C’est un grand bouleversement dans le monde de la bande dessinée, Raoul Cauvin est décédé à l’âge de 82 ans, ont annoncé les éditions Dupuis . Scénariste prolifique de plusieurs dizaines de séries (Les tuniques bleues, Cédric, Les femmes en blanc, Pierre Tombal…), il était l’un de piliers du journal de Spirou. Son décès marque l’ensemble du 9e art. Retour sur la carrière de ce génial auteur.
Raoul Cauvin, la perte d’un immense scénariste
Comme il l’avait annoncé sur son blog le samedi 8 mai 2021, Raoul Cauvin savait qu’il ne lui restait que très peu de temps à vivre d’après son oncologue.
« Encore quelques mois à vivre avant d’aller, là-haut, rejoindre tous ceux qui m’ont précédé. Fallait bien que ça m’arrive un jour. »
Atteint d’une maladie grave, l’auteur belge ne voulait pourtant pas attrister ses lecteurs et admirateurs, lui qui passa l’ensemble de sa carrière à faire rire son lectorat. Il voulait juste ne pas « partir cash, créer la surprise… [Il a] préféré prendre un peu de temps pour [nous] avertir. » Fêtons avec joie sa longue et riche carrière, faite de succès, de best-sellers depuis plus de 50 ans.
Entrer chez Dupuis comme on entre en religion
Avant de connaître le bonheur de la publication dans Spirou ou de voir ses histoires éditées en album, Raoul Cauvin étudie la lithographie publicitaire à l’Institut Saint-Luc à Tournai puis occupe divers petits métiers dont celui d’ouvrier dans une usine de boules de billard.
Né le 26 septembre 1938 à Antoing, ce belge apprécie déjà la bande dessinée depuis tout petit. Trésor culturel national, il ne pense pourtant pas mettre les pieds dans cet univers de dessins. Il est embauché par les éditions Dupuis dans les années 1960, tout d’abord comme dessinateur de mots croisés puis comme lettreur. Il tente alors de placer des scénarios pour le journal Spirou mais tous sont refusés jusqu’en 1964.
Faire sa place pas à pas
Pourtant en entrant chez Dupuis, il ne savait pas qu’il allait devenir le scénariste « maison », celui qui ferait le bonheur des lecteurs du journal. Mieux, il en sera la pierre angulaire, le pilier de la fondation.
Dès 1964, Raoul Cauvin parvient à placer quelques histoires et autres mini-récits sans pour l’instant se garantir une série au long cours. Serge Gennaux, Charles Degotte et Eddy Ryssack seront donc ses premiers dessinateurs.
C’est la série Les naufragés avec la talentueuse Claire Bretécher qui le fait connaître auprès du public et des critiques. Hélas, elle s’arrête rapidement. Le succès d’estime est là, le succès éditorial arrive alors grâce à son western, Les tuniques bleues.
Les tuniques blues, premier succès qui en appelle d’autres
La carrière de Raoul Cauvin décolle par l’entremise de Blutch et Chesterfield, les deux héros des Tuniques bleues, dans un premier temps dessinés par Louis Salvérius (les trois premiers tomes de 1972 à 1973). La partie graphique est reprise par Willy Lambil à la mort de Salvérius. Il prend sa suite après les six premières planches de Outlaw.
La complicité de Cauvin et Lambil est grande. Ensemble, ils réalisent 61 albums des Tuniques bleues. Des millions d’albums sont vendus. C’est un vrai plébiscite dans Spirou comme dans le commerce. En plus des aventures humoristico-historiques des deux officiers pendant la Guerre de sécession, ils créèrent Pauvre Lampil, une série de sept albums autour de leurs avatars dessinateur/scénariste.
Une ribambelle de héros de papier
Cet immense succès en appelle d’autres. Raoul Cauvin est quasiment dans toutes les pages du journal de Spirou. Ses séries se multiplient avec plus ou moins de réussite. Néanmoins, les lecteurs lui sont fidèles.
Les années 1970 le lancent, la décennie suivante le conforte et celle d’après le porte au zénith du scénario. Viennent ainsi Sammy avec Berck, L’agent 212 avec Daniel Kox, Godaille et Godasse avec Sandron ou encore Boulouloum et Guiliguili avec Luc Mazel.
Les femmes en blanc, Pierre Tombal et Cédric
Les années 1980 s’avancent avec de nouvelles séries de Raoul Cauvin : Les femmes en blanc avec Philippe Bercovici, Pierre Tombal avec Marc Hardy, Cédric avec Laudec ou Cupidon avec Malik.
Les succès continuent pour le scénariste qui s’engage dans les années 1990 dans Les psy avec Bédu, Taxi Girl avec Laudec, Les paparazzi avec Mazel ou CRS = Détresse avec Achdé et Erroc.
Raoul Cauvin à la retraite ?
En 2002, ces albums atteignent 40 millions de ventes et quatre ans plus tard, le chiffre vertigineux de 45 millions. Pas de quoi freiner l’ardeur de Raoul Cauvin. Ses séries sont toujours autant populaires auprès du public.
Son génie se voit encore sur Coup de foudre, les formidables albums avec David de Thuin. Néanmoins, la fraîcheur, l’envie ou la connexion avec notre époque s’effilochent au fil des années. Les albums de ses séries à succès sont moins bons.
Petit à petit, Raoul Cauvin en abandonne quelques-unes. Ainsi, Pierre Tombal s’achève en 2016, Les psy en 2019. Faute de ventes probantes, la même année, Les femmes en blanc s’arrête aussi.
Enfin, la série phare Les tuniques bleues voit arriver un nouveau duo d’auteurs sur le n°65 : L’envoyé spécial (Beka et Munuera) et même un nouveau scénariste, Kris, pour l’après Cauvin.
Raoul Cauvin : Scénariste révolutionnaire ?
La patte de Raoul Cauvin est visible dans toutes ses séries. Sans jamais avoir vraiment été honoré pour son immense carrière par ses pairs, la critique ou les journalistes (Prix du scénariste étranger à Angoulême en 1976, Grand Prix Saint-Michel en 2008), il n’y courrait pas après. Son succès en librairie fit de lui un auteur heureux. Le reste… On ne sait pas vraiment.
« J’écrivais des séries commerciales sans grande envergure mais bien faites. (…) Difficile de se remettre en question quand tout marche bien » (in Cauvin, 1985)
Reste que le Belge a révolutionné le scénario comme René Goscinny avant lui. Certes classiques, ses histoires avaient le mérite de mettre en lumière des personnes jusqu’ici dans l’ombre, voire des thématiques fortes (la maladie ou la mort). Du duo de soldats américains au petit garçon espiègle, d’un humour noir de Pierre Tombal à celui tout public de Câline et Calebasse, il marquera le monde du 9e art à tout jamais.
Raoul Cauvin aura marqué durablement le monde de la bande dessinée. Ses nombreuses séries auront bercé plusieurs générations. Nous les relirons avec bonheur pour garder en mémoire ces milliers de pages, ces heures de lecture et ces histoires aux personnages si attachants.
Les albums marquants de Raoul Cauvin
Parmi les nombreux albums marquants de Raoul Cauvin, nous vous en avons sélectionné quelques-uns. Une liste qui prête à débat. Au-delà des premiers albums de chaque série, souvent excellents. Une bonne manière d’aborder la carrière du scénariste. Voici notre sélection :
- Les naufragés, avec Claire Bretécher
- Le vieux bleu, avec François Walthéry
- L’homme aux phylactères, avec Serge Gennaux
- Les grandes amours contrariées, avec Philippe Bercovici
- Sammy : Les gorilles à Hollywood, Ma Attaway, L’alcool aux pruneaux, Les gorilles font les fous, avec Berck
- Les tuniques bleues : Outlaw, La prison de Robertsonville, Les déserteurs, Le David, La rose de Bantry, Black Face, avec Salvérius et Lambil
- Coup de foudre, avec David de Thuin