Série: décryptage d’images. Commençons notre série d’analyse d’images avec ce dessin intitulé « Parcours Initiatique ».
Dans l’esprit de l’auteur et de la plupart des lecteurs de culture occidentale, elle illustre extrêmement bien le problème de la prison, « fabrique à terroristes ».
Mais pour comprendre ce message, quelles connaissances sont nécessaires? Il faut:
– savoir ce qu’est le Monopoly
– savoir qu’il y a une case prison sur le Monopoly (y avoir déjà joué, donc)
– connaitre le contexte général (ce débat français sur « la prison créée-t-elle des terroristes? »)
Une fois tout cela pris en compte, reste encore des questions. Quel est ce petit personnage qui pointe un œil derrière l’une des portes du bâtiment? [Réponse: c’est Kiko, la mascotte du journal Le Vif, qui apparait dans chaque caricature]. Pourquoi les personnages de cette image sont-ils des chiens? L’auteur connait-il l’image générale du chien dans le monde musulman (image très négative, « chien » étant une insulte très courante) ? Que comprend un jeune musulman habitant un pays non-occidental, en regardant cette image? Comprend-il la même chose que moi, occidental non-musulman amateur d’actualité, de dessin de presse et de bande dessinée? Avons-nous la même définition du mot Jihad? Pas sûr.
Nicolas Vadot, dessinateur de presse en Belgique et auteur de ce dessin, a répondu à toutes ces questions.
« Si je commence à me demander comment un dessin va être perçu par chacun des 6 milliards de terriens, je ne dessine plus. C’est là toute la question centrale de la liberté d’expression. »
Quel est le contexte de la création de cette image (date, débats en cours à ce moment là…), sa destination originelle (titre de presse, image pour votre site internet, pour un livre?), et surtout la façon dont vous l’avez conçue, le pourquoi des différents éléments symboliques utilisés, et le message que vous vouliez faire passer ?
Il a été réalisé après la tuerie du Musée juif à Bruxelles [Mai 2014]. Bizarrement, Le Vif ne l’a pas publié à l’époque, lui préférant un autre dessin, beaucoup moins bon, sur le sujet (je leur en donne en général six, ils en prennent quatre dans le journal). Mais comme je l’aimais beaucoup, je l’ai mis dans le best of du numéro de fin d’année, daté du 26 décembre. Ce n’est pas de la censure, mais un choix éditorial que je ne partageais pas. Et c’est très rare, dans Le Vif.
Non, pas du tout.
« J’ai l’habitude de ne jamais utiliser les symboles religieux à la légère, ça vaut aussi pour l’étoile de David ou la croix. »
Un fanatique interprètera toujours un dessin de la façon qui lui convient. Moi, si je commence à me demander comment un dessin va être perçu par chacun des 6 milliards de terriens, je ne dessine plus. C’est là toute la question centrale de la liberté d’expression. Et dans ce cas-ci, je le répète, il n’y aucune vision dégradante de quelconque religion que ce soit, tout simplement parce que le sujet de ce dessin n’est pas la religion, mais la délinquance. D’où là encore l’absence de référent au caractère antisémite de l’attaque.
Bonus: quel dessin le journal a t-il choisi ce jour là, finalement? Cette hilarante scène:
Elle ne vous fait pas rire? C’est probablement que vous n’avez pas les références nécessaires. Peut-être connaissez-vous Bernard Cazeneuve (ministre français de l’Intérieur). Et Joëlle Milquet? C’était la ministre fédérale de l’Intérieur en Belgique à l’époque.
A propos de l’auteur du dessin
Né au sud de Londres en 1971, d’un père français et d’une mère anglaise, Nicolas Vadot passe son enfance en France, avant d’émigrer à Bruxelles à l’âge de 17 ans. Il possède la triple nationalité franco-britannico-australienne.
Il publie son premier dessin dans Le Vif/L’Express le 10 décembre 1993. En 1999, la rédaction du magazine lui confie une page hebdomadaire, La Semaine de Vadot, dans laquelle il illustre l’actualité politique nationale et internationale.
Depuis 2007, il est également en charge de la page 3 du journal, pour laquelle il réalise un grand dessin en pleine page.
Vadot est par ailleurs dessinateur attitré du quotidien l’Echo depuis septembre 2008. Parallèlement au dessin de presse, il est aussi auteur de bande dessinée, et publie entre 2001 et 2004 la trilogie Norbert l’Imaginaire, aux Éditions du Lombard, en compagnie d’Olivier Guéret, co-scénariste.
Le duo se reforme en 2006 pour un album one-shot intitulé 80 Jours, paru aux éditions Casterman. En 2009, Vadot sort son premier album solo, intitulé Neuf Mois.
Il publie également un recueil de dessins politiques en anglais, The George W. Bush Years, consacré aux années Bush et publié par l’éditeur australien New Holland, en 2007.
Octobre 2010, sortie d’un recueil de 144 pages, 200 dessins qui fâchent, aux éditions Renaissance du livre.
En 2011, il reçoit simultanément le troisième prix du Press Cartoon Europe (PCE) et le deuxième prix du Press Cartoon Belgium (PCB). En juin, il réalise un timbre pour la Poste belge, sur le thème de « L’Humour fait la force »
Fin août 2011 sortent simultanément deux livres: Maudit Mardi ! tome 1, un album de BD financé uniquement par les internautes et publié par Sandawe, et Onde de choc, recueil de dessins de presse sur les dix ans du 11-Septembre (éditions Renaissance du livre)
2012, sortie de Casse-toi pauv’con sur les années Sarkozy (mars), du tome 2 de Maudit Mardi! (septembre) et de l’intégrale de Norbert l’Imaginaire (octobre).
En février, Vadot reçoit à nouveau le deuxième prix du Press Cartoon Belgium.
Il est également chroniqueur radio sur les ondes de La Première, dans l’émission On N’est Pas rentré, depuis septembre 2011.
Son dernier livre, « 20 ans à Vif », recueil reprenant les meilleurs dessins de 20 ans de carrière au Vif/L’Express, est paru en 2013.
Il vit à Bruxelles.
–
Le Vif/L’Express est un hebdomadaire belge diffusé à 80 000 exemplaires.
À propos de l'auteur de cet article
Thierry Soulard
Thierry Soulard est journaliste indépendant, et passionné par les relations entre l'art et les nouvelles technologies. Il a travaillé notamment pour Ouest-France et pour La Nouvelle République du Centre-Ouest, et à vécu en Chine et en Malaisie. De temps en temps il écrit aussi des fictions (et il arrive même qu'elles soient publiés dans Lanfeust Mag, ou dans des anthologies comme "Tombé les voiles", éditions Le Grimoire).
En savoir