création : de la production collective et participative d’objets micro-édités en sérigraphie, en impression riso ou en numérique, animés par Anne Hubert, sérigraphe.
  • Des interventions en milieu scolaire avec les écoles des quartiers de Poitiers notamment.
  • Des rencontres et discussions : autour de différents thèmes liés aux fanzines.
  • Un fanzinobus : un ancien bibliobus a entièrement été réaménagé pour accueillir du public loin de la Fanzinothèque.

Alors que vont bientôt s’ouvrir les festivités des 30 ans du Confort moderne et de la Fanzinothèque, l’an prochain, si vous voulez découvrir ce lieu unique en Europe, venir discuter avec une équipe sympathique autour de Virginie Lyobard la directrice, consulter et faire des recherches autour des fanzines, ce lieu est fait pour vous ! Si vous souhaiter faire des dons, n’hésitez pas non plus, ils seront chouchoutés !

Article posté le vendredi 31 août 2018 par Damien Canteau

Renseignements complémentaires

La Fanzinothèque

  • 185 rue du Faubourg du Pont Neuf, à Poitiers
  • téléphone : 05 16 34 53 44
  • e-mail : fanzino(at)fanzino(point)org

 

  • Ouverture : de 12h à 18h du lundi au vendredi et lors de certains évènements organisés au Confort Moderne
  • le site : la fanzino

 

Adhésion : 10€ par an, cela permet :

  • d’emprunter des fanzines (3 micro-éditions durant 3 semaines)
  • de recevoir sur demande des numérisations d’ouvrages
  • de passer commande de multiples sérigraphiés (affiches, totebags, pochettes de vynils…), de badges et bientôt d’impressions riso
  • de diffuser vos éditions à travers l’espace librairie de l’association

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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