Oxymore : interview d’Édith

À l’occasion de cette 42e édition du festival Quai des Bulles à Saint Malo, la rédaction de Comixtrip a rencontré l’équipe artistique d’Oxymore, dont les collections Métamorphose et Noctambule sont dirigées par Barbara Canepa et Clotilde Vu.

La parfaite occasion pour découvrir en direct le catalogue et redécouvrir les auteurs de cette nouvelle maison d’édition. Après Bastien Quignon, Séverine Gauthier et Jérémie Almanza, puis Clément Lefèvre, cette quatrième interview nous a permis d’aller à la rencontre d’Édith, la scénariste et dessinatrice de  « Moi, Edin Björnsson ».

Moi, Edin Björnsson d'Edith chez Oxymore collection Noctambule

Pouvez-vous nous expliquer comment on passe de Séraphine et la Commune de Paris à Moi, Edin Björnsson, le 18e siècle et la Suède ?

J’ai commencé ce projet avant Séraphine mais je n’étais pas allée jusqu’au bout. J’en avais fait une très grosse partie puis est arrivé le COVID. Mon éditeur n’a pas voulu le sortir comme prévu en novembre 2020. En novembre 2021, j’ai eu une proposition de Rue de Sèvres qui m’a beaucoup plu pour adapter Séraphine de Marie Desplechin. J’ai accepté et commencé à travailler sur ce projet.

En réalité, la plus grande partie de Moi, Edin Björnsson a été dessinée avant Séraphine. Pour ce dernier, je ne sais pas ce qui m’a pris, mais j’ai eu envie de faire un album uniquement à l’ordinateur, dessin, couleur. C’est donc ainsi que j’ai dessiné Séraphine, qui ciblait plutôt les ados. C’était peut-être le bon moment pour tester une autre technique, le numérique.

Séraphine de Marie Deplechin et Édith chez Rue de Sèvres

Donc après la sortie de Séraphine, vous vous êtes donc remise au travail sur le projet Moi, Edin Björnsson.

J’ai terminé Moi, Edin Björnsson puisqu’on m’a dit qu’il sortirait à l’automne 2023. Je pensais mettre deux mois pour le terminer. Mais quand on reprend des planches trois ans après, on trouve que c’est mal dessiné. Alors, il faut absolument s’empêcher de refaire tout l’album. Il y a quand même quelques points qui pêchaient et ce n’était pas seulement de l’esthétique. Donc, j’ai changé des cases. Ça m’a pris un peu plus de temps pour le finir mais ce n’est pas grave.

Est-ce compliqué de changer de technique quand on est dessinatrice ?

Je m’ennuie très vite quand je répète les choses. Donc à chaque fois, j’emploie une nouvelle technique pour un nouveau public et un nouveau récit. J’aime me surprendre moi, c’est le plus important.

Comment vous est venue l’idée incroyable de Moi, Edin Björnsson ?

Je suis allée voir une magnétiseuse pour calmer mes migraines après avoir essayé plein d’autres traitements. Pour moi, tout était bon pour essayer de traiter ce problème. Mais avant de partir, cette femme m’a proposé de connaître mon animal totem. Avec son pendule, au-dessus d’une feuille que je n’ai pas bien vue, elle m’a dit que c’était l’ours.

Moi, Edin Björnsson d'Edith chez Oxymore collection Noctambule

Puis, elle m’a demandé si je voulais connaître ma vie antérieure. Je lui ai dit que oui, tout en lui précisant que je ne croyais pas aux vies antérieures, mais que je n’avais pas d’opinion là-dessus. Je suis dans la catégorie je ne sais pas, mais j’étais trop curieuse d’entendre ce qu’elle allait me raconter.

“Vous étiez un homme pêcheur suédois au dix-huitième siècle, vous aimiez les femmes, vous êtes mort assassiné de mort violente, par un mari jaloux.”

Comment fait-on pour transformer les dires d’une magnétiseuse en scénario ?

Même si je ne crois pas aux vies antérieures, je fais une différence entre ce que m’a dit cette magnétiseuse : “Vous étiez un homme pêcheur suédois au dix-huitième siècle, vous aimiez les femmes, vous êtes mort assassiné de mort violente, par un mari jaloux” et me mettre devant mon ordinateur pour écrire l’histoire d’un pêcheur suédois.

L’histoire n’est pas du tout la même. Je pense que passer par la révélation de cette magnétiseuse m’a permis de traiter l’histoire de manière différente.

Moi, Edin Björnsson d'Edith chez Oxymore collection Noctambule

Si j’avais voulu parler du mode de vie au 18e en Suède, je serais allée sur quelque chose de beaucoup plus factuel. Là, je me suis laissée aller à beaucoup de fantaisie. Même si ce récit n’est pas fantaisiste pour autant.

A-t-il été question de parler de vies antérieures dans cet album ?

Non, j’ai mis des limites dans la référence aux vies antérieures. On peut lire l’histoire comme si c’était une histoire à part. Je ne voulais pas aller trop loin dans la notion de karma, parce que là, ça devenait quelque chose de plus compliqué.

Je voulais raconter cette vie antérieure, mais qu’à aucun moment ça ne déborde sur des questionnements ou des croyances. C’était donc juste un point de départ, plus ou moins ludique, pour écrire une histoire.

Écrire sur la vie d’un pêcheur suédois au 18e siècle a dû vous demander un certain nombre de recherches ?

Et bien non. Je me suis demandé où j’allais trouver de la documentation sur la Suède au 18e siècle. Les pêcheurs au 18e siècle, en Suède ou en Bretagne vivaient dans des maisons pauvres et étaient habillés sobrement. Alors, le vêtement est peut-être en coton en Bretagne et en peau de renne en Suède.

Moi, Edin Björnsson d'Edith chez Oxymore collection Noctambule

Donc, à part les vêtements de cérémonie, que je n’ai pas utilisés, on peut se dire que quasiment jusqu’à la Première, voire la Seconde Guerre mondiale, les gens pauvres avaient les mêmes conditions vestimentaires, de logement et de nourriture. Donc finalement, j’ai pris ce que je connaissais ou ce que j’avais pu lire sur la vie aux 18e et 19e siècles, à la campagne.

D’autant plus que la vie du peuple n’était pas celle qui était la plus représentée.

On a des représentations sociales avec les grands qui étaient dessinés plus grands dans l’image et les pauvres qui étaient plus petits. Depuis le Moyen-Âge, on représente les pauvres, les serfs, mais les représentations sont souvent symboliques ou elles décrivent des métiers, le paysan, le forgeron.

Pour moi, la vision réelle des gens pauvres débute au 19e siècle avec la photographie quand des photographes ont commencé à prendre des clichés en extérieur. Et c’est là qu’on voit la façon dont les gens sont habillés. Mais une photo de 1912, une de 1927 et une de 1932, ce sont les mêmes. Ce qui a changé, c’est après la Seconde Guerre mondiale parce qu’il y a eu une vraie évolution de la société. Mais pour les pauvres, ça n’a pas changé pendant des siècles.

« Pour moi, ça a été un vrai exercice d’écriture. »

Est-ce que c’est difficile, quand on est une femme, de se représenter en tant qu’homme ?

C’était le challenge. J’avoue que je n’ai pas pris ça comme un amusement parce que je n’étais pas en train de faire cet album pour rigoler. Pour moi, ça a été un vrai exercice d’écriture. Il y a quand même de nombreux romanciers qui ont écrit des personnages féminins et personne ne s’est posé la question de savoir s’ils en étaient capables. On loue l’écriture de Flaubert et son personnage de Madame Bovary, alors que c’est un homme qui a décrit les sentiments d’une femme.

Moi, Edin Björnsson d'Edith chez Oxymore collection Noctambule

Dans ce sens, ça ne pose problème à personne. Mais si une femme décrit les sentiments d’un homme, là on trouve que c’est bizarre. Donc ce qui est possible dans un sens est possible dans l’autre. Dans mon cas, parce que je ne suis pas écrivain, j’ai emprunté des scènes à des figures masculines de mon entourage, des amis, mon fils, mon compagnon.

Peut-on trouver des souvenirs personnels dans Moi Edin Björnsson ?

Il y a des souvenirs et puis il y a des éléments qui sont arrivés sans que je ne les cherche. Et c’est ce qui a été le plus étonnant dans cette écriture. Pourtant je suis assez quelqu’un de rationnel. Je ne m’embarque pas dans des trucs mystiques. Mais j’avoue, que deux ou trois fois, le hasard est arrivé exactement quand il fallait pour m’aider à continuer mon histoire.

Il y a cette anecdote que je raconte en général, quand j’étais dans une salle d’attente d’un dentiste. Il y avait sur la table le journal Paris Normandie, avec la gravure avec un bateau du 18e siècle sur des grandes vagues.

« Je devais être à l’affût de faits qui pouvaient nourrir mon écriture. »

Que relatait cet article ?

L’article expliquait qu’au 18e siècle, à 20 km de chez moi, un bateau scandinave avait essuyé une énorme tempête. Le bateau a chaviré au large d’Étretat et il y a eu un seul rescapé. Un jeune pêcheur suédois ou norvégien, agonisant sur le surplomb rocheux, a été sauvé par les habitants. Cet article me servait sur un plateau la suite de l’histoire de mon Edin. Je devais être à l’affût de faits qui pouvaient nourrir mon écriture.

© Gravure publiée dans le livre de Jean-Pierre Thomas « Étretat, des origines à nos jours »

De plus, il y a un fait étrange, c’est que je n’aime pas l’eau parce que j’ai failli me noyer deux fois quand j’étais petite. Cet album est pour moi un exercice de style et j’espère qu’il sera compris ainsi. J’ai juste inséré deux ou trois choses personnelles. D’ailleurs l’album est dédicacé à mes sœurs.

Dans tout album, on imagine bien les auteurs nourrissant leurs écrits avec des références familiales ou amicales.

Absolument, notre vision est celle de notre milieu, notre éducation, notre lieu de vie, de notre métier. Tout cela forme un bagage qui est différent pour chacun d’entre nous. Et quand on écrit, on se sert de ce passif de manière plus ou moins automatique. Cet album est une espèce d’autobiographie sans en être une.

« Il fallait que je reste sur des techniques traditionnelles. »

Comment avez-vous travaillé la partie graphique de cet album ?

J’ai utilisé l’informatique, puisque je suis repassée un petit peu sur mes couleurs.

Mais j’avais comme l’impression que, étant donné que c’était une histoire du passé, il fallait que je reste sur des techniques traditionnelles. Donc j’ai travaillé à la plume avec de l’encre, des matériaux traditionnels. Je crois que c’était une évidence pour moi.

Moi, Edin Björnsson d'Edith chez Oxymore collection Noctambule

Merci Édith de nous avoir accordé du temps pour en découvrir un peu plus sur cet étonnant album Moi, Edin Björnsson, qui vient parfaitement bien compléter la collection Noctambule chez Oxymore.

Moi, Edin Björnsson d'Edith chez Oxymore collection Noctambule

INTERVIEW RÉALISÉE LE SAMEDI 28 OCTOBRE 2023 AU FESTIVAL QUAI DES BULLES PAR FABRICE BAUCHET ET CLAIRE KARIUS
RETRANSCRIPTION ET MISE EN PAGE : CLAIRE KARIUS, CRÉDIT PHOTOS : CLÉMENTINE SANCHEZ
Article posté le vendredi 12 janvier 2024 par Claire Karius

Moi, Edin Björnsson d'Edith chez Oxymore collection Noctambule
  • Moi, Edin Björnsson
  • Autrice : Édith
  • Editeur : Oxymore
  • Collection : Métamorphose
  • Prix : 20,95 €
  • Parution : 25 octobre 2023
  • Pages : 112 pages
  • ISBN :  9782385610135

Résumé de l’éditeur : Ce roman graphique, signé Édith, est né d’une idée fascinante : la révélation de sa vie antérieure. Édith ignore si elle croit en la réincarnation… À vrai dire, elle ne s’est jamais vraiment posé la question. Comme pour d’autres perspectives mystiques, religieuses, philosophiques, par curiosité, elle laisse la porte entrouverte. Alors, quand une magnétiseuse lui a proposé de connaître sa vie antérieure, la conteuse en images qu’elle est a exprimé un intérêt certain pour une révélation aussi intrigante… C’est ainsi qu’elle a appris, dans cet ordre, que cette vie se passait en Suède, au XVIIIe siècle, qu’elle était un homme, pêcheur, qui aimait les femmes et qui était décédé de mort violente, assassiné… sans doute par un mari jaloux !… Edith, a-t-elle été Edin Björnsson ?

À propos de l'auteur de cet article

Claire Karius

Passionnée d'Histoire, j'affectionne tout particulièrement les albums qui abordent cette thématique. Mais pas seulement ! Je partage ma passion de la bande dessinée dans l'émission Bulles Zégomm sur Radio Tou'Caen et sur ma page Instagram @fillefan2bd.

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